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« Le chagrin et le venin »

mis à jour le 26/11/2011


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À l'occasion des Rendez-vous de l'Histoire de Blois une table ronde animée par Antoine Prost était consacrée à l'ouvrage de Pierre Laborie « Le Chagrin et le venin » paru aux éditions Bayard en février 2011.

mots clés : Seconde guerre mondiale, résistance, épistémologie, Blois


Cette table ronde réunissait, outre Antoine Prost  et l'auteur de l'ouvrage, François Marcot (Université de Besançon) et Steffen Prauser professeur à Birmingham détaché à l'institut d'histoire allemande à Paris.
 

Pierre Laborie est d'abord invité par Antoine Prost à présenter le projet de son ouvrage.

L'auteur explique qu'il a souhaité en premier lieu revenir sur quelques idées reçues, par exemple celle de la clémence de l'épuration d'après guerre. Il rappelle que 350 000 dossiers d'épuration ont été instruits pendant la période du GPRF. Dès 1944 - 45  la question de la France de Vichy n'était « donc pas si cachée que cela » et de toute évidence on ne peut donc pas parler de volonté d'étouffer l'histoire de la période de l'occupation.

Pierre Laborie  voulait également ouvrir un débat sur l'historiographie concernant cette période de notre histoire. Il constate avec Antoine Prost que son ouvrage n'a eu pour l'heure qu'un écho modéré. Le choix d'un éditeur peu visible dans les milieux universitaires ne fut sans doute pas un atout pour soutenir la démarche mais surtout Pierre Laborie souligne la difficulté de produire une discussion nuançant, sans la remettre en cause, la vulgate admise pour l'heure sur la période de l'occupation.

À savoir :   depuis les travaux de Robert Paxton,   pendant  la seconde guerre mondiale la France a connu deux minorités,  résistantes et collaborationnistes, et une immense majorité attentiste.

Doit-on admettre sans la discuter cette vulgate, relayée par les discours mémoriels médiatiques, et  par là même, inscrite pour une large part dans notre mémoire collective ? Le débat semble d'autant plus difficile à engager que cette vulgate actuelle a été construite avec la volonté, à juste raison, de vouloir démystifier la vulgate précédente du « tous résistants » !

Pour Pierre Laborie, ce travail pose aussi des questions épistémologiques. Comment construit-on notre rapport au passé ? Comment comprendre la complexité en Histoire ? Sans que cette complexité n'apparaisse comme la recherche de fausse réhabilitations ?

Il est pourtant important d'interroger le statut mémoriel de cette période qui sert de marqueur idéologique dès la libération - souvenons nous des positions des anciens résistants eux - mêmes et les débats opposant les gaullistes aux communistes.

Il serait aussi utile de resituer l'emploi de certains mots ou concepts dans le contexte de leur création. Rappelons, par exemple, que les termes de « résistancialisme »  ou « d'épuration sauvage » utilisés communément dans les manuels scolaires sont des termes qui viennent de l'extrême droite à l'époque même de l'épuration. Des concepts qui furent alors relayés par le mouvement littéraire de l'époque. Nous pouvons penser, entre autre, à Roger Nimier, Jacques Laurent, Marcel Aymé ou encore Antoine Blondin qui écrivait dans unes de ses critiques cinématographiques à propos de La Bataille du rail, film à la gloire de la résistance de cheminots, palme d'or à cannes en 1946 :  «  Le bétail du rail, histoire d'une boucherie clandestine » !

Dès 1945 il y eu donc des contre-mémoires de la période de l'occupation, c'est aussi une dimension à questionner pour qui se penche sur cette époque.

Pierre Laborie  aborda ensuite la question du travail de l'histoire en train de se faire. La question de « l'historicité » en prenant un exemple, celui du Chagrin et la Pitié, film documentaire de Marcel Ophüls réalisé pour la télévision et sorti au cinéma en 1969.  Dès sa sortie, à la suite d'un article de Françoise Giroud,  ce film pris un statut particulier et marqua une rupture.

Pour la première fois une représentation cinématographique de l'histoire acquérait le statut de travail d'historien. L'emballement médiatique qui s'en suivi eu pour conséquence que le film fut reçu comme une leçon d'histoire ... définitive. Marcel Ophüls laissa le succès prendre son ampleur avant de rappeler tardivement (en 1981) que son projet avait une ambition bien plus modeste.

Mais pendant longtemps il fut difficile d'approfondir et de questionner le point de vue historique porté par la force médiatique .

François Marcot aborde quant à lui la question des outils conceptuels et des sources utilisées.

R. Paxton parlait à propos de l'attitude attentiste de la majorité des Français de « collaborateurs fonctionnels ». D'autres historiens inversent le point de vue et parlent eux plutôt de « résistants fonctionnels ». Comment expliquer à partir d'un même constat ce retournement du regard ? En fait Paxton puis ses collègues anglo-saxons n'ont pas travaillé sur les mêmes archives. R. Paxton a étudié les rapports des préfets, les autres historiens ont utilisé les rapports des commissaires et des inspecteurs de police. Ces derniers, moins haut placés dans le hiérarchie, édulcorent moins leurs propos. L'absence d'adhésion  à l'idéologie de la Révolution Nationale est donc plus visible « vue d'en bas ».

Par ailleurs il est important pour l'historien d'interroger ses propres concepts en commençant par les plus fondamentaux. Par exemple, ici pour répondre à la question simple de « combien y eu-t-il de résistants ? » il faut d'abord « penser » cette dénomination.

 La résistance n'est pas seulement une organisation mais c'est aussi un mouvement social qui pour vivre devait s'appuyer sur la population. Or, jusqu'en fin 1941 début 1942 la résistance, infime minorité, inconnue de la population, est surtout  crainte par la majorité qui veut surtout la paix et qui pense que la résistance apporte essentiellement le danger.

À partir de 1942 (port de l'étoile jaune en zone occupée, bataille de Stalingrad, Relève, STO, etc.) tout change. Mais dès lors comment classer ceux qui passent de Vichy à la Résistance ? Que fait - on du gendarme qui prévient les futurs raflés mais qui ne fait que cela ? Comment classer les paysans qui font du marché noir (et ce d'autant plus qu'avec les évolutions économiques et sociales des années 1920 - 30 ils ont le sentiment justifié de se penser comme des déclassés par rapport à l'ensemble de la société) mais que cela n'empêche pas la nuit de cacher des armes ou des hommes ?  Et le boulanger qui ravitaille le maquis ? Une fois, c'est le hasard des circonstances, ou plusieurs fois et alors c'est fondamental ! N'oublions pas  que tous ceux qui aident les résistants conditionnent, dans un contexte de guérilla,  l'existence de la résistance elle-même et sont au total plus importants pour la survie du mouvement que les résistants eux-mêmes. Il sont même indispensables pour la construction de la légitimité du mouvement. Les résistants « permanents » (5% ?) prennent des risques réels, qu'ils connaissent sans toujours bien en mesurer l'étendue, mais cette prise de risque ne peut pas s'envisager sans penser que leur combat est légitime et reçoit le soutien de la population.

À partir de cette réflexion historienne  Pierre Laborie propose donc d'employer l'expression de « non acceptation » de l'occupation et du régime de Vichy et rappelle que si tous les Français ne furent pas résistants le cœur de l'État Français que fut la politique de la Révolution nationale ne fut jamais accepté et constitue bien à cet égard l'échec le plus marquant de ce régime. 

Steffen Prauser a travaillé sur le discours dominant porté sur la période de la seconde guerre mondiale à partir de l'étude des médias grand public. Son étude d'histoire comparative concernant le Royaume - Uni et la RFA [1] porte donc sur un des vecteurs de création de la mémoire collective.

Au Royaume - Uni  la résistance est perçue de manière positive et les Français sont pensés, sans qu'il y ait de changements notables, comme plutôt philo-résistants. Les Français sont donc bien les alliés de « l'héroïque comportement des Britanniques résistants seuls contre tous sous la Blitz à partir de 1940 ».

La vision de l'histoire des années de guerre connut des évolutions beaucoup plus marquées en Allemagne. Les Allemands se perçoivent d'abord comme des victimes. Victimes des bombardements alliés, des camps de prisonniers soviétiques, des procédures d'expulsion des territoires de l'Est, victimes des nazis. Si le procès de Nuremberg n'eut aucun effet sur l'évolution des mentalités en RFA, il en fut tout autrement du procès Eichmann en 1961. Dans les années 1980, à la suite de la diffusion de la série télé américaine Holocauste (1978) la « légende noier domine », l'Allemagne tient alors le discours du « tous coupable » et l'image positive de la Wehrmacht tombe dans les années 1990 entre autre à la suite de l'exposition, dans les années 1995 - 96, sur les crimes de guerre allemands.

 
[1]    Donc les länder de l'Ouest de l'actuelle Allemagne
 
auteur(s) :

Christophe Rabu

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