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raconter et écrire en cours d’histoire : enjeux et démarches

mis à jour le 03/03/2012


Clio, muse de l'Histoire

Quelques réflexions autour de raconter et écrire en cours d'histoire. (L'article est téléchargeable en bas de page)

mots clés : raconter, écrire, capacités, récit


   Pour le grand public, Alain Decaux est l'historien qui racontait l'Histoire dans les années 1970 sur les écrans de télévision. Cette capacité à dire, décrire l'événement... marqua les esprits, tant il est vrai que l'exercice s'accompagnait de la fougue d'un orateur mettant en scène l'histoire, captivant l'auditoire, sachant rendre présent des événements éloignés de plusieurs siècles. S'il ne s'agit point pour le professeur d'histoire de mimer Alain Decaux, il n'en demeure pas moins que l'historien est celui qui fait le récit des événements passés : raconter est donc au coeur de la discipline historique. Et dans l'acte d'enseignement, le charisme est un précieux allié.

   Raconter tant à l'écrit qu'à l'oral - pour l'historien, le professeur et l'élève - est une capacité essentielle qui met en jeu la capacité à exprimer une pensée, à développer un propos cohérent et donc à communiquer avec autrui pour être compris. C'est un élément fondamental dans l'appropriation des connaissances et la construction d'une pensée. Les nouveaux programmes de collège comme de lycée font une place explicite à la capacité « raconter » (collège) ou « décrire et mettre en récit une situation historique ou géographique » (lycée).

   Pourtant le récit de l'élève en classe ne va pas de soi : écrire un récit suppose un long apprentissage. Le propos de ce document est de comprendre comment l'écrit est au cœur de la construction de la pensée historienne. En revenant au récit de l'historien et à la compréhension de la conception que se font les historiens de l'écriture de l'histoire, nous posons l'hypothèse que nous pourrons mieux appréhender la manière dont les élèves peuvent construire la capacité à raconter et à écrire en classe. Le propos centré sur l'écrire laissera néanmoins place au dire.
 

1- Écrire de l'histoire : en quoi l'histoire construit-elle un rapport particulier à l'écrit ?


Rhétorique, récit et écriture de l'histoire : de l'histoire littéraire au récit véridique ?
 
   Au XIXe siècle, les historiens méthodiques - autour de La Revue Historique (1876)- considèrent l'écriture de l'histoire comme une question de méthode contribuant, par là, à faire de l'histoire une discipline scientifique. Cette orientation marque une rupture majeure avec la rhétorique héritée de l'Antiquité et l'écriture littéraire des « romantiques », celle d'un Michelet ou d'un Napoléon Peyrat, son disciple, qui voyait l'histoire comme « une épopée » : « l'histoire est la grande poésie de notre siècle, la vraie muse de la France moderne. Quelles fictions égaleraient jamais la majesté de nos Annales !» [1]. Si Michelet eut le souci des archives, ses critiques ont d'abord retenu l'histoire littéraire du maître, condamnant le lyrisme au profit d'une écriture, « médium neutre et transparent » [2]. Chez les historiens méthodiques, la reconstruction ordonnée de l'histoire s'articule autour d'un inventaire des sources, d'une critique interne du document, de sa confrontation à d'autres, puis le rassemblement des événements afin d'en constituer la trame pour reconstruire de manière ordonnée l'histoire en respectant la chronologie.

   L'histoire sociale représentée par l'École des Annales née dans les années 30 accroît encore la rupture avec l'histoire narrative. Aux élèves de l'École normale Supérieure à la rentrée de 1941, Lucien Febvre affirmait : « quand en 1899 je suis entré, comme vous, dans cette maison après mon année de service militaire [...], je me suis inscrit dans la section des lettres. C'était une trahison : j'avais depuis ma plus tendre enfance une vocation d'historien chevillée au corps. Mais elle n'avait pu résister aux deux années de rhétorique supérieure à Louis Le Grand, à deux années de ressassage du Manuel de politique étrangère d'Émile Bourgeois (que j'allais retrouver comme maître de conférence à l'École). Anatole France raconte quelque part qu'enfant, il rêvait d'écrire une histoire de France avec tous les détails. Nos maîtres, dans les lycées semblaient nous proposer l'idéal puéril du petit Anatole...» [3]. Lucien Febvre rejette ainsi l'histoire événementielle, l'histoire-batailles ou encore l' « histoire historisante » qui laissaient la place à l'événement et ses acteurs au profit de l'histoire-problème, de l'histoire-synthèse qui s'intéressent à la longue durée, aux cycles et mouvements profonds qui affectent la société : « C'est que, poser un problème, c'est précisément le commencement et la fin de toute histoire. Pas de problèmes, pas d'histoire » [4]. La critique de Febvre ne s'adresse pas au discours de l'historien dans lequel le récit demeure une technique d'exposition [5]. Il récuse une certaine forme de récit centré sur l'événement et récuse les acteurs individuels au profit du collectif. Ses successeurs - dont Braudel - utilisent le récit, la forme narrative, mettant en scène la Méditerranée, rehaussée au rang de héros. Dès lors, il ne suffit pas de récuser événement et acteurs pour échapper au récit, Paul Ricœur signalant que Braudel a inventé un nouveau type de récit.

   Toutefois, le monde anglo-saxon est marqué par l'émergence d'un courant « narrativiste » dans les années 60 et 70 qui remet sur la scène intellectuelle la réflexion autour de l'écriture de l'histoire. Le récit est alors considéré comme « un outil cognitif » ayant une fonction explicative. « Raconter c'est expliquer » [6]. Paul Veyne en 1971 dans Comment on écrit l'histoire. Essai d'épistémologie développe une pensée proche montrant l'omniprésence du récit en histoire, qu'il qualifie de « roman vrai ». En 1979, l'historien Laurence Stone annonce lui aussi le retour du récit.

   Les années 80 ouvrent une période de questionnements et de débats sur l'écriture de l'histoire tout à la fois en lien avec les réflexions des philosophes ( les travaux de Michel de Certeau, de Michel Foucault et de Paul Ricœur invitent les historiens à repenser le discours historique [7]) et les coups de boutoir du linguistic turn (tournant linguistique, abrégé en LT [8]), courant venu des Etats-Unis qui considère l'histoire comme un discours littéraire. Roland Barthes affirmait déjà en 1967 que « le fait n'a jamais qu'une existence linguistique » [9]. Pourtant, cette conception d'une histoire, simple fiction, conduit à nier la dimension scientifique de la discipline et fait courir le risque du relativisme. Si le principal théoricien du LT (White) a eu peu de influence sur la manière décrire l'histoire, en revanche les travaux de Michel de Certeau et de Paul Ricœur ont eu davantage d'échos, les deux philosophes soulignant que si l'histoire est écriture, elle est aussi une activité scientifique qui vise la réalité du passé : pour Michel de Certeau, l'écriture de l'histoire est un mixte entre fiction et science, pour Paul Ricœur, l'écriture de l'histoire - dans ses trois phases, la « phase documentaire », la « phase explicative et compréhensive » et la « phase de mise en forme littéraire »- est soumise à « la contrainte de la preuve documentaire » sans pouvoir rompre avec le récit [10]. L'histoire est donc un mixte et Paul Ricœur refuse de séparer fond et forme comme le proposaient les tenants du linguistic turn.
   Si la manière de questionner le passé dépend du monde présent et de présupposés parfois idéologiques, la démarche de l'historien demeure scientifique. La quête de la vérité, « la visée de connaissance » [11] à partir de procédures intellectuelles reconnues par la communauté scientifique, inscrivent l'histoire dans une discipline scientifique : l'historien doit amener des preuves et construire un raisonnement. Le récit est donc subordonné à des critères de vérité.

   Dès lors, le texte de l'historien s'accompagne de caractéristiques propres qu'Antoine Prost rappelle dans Douze leçons sur l'Histoire : des « marques d'historicité » [12] (notes infra-paginales, appareil critique), un texte plein et clos organisé dans un plan, qui s'ouvre sur une intrigue (une problématique s'inscrivant dans un bornage chronologique) et s'achève sur une réponse. Le discours produit est objectivé : l'historien ne dit jamais « je » et s'inscrit, grâce aux références à d'autres auteurs, dans la communauté des historiens. Dans ce récit, l'historien laisse aussi la place aux acteurs de l'histoire en introduisant des extraits de sources, qui donnent un effet de réel et de vérité[13]. Antoine Prost souligne les difficultés du texte historique : son abstraction - concepts et notions le rendent arides - suppose que l'historien lui donne un effet de vécu pour le rendre accessible au lecteur (« donner de la chair aux mots », rapprocher le passé du présent en utilisant le présent de l'indicatif). Dans la production du récit historique, le mot a son importance : or, il est, par définition, daté et son usage peut conduire à l'anachronisme en plaquant des réalités actuelles sur des mondes anciens. Dès lors, l'historien prend soin de définir les mots qu'il emploie. Antoine Prost en conclut que l'histoire est « aussi un genre littéraire »[14]. La qualité littéraire du discours produit par l'historien - loin d'être un obstacle - ne peut que faire aimer l'histoire et renforcer son attractivité en suscitant l'imagination comme en témoigne la biographie de Guillaume le Maréchal par Georges Duby[15]. D'ailleurs, Seignobos et Langlois, si critiques envers Michelet, furent les premiers à défendre la qualité littéraire du texte historique[16].

De ces débats émergent progressivement un consensus : l'histoire est bien un récit, « un parcours dans le temps » traduisant le travail d'enquête de l'historien pour établir des faits, comprendre les causes et les intentions des acteurs[17]. Dès lors, le texte historique est une fiction qui dit juste, qui ambitionne de dire le vrai : l'historien a une intention de vérité. Par le questionnement et la mise en intrigue, l'historien tente d'approcher une vérité qui n'est nullement définitive. Ce qui peut varier, c'est la mise en intrigue, la lecture de l'événement et la construction des faits. Comme le résume admirablement Antoine Prost, « on ne peut donc pas véritablement parler de retour au récit, comme le font encore certains, parce qu'on ne l'a jamais vraiment quitté »[18]. Encore faut-il définir de quel récit il s'agit. Celui des années 1990 est marqué, sous l'influence de la sociologie, par « le retour » des acteurs et un intérêt pour la biographie et, avec les nouveaux développements de l'histoire politique, par le « retour » de l'événement.

   Les nouveaux programmes de collège se font les échos de ce renouvellement dans la manière d'appréhender le récit.

****

Si les élèves ne sont pas des historiens, cette réflexion autour de l'écriture de l'histoire par l'historien nous intéresse doublement dans le cadre d'une réflexion autour de raconter en histoire en classe :

  • le récit est une construction qui fait appel au langage mais dépend de l'événement passé. Ainsi, il suppose de contextualiser le propos, de connaître les faits et les acteurs, de sélectionner les événements tout en maîtrisant la langue française et ses subtilités afin de trouver le mot juste. Ainsi, le récit repose sur du vrai et interdit l'emploi du « je » puisque le récit est celui d'un événement auquel le narrateur n'a pas assisté. Il est mise à distance d'un passé révolu que l'on essaie d'approcher par une mise en mots et par une construction de la pensée.


  • le récit est un questionnement de l'événement en ce qu'il entend répondre à une question : il propose une grille d'analyse du passé, suppose des choix et une hiérarchisation dans les faits. Ce questionnement peut tout à la fois varier dans le temps et dans l'espace.

   Pour l'élève, faire un récit, c'est d'abord mettre en mots son savoir, un savoir problématisé.
 

Écrire et dire de l'histoire pour construire une pensée 19

 
   Les programmes de Collège de 2008[20] et ceux de lycée de 2010[21] placent au cœur des démarches, la capacité à « raconter » tant à l'écrit qu'à l'oral. De même que le récit n'a jamais vraiment quitté l'historien, l'enseignement de l'histoire a toujours laissé une place au récit : qui n'a pas, élève, le souvenir d'un professeur qui racontait « admirablement » bien un épisode de l'histoire, une bataille... Les professeurs témoignent généralement de l'attention des élèves pendant les phases
où ils « racontent ».

   Si le professeur raconte, l'élève également est / doit être mis en situation de raconter. Là encore, contrairement à une idée reçue, ce n'est pas une nouveauté, les anciens programmes de 1996 attribuaient déjà à l'écriture et à l'oral une place centrale dans nos enseignements [22]. Les nouveaux programmes ne font que renforcer cette priorité en lien avec la compétence 1 du socle commun de connaissances et de compétences, la maîtrise de la langue et des langages[23]. Au Lycée, la capacité à rédiger une composition donc à écrire reste d'actualité ; quand l'épreuve du baccalauréat est une épreuve orale, la tenue d'un propos cohérent et étayé est attendue du candidat [24].

   Or, les difficultés à écrire des élèves et/ou à dire conduisent à réfléchir aux démarches qui conduisent à écrire et faire écrire en classe pour développer chez les élèves la capacité à raconter. De même, si l'oral est omniprésent dans le quotidien de la classe, il est souvent limité à des réponses courtes peu propices à l'expression d'une pensée.

   Toutefois, avant d'entrer dans les démarches, il convient de s'interroger sur les finalités de l'écriture : « ...L'écriture, médium irremplaçable au sens fort du terme, permet à celui qui l'utilise de faire un pas de plus dans la construction du sens, par exemple, le développement de son imaginaire, l'enrichissement de ses savoirs, la compréhension des autres et de lui-même » [25]. Écrire ce n'est pas seulement produire un texte sans fautes, respectant la grammaire et l'orthographe, c'est d'abord mettre en forme un contenu symbolique - l'histoire racontée, les idées, des concepts. De là, fonds et forme, pensée et action (l'écriture) se rejoignent et sont inséparables [26]. Écrire permet de construire du sens, d'enrichir ses savoirs et de développer son imaginaire. L'écrit est donc formateur et structurant, tant des apprentissages que de la pensée [27].

   L'acte d'écriture n'est pas banal : Écrire, c'est se dévoiler. « C'est projeter une image de soi » [28]. Mettre par écrit « une idée » est certainement l'exercice qui révèle le plus l'individu et concomitamment le vide (l'absence de savoirs) ou le plein (les connaissances, la maîtrise et la richesse du vocabulaire). Écrire c'est mettre à distance son savoir (ou ses manques !). D'où, chez l'élève, un inévitable malaise : l'angoisse de la page blanche quand le mot pour dire ne vient pas, quand le savoir manque, quand l'exercice ne fait pas sens. D'où également le refus d'écrire chez certains car l'exercice leur est douloureux à commencer par la calligraphie maladroite qui fait de l'acte d'écriture un supplice.

   La deuxième question porte sur les fonctions de l'écriture : pourquoi écrire ? En apparence, c'est évident. On écrit pour dire et/ ou pour communiquer. En classe d'histoire, l'écrit est essentiel bien que, notons-le et ce n'est pas un des moindres paradoxes de notre discipline, l'essentiel du cours soit oral [29]. En collège, peu ou prou, après un échange collectif avec les élèves sur des documents, la leçon se clôt sur l'écriture d'un texte reprenant l'ensemble des informations abordées dans le cours[30]. Cette situation était jusqu'à une date récente la plus fréquemment observée avant « l'introduction » du récit classe. Parfois, ce travail d'écriture n'existe pas, renvoyé faute de temps à un (très hypothétique) travail à la maison. Dès lors, dans cette dernière configuration, l'écrit est uniquement perçu comme une clôture, jamais comme un point de départ, jamais comme quelque chose qui est en train
d'advenir ; il n'est que rarement appréhendé comme un processus (long et difficile) alors même qu'écrire est en soi un cheminement :

  • l'acte d'écriture suppose un entraînement : on apprend à écrire en écrivant puis en réécrivant un premier jet. Les écrivains font des brouillons qu'ils retravaillent. Quelle place pour le brouillon en cours d'histoire[31] ? Quelle place pour la réécriture ? Observant les élèves et des adultes dans des situations d'examen, on est étonné de les voir partir directement sur la copie d'examen ou de concours... En positionnant systématiquement l'écrit en fin d'heure, on laisse à penser que l'écrit n'est que synthèse, jamais tâtonnements. Or, écrire permet de construire une pensée tout en permettant d'accéder à la connaissance ;
  • l'acte d'écriture suppose du temps et la répétition : c'est un truisme que de le dire et de l'écrire. Faute de temps, on écrit encore peu en classe (le collégien recopie le plus souvent le résumé ; le lycéen prend des notes mais il n'y a que rarement un retour sur ce qui a été pris en notes[32]). Or, si l'on n'écrit pas, on ne saura jamais écrire. Il convient de s'interroger sur la place assignée à l'écrit personnel en classe et veiller à offrir de vrais temps pour écrire ;
  • l'acte d'écriture suppose de reformuler, maître mot des apprentissages : c'est-à-dire développer la capacité à reprendre puis transformer un écrit ou un oral pour que l'élève s'engage plus en avant et évolue selon le cheminement de la pensée ;
  • l'acte d'écriture est liberté par la mise à distance qu'il offre : dans une discipline dont l'ambition est de participer à la construction de la citoyenneté, il est peu de dire et d'écrire que l'écrit est libérateur. En posant un regard actuel sur un événement passé, on ambitionne aussi de développer chez l'élève la capacité à questionner le monde qui l'entoure et de construire ainsi (une salutaire) mise à distance du présent pour éviter la tyrannie de l'actualité et espérons-le de faire du citoyen en devenir qu'est l'élève un acteur conscient des enjeux actuels.

   Enfin, nul acte n'est possible sans le regard bienveillant de l'enseignant qui encourage, motive les élèves y compris les plus faibles.
À ces constats généraux sur l'écrit et ses enjeux, s'ajoutent les spécificités du récit historique attendu de l'élève :
- en ce qu'il suppose un discours structuré autour d'un fil conducteur, d'une mise en intrigue[33] avec un point de départ, un déroulement puis une clôture,
- en ce qu'il suppose de s'appuyer sur un contexte,
- en ce qu'il suppose de sélectionner des faits précis qui sont datés, des acteurs qui sont nommés et identifiés par leur rôle et leur action[34],
- en ce qu'il suppose de s'appuyer sur des documents (« la preuve documentaire » de Paul Ricœur)[35]
- en ce qu'il suppose de mettre en relation ces différents éléments, de développer des connecteurs (causalité)

De ces caractères (pour simplifier : poser par écrit une réponse à un problème en utilisant ses connaissances, en structurant et organisant ses idées) découlent quelques questions :
- le repère chronologique en histoire : quelle place pour le repère dans le cours ? Quel travail autour de ce repère qui fait de ce dernier une date différente des autres dates du cours ? Comment le mettre en valeur dans le cahier ? Comment construire une séance autour de ce repère ? Comment lui donner du sens ?
- Autour des repères gravitent des acteurs qui agissent dans des lieux : que nous disent ces acteurs sur l'action humaine, sur la capacité de l'homme à choisir, à se déterminer dans un contexte historique donné ?

 De là également surgissent des réflexions autour de la place donnée à l'écrit en classe en invitant à :
  • penser l'écrit dans l'organisation des apprentissages : « dans la progression pédagogique à adopter, un premier écueil dans une volonté d'aller du plus simple vers le plus complexe serait de construire une démarche qui partirait de la phrase pour aller vers le paragraphe puis vers le texte. En effet, la phrase ou le paragraphe ne sont pas des entités indépendantes du discours dans lequel ils s'insèrent »[36]. Dès lors, il s'agit de veiller à ce que la réponse de l'élève ait une unité de sens. Peu importe le nombre de phrases. Ce qui est en jeu également : la régularité de la pratique.
  • Penser la place de l'écrit dans la séquence et non dans la seule séance, systématiquement placé à la fin du cours. Introduire des moments d'écriture « longue »... un peu sur le modèle de ce qui est fait en cours de Français pourrait contribuer à consolider le travail d'écriture en histoire[37] : un écrit que l'on construit pas à pas, sur lequel on revient... Écrire en début de cours[38] (répondre par soi-même à une question posée sur un dossier de documents, réactiver des connaissances personnelles ou issues des cours précédents par exemple) ou pendant le cours[39] (mettre par écrit ce que l'on a appris et /ou compris par exemple) pourrait aussi faire l'objet d'expériences enrichissantes.
  • L'écrit intermédiaire est certainement celui qui doit focaliser toutes les attentions du professeur : si de nombreux sens s'attachent au concept d'écrits intermédiaires (étapes d'un même écrit à mettre en forme, entre deux moments de la séance ou de la séquence, entre les membres d'un même groupe de travail...), il convient toutefois de souligner qu'il s'agit d'un écrit transitoire qui peut permettre à l'élève de voir ses progrès, sa pensée en cours d'élaboration.

Introduire et développer les écrits intermédiaires : penser à enrichir le texte en s'appuyant sur des documents, sur des écrits intermédiaires... reformuler à l'écrit un récit oral ; importance de la lecture par l'enseignant du travail réalisé pour ne pas seulement pointer les manques mais souligner et mettre en valeur le point de vue développé par l'élève et souligner les points d'appui. 

   Écrire pour réécrire afin d'enrichir, de développer, d'expliciter, de nuancer : l'outil numérique (en lien avec le développement des ENT) se révèle particulièrement précieux.

   Le traitement de texte a révolutionné la manière d'écrire en ce qu'il permet des retours en arrière, des modifications[40] ; la fonction « copier-coller » (que les élèves connaissent souvent remarquablement bien !) pourrait être utilisée dans la phase d'organisation et de réorganisation des connaissances. Ainsi, le traitement de textes est « un moyen d'apprentissage »[41]. Tout en solutionnant temporairement les problèmes de calligraphie et - du moins peut-on l'espérer- de réconcilier l'élève avec l'acte d'écriture, l'outil traitement de texte permet de corriger les fautes d'orthographe (les logiciels ont fait des progrès considérables en la matière). Pourquoi ne pas
utiliser ces fonctionnalités (y compris en devoirs) dans le cadre d'une évaluation formative ?

   La vidéo-projection de quelques écrits anonymes d'élèves pourrait par un travail collectif d'analyse permettre de construire un écrit collectif. A cet égard, les corrections linéaires de devoirs (souvent sans réel intérêt) pourraient être réorientées vers une correction plus ciblée des écrits demandés aux élèves : la consigne a-t-elle été respectée ? Le propos est-il étayé ? (les faits sont-ils datés ? les acteurs sont-ils cités ?) Que faire pour améliorer le texte proposé ? etc.

Penser le passage de l'écrit individuel à l'écrit collectif est certainement la difficulté la plus importante : comment faire que l'écrit de chacun soit pris en compte ? Comment vérifier ce que chaque élève a écrit lorsque trente écrits ont été réalisés au sein de la classe ? À cet égard, les réseaux et autres Espaces numériques de travail devraient faciliter la mise en commun.

  • Penser aux travaux d'écriture guidés : parce qu'écrire, c'est « mettre en mots », le vocabulaire est au cœur de l'acte d'écriture : noter en bas de page du cahier des mots de vocabulaire ou constituer un lexique est une première étape nécessaire mais insuffisante. Le vocabulaire que l'on maîtrise est d'abord celui que l'on utilise et que l'on réutilise dans des contextes différents.

Les mots-clés sont des entrées qui facilitent des apprentissages. Écrire à partir de consignes précises (écrire avec une liste de mots ou d'expressions imposées) pourrait permettre de débloquer des situations. Il est également possible d'aider l'élève à intégrer dans ses écrits des passages empruntés : il s'agit alors pour lui de reprendre pour transformer.

  • Clarifier la destination de l'écrit demandé à l'élève. Lorsque l'élève répond à une commande (exemple : raconter la journée type d'un citoyen athénien), le plus souvent, rien n'est dit sur la destination de ce paragraphe attendu : sera-t-il confronté à d'autres écrits d'autres élèves ? Sera-t-il ramassé par le professeur pour être noté, évalué ? Restera-t-il dans le cahier de l'élève comme une trace d'un travail personnel sans statut précis, écrit auquel sera joint un résumé « officiel » ? Loin d'être secondaire, cette première question est essentielle car elle permet un positionnement de l'élève face à l'activité demandée : écrit-on pour soi ? Les autres (ses camarades) ? Le professeur ? Un public ? Est-ce un écrit brouillon ou un écrit « officiel » ? Des réponses à ces questions découleront des attitudes différentes des élèves et donc des productions différentes.

Ce qui est en jeu est le sens donné à l'exercice. « Pour produire un discours construit, il ne suffit pas de maîtriser les formes du discours, il faut avoir le désir d'être quelqu'un, le désir de dire quelque chose qui soit entendu, repris, travaillé, questionné par la parole des autres. Est auteur celui dont le point de vue circule, existe dans la pensée de l'autre, le fait penser. On devient auteur pour et par les autres »[42].

  • Penser l'articulation entre oral et écrit : dans notre discipline, la continuité entre oral et écrit doit être pensée. Si l'oral est un temps d'appropriation collective des idées, il est évanescent. Quant à l'écrit, il permet lui un temps d'appropriation individuelle. Le passage de l'un à l'autre gagnerait à être pensé car ce sont deux éléments incontournables dans la construction d'une pensée. Ainsi, la lecture orale d'un écrit individuel est-elle utile ? Pour l'élève producteur peut-être ? Mais pour les autres ? À quelles conditions pourrait-elle le devenir ? à condition d'être reprise par les autres élèves ? d'être reformulée ? d'être décortiquée par le professeur pour créer une mise en commun et enfin un réexamen par l'élève de son propre texte à partir d'une grille d'analyse élaborée collectivement ?

L'alternance entre écoute et écriture, la prise de notes en direct ou en différé, l'importance des brouillons qui ont quasiment disparu de la panoplie de l'élève sont des pistes de travail à envisager.

  • Repenser l'évaluation : l'évaluation de l'écrit ne se limite pas à l'orthographe, la syntaxe ou la grammaire. Elle doit être l'occasion de fixer des objectifs de travail à l'élève, objectifs modestes, adaptés à sa situation pour lui permettre de progresser. À cet égard, l'enseignant doit étayer l'élève d'outils qui lui permettront de surmonter les obstacles rencontrés.

Pour mettre en œuvre ces objectifs, les modalités de travail sont diverses : travail individuel, travail de groupe... Dans le cadre de ce dernier, il est possible de travailler sur le discours d'un pair[43], ou de penser la collaboration entre élèves pour construire un récit ou reformuler le récit du professeur.

Ce qui demeure essentiel : l'ambition qui stimule et motive l'élève.

 
Relecture par Olivier GRENOUILLEAU, IGEN,
Brigitte FOUCAUD, Franck PICAUD et Gaël REUZE, IA-IPR.



Consulter la bibliographie
 

[1] Ouvrage collectif, Les historiens, Patrick CABANEL, article « Michelet », Armand Colin, 2003, p.13. Patrick Cabanel souligne bien que si l'oeuvre de Michelet ne peut se réduire à son style « d'historien-pour-les-écrivains- elle ne saurait se limiter à cette dimension. Enfin, Patrick Cabanel pose sans y répondre la question suivante : « quel historien peut prétendre durer un peu, s'il n'a d'abord été aussi un véritable écrivain ? »( Ibid., p. 24 et 26.)

[2] Christian DELACROIX, « Ecriture de l'histoire », in Ch. DELACROIX, François DOSSE, Patrick GARCIA et Nicolas OFFENSTADT, Historiographies, Concepts et débats, Folio Histoire, 2010, p.732.

[3] Lucien FEBVRE, Vivre l'histoire, Edition établie par Brigitte Mazon et préfacée par Bertrand Müller, Robert Laffont, Armand Colin, Collection Bouquins, 2009, p. 22.

[4] Lucien Febvre, Ibid., p. 25.

[5] François BOURGUIGNON, « L'écriture de l'histoire : le discours en question », in L'histoire aujourd'hui, Editions Sciences humaines, 1999, p.365.

[6] Christian DELACROIX, « Ecriture de l'histoire », Ibid., p.735.

[7] Michel de CERTEAU, L'écriture de l'histoire, Gallimard, 1975. ; Paul RICOEUR, Temps et récit, Le Seuil, 1983.

[8] Gérard NOIRIEL souligne le caractère protéiforme du tournant linguistique (de nombreux courants qui accordent une place au langage) et se plaît à souligner également le faible nombre d'études historiques s'inscrivant dans cette école. Gérard NOIRIEL, Sur la « crise » de l'histoire, Folio histoire, p. 154 et suivantes.

[9] François BOURGUIGNON, Ibid., p. 366.

[10] Christian DELACROIX, « Ecriture de l'histoire », Ibid., p.738.

[11] Roger CHARTIER, Le Monde, 18 mars 1993

[12] Krzysztof POMIAN, « Histoire et fiction », Le Débat, n° 54, mars-avril 1989, p.114-137.

[13] Antoine PROST, Douze leçons sur l'Histoire, 1996, p. 263-282.

[14 Antoine PROST, Ibid., p. 277.

[15] Georges DUBY, Guillaume le Maréchal, Fayard, 1984.

[16] Antoine PROST, Ibid., p. 277.

[17] Antoine PROST, La mise en intrigue est essentielle pour l'historien, entretien avec Antoine Prost, L'histoire aujourd'hui, Editions Sciences humaines, 1999, p. 371.

[18] Antoine PROST, Ibid., p. 372.

[19] Le propos sera émaillé de questions auxquelles nous ne prétendons pas apporter de réponse. Mais le fait de les poser devrait permettre de questionner nos pratiques de classe.

[20] Programmes d'histoire-géographie-Education civique, BO du 28 août 2008 et Fiches Eduscol, Comment faire maîtriser l'expression écrite et orale par chaque élève ? Eduscol, ressources et documents pour faire la classe.

[21] Dans les capacités attendues des élèves de Lycée, on trouve « décrire et mettre en récit une situation historique ou géographique », « rédiger un texte ou présenter à l'oral un exposé construit et argumenté en utilisant le vocabulaire historique et géographique spécifique », « développer un discours oral ou écrit construit et argumenté » (Programmes de la classe de Seconde, BO spécial N°4 du 29 avril 2010 programme de la classe de Première générale, BO N° 9 du 30 septembre 2010)...

[22] Les commentaires accompagnant les programmes de 1996 mettent l'accent sur l'importance de l'écrit. (Enseigner au Collège, Histoire-Géographie-Education civique, Programmes et accompagnement, édition originale 1996, réédition 2004, CNDP, p. 32).

[23] Parmi les items de la compétence 1, on notera tout particulièrement la capacité à rédiger un texte bref, cohérent, construit en paragraphes, correctement ponctué en respectant des consignes imposées.

[24] Attention l'oral ne se limite pas à la production d'un récit.

[25] Jean-Charles CHABANNE, Dominique BUCHETON, Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire, PUF, 2002, p. 26.

[26] Jean-Charles CHABANNE, Dominique BUCHETON, Id., p.34.

[27] Ainsi, dans le cadre de l'accompagnement personnalisé ou d'autres dispositifs d'accompagnement des élèves, la réalisation d'un journal quotidien des apprentissages permettrait aux élèves d'entrer dans un usage complexe et scriptural de l'écrit. Jean-Charles CHABANNE, Dominique BUCHETON, Id., p. 141.

[28] Jean-Charles CHABANNE, Dominique BUCHETON, Ibid., p.12. Dans le même ordre, prendre la parole, c'est prendre un risque.

[29] Le lien entre oral et écrit sera abordé dans la suite de ce propos.

[30] Ce constat s'appuie sur les 500 inspections que j'ai réalisées dans notre académie depuis 5 années. Il s'agit partant de ce constat de s'interroger sur pratiques d'écriture en classe d'histoire. Nulle critique ici : le propos entend nourrir la réflexion autour des pratiques de l'écrit et de leur nécessaire diversification.

[31] La place du brouillon - ou son absence- pourrait faire l'objet d'une réflexion car le brouillon permet de préparer, construire, défaire, reconstruire son écrit.

[32] Entre prise de notes et écriture littéraire, des passerelles pourraient être mises en place pour favoriser le réinvestissement des savoirs. De même, que des temps de confrontation des prises de notes pourraient être instaurés.

[33] Au lycée, on parle davantage de problématique, au collège, une « bonne question » est largement suffisante.

[34] De nombreuses copies de Brevet des collèges montrent l'absence de dates, de noms d'acteurs, de lieux... aboutissant à des paragraphes « argumentés » anhistoriques alors même que le candidat connaît les repères qui sont évalués dans la troisième partie de l'exercice. Il y a là une déconnexion qui doit attirer notre attention.

[35] Cette exigence est plutôt celle du lycée.

[36] Ecrire en Lycée professionnel, p. 4.

[37] A cet égard, la lecture des ressources Ecrire en lycée professionnel (Bac professionnel) disponibles sur Eduscol peut offrir des pistes intéressantes. (Ecrire en lycée professionnel, Eduscol, mai 2009, 12 pages). L'écrit long est intéressant en ce qu'il s'intéresse aux processus d'écriture.

[38] L'écriture dite augurale peut permettre de vérifier des acquis que la leçon va consolider et pourra être reprise en fin de séance pour être enrichie...

[39] L'écriture intermédiaire peut être issue de la confrontation de documents, du récit du professeur...

[40] Sans toujours conserver les traces de ces écrits successifs malheureusement sauf à utiliser la fonction suivi des modifications d'un texte. L'utilisation de l'outil informatique ne doit pas obérer l'importance de la maîtrise de la calligraphie par chacun et aussi de la maîtrise minimale de l'orthographe sans la béquille pérenne du correcteur automatique...

[41] Ecrire en Lycée professionnel, p. 3.

[42] Jean-Charles CHABANNE, Dominique BUCHETON, Ibid., p.43.

[43] Les spécialistes appellent ceci l'hétéroglossie.

 
auteur(s) :

Françoise JANIER-DUBRY, IA-IPR

éditeur(s) :

Claudie Ferchaud

information(s) pédagogique(s)

niveau : tous niveaux

type pédagogique : article

public visé : chef d'établissement, enseignant

contexte d'usage :

référence aux programmes :

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histoire-géographie-citoyenneté - Rectorat de l'Académie de Nantes