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enseignement explicite - conférence de J. Bernardin

compte-rendu de conférence

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Cette conférence de Jacques Bernardin sur l'enseignement explicite a été donnée dans le cadre de la formation REP+ en octobre 2016.


I. Rappel historique

  • Années 70 : ouverture massive de l'enseignement à tous les élèves. Bourdieu inaugure l’idée d’ « indifférence aux différences » : on suppose que tous les élèves ont les mêmes bagages culturels, ce qui conduit à la transformation des inégalités sociales en inégalités scolaires. Il préconise une pédagogie rationnelle et explicite. 
     
  • 1975 : Bernstein dénonce la pédagogie invisible centrée sur le développement de l'enfant, présupposant que l'apprentissage découle de l'effectuation de tâches. Ces pratiques sont opaques pour les milieux populaires et en opposition avec leurs pratiques sociales. Cette critique est reprise par Perrenoud qui questionne les pédagogies nouvelles.
     
  • Années 90 : la microsociologie questionne l'idée de "handicap sociologique" qui va chercher les failles du côté des familles et non du côté de l'école. Interrogation aussi sur les écoles ayant des résultats atypiques : d'où viennent les résultats notoirement positifs de certains ?
     
  • Recherches récentes : l’équipe Escol avec Charlot, Bautier et Rochex, mène une réflexion autour de deux questions clefs : pour réussir, il faut le vouloir : quel investissement du côté élève ? Que croient-il qu'il faut faire pour réussir ? On peut résumer et simplifier leurs recherches autour de deux positionnements différents : 
     
  1. Les élèves en difficulté scolaire considère qu’ « il faut » apprendre (c’est les parents qui veulent, c’est comme ça…) : il s’agit donc d’une injonction externe pour 52% d’entre eux. Ils voient l'école comme un passage obligé pour réussir, les savoirs sont jugés comme "utiles" ou non, sont considérés comme des objets extérieurs. Le rapport à l'activité d'apprentissage se fait sur le mode du tout ou rien, sur l'effectuation de la tâche, sur des tâches parcellaires (forte dépendance à l'enseignant) : ils n’ont pas de régulation possible de la tâche car ils ne savent pas réellement ce qui est demandé.
     
  2. Les élèves qui réussissent mieux passent par l'implication personnelle : apprendre est un processus. Ils mettent en rapport les situations avec les contenus d'apprentissage, savent opérer une distanciation, une régulation, une objectivation : ils développent donc une autonomie par rapport au travail et à l'enseignant.
     

II. Du côté enseignant 

Aujourd'hui, les enseignants ne sont plus « indifférents aux différences » : ils cherchent à différencier, aider les élèves en difficulté, veiller à ce qu'ils aient fait tout le travail... Mais cela est parfois contreproductif. 

a. La différenciation à l'œuvre

Les enseignants cherchent à motiver : soigner la présentation des tâches, donner des exemples proches de la vie quotidienne… La motivation des élèves se poursuit-elle par une mobilisation cognitive ? Il peut y avoir brouillage.Les enseignants cherchent aussi à s'adapter au niveau des élèves en difficulté : 
- en simplifiant :  simplifier la consigne à leur insu (exemple : la consigne "trace la bissectrice" devient "fais un trait de là à là"), réduire les textes et le programme : on finit par réduire les exigences et renvoyer de fait à une logique de groupes de niveaux.
- en segmentant : faire faire la tâche par petits morceaux, ce qui conduit à émietter, diluer le sens.... Jusqu'où peut-on réduire l'activité sans la dénaturer ?
 
Ils peuvent aussi vouloir aider davantage les élèves en difficulté, ce qui enkyste les problèmes car plus on aide, plus il faut aider. Exemple : le remplacement de leçons par des fiches individuelles de micro tâches sont pas de réels temps d'apprentissage mais permettent de « tenir » les élèves. Il y a donc une différenciation active qui accroît les différences entre les uns et les autres.

S’y ajoute une différenciation passive : faute d'anticiper les  obstacles prévisibles, on risque de leur faire des apports uniquement dans le sens de la réalisation de la tâche et non dans celui de son enjeu. On en arrive ainsi à une "pédagogie de l’abstention pédagogique" (expression de Bourdieu et Passeron).
 

b. Une illusion de transparence

Ces processus reposent sur une illusion de transparence :  
- Transparence des situations : les élèves sont mis au travail sans éclaircissement de l'enjeu. Les élèves ne font pas la même activité puisque ceux qui sont capables d'en voir l'enjeu l'effectuent dans une autre posture
- Transparence des processus d'apprentissage : l’idée que le travail s'arrête dès qu'il est achevé, sans retour sur le travail, est très présente du côté des élèves en difficulté, alors que c’est ce retour réflexif qui est bien souvent au cœur des processus d’apprentissages (exemple personnel : « mais à quoi ça sert la correction Madame ? » )
- Transparence des contenus en jeu : la phase conclusive finale, qui sert bien souvent à institutionnaliser le savoir, est trop rapide : beaucoup d'élèves passent à côté. Le moment de ressaisie, très court, n'est effectué que par l'enseignant et quelques élèves déjà au cœur des apprentissages. Ainsi, lorsqu’on demande des retours sur ce qu'on a fait aux élèves, certains s'arrêtent au niveau du dispositif ou de l'habillage de l'activité (« on a découpé/collé » quand 
on a classé des types de propositions par exemple…)
 

III. Des objets d'attention 

Il y a plusieurs moyens d’améliorer ces difficultés. Par exemple, les situations qui mettent en scène le débat de preuves sont plus intéressantes pour  l'apprentissage, pour la compréhension partagée et les méthodes de travail. Voici quelques points particuliers qui méritent notre attention : 
 
a. L'infra-didactique 
 
C’est ce qui est sous-jacent à la didactique, les procédures que nous avons automatisées et que nous devons repérer dans les difficultés des élèves : il faut libérer les élèves de tâches de bas niveau pour qu'ils soient disponibles pour les apprentissages : 
- Les habiletés motrices : utiliser des ciseaux, tracer des traits, utiliser les crayons.... À faire en maternelle, mais ce n'est pas un acquis pour tous en 6e. 
- Les repères d'organisation : où on écrit quand on a fini la ligne, où on colle, le manque de repérage dans les activités... Ces difficultés méritent qu'on s'arrête : "Alfred demande où on écrit ceci, quelle réponse pourrait-on lui apporter ?" Jusqu'à la Toussaint, il faut mettre en place les habitudes de travail : la lenteur sur le début de l’année est nécessaire. 
- Les techniques de travail
  • écouter les consignes : il faut les sevrer de la répétition, les empêcher de retarder la mise à la tâche. L’écoute de la consigne permet d'anticiper ce dont on va avoir besoin, les objets matériels ou la procédure spécifique : il faut le leur expliquer et prévenir les élèves que la consigne ne sera pas redite : "je ne sais pas, le temps de la consigne est passée"… et tenir bon !
  • copier : les élèves qui se plaignent le plus sont ceux qui ne voient pas l'intérêt de la copie (ça sert à « bien se tenir » ou à « éviter les photocopies »...). Il faut montrer que la copie sert à structurer le savoir. On peut initier les élèves à la copie différée afin d'apprendre à copier vite : libérer l’élève du déchiffrage, de l'attention à l'acte graphique pour qu’il soit plus attentif au contenu.
  • apprendre une leçon : interroger sur la façon de réviser et compiler les réponses.
    Ex. Un atelier "accompagner au travail autonome" réunit parents et enfants sur la base du volontariat à Gennevilliers. On explique qu’avant les devoirs il faut apprendre la leçon ; pour apprendre la leçon il faut d'abord l'avoir écoutée durant le cours ; puis on demande aux élèves de faire une fiche synthétique de la leçon avec les outils qu'ils souhaitent (fluo...) ; les élèves doivent ensuite imaginer ce que le professeur va faire comme contrôle, puis refaire la fiche synthèse à la mesure des attendus possibles du professeur... Cet atelier a permis aux élèves de progresser et aux parents de savoir comment intervenir pour aider leurs enfants. 

b. L'apprentissage de la lecture et de l'écriture

La lecture, en particulier la compréhension : certains élèves réduisent la lecture à l'identification successive des mots (cf. Bernard Lahire, Culture écrite et inégalités scolaires) : si on ne fait travailler les plus faibles que sur des unités de mots et d’infra-mots, ils ne font pas le travail de compréhension. L'accès au sens du texte ne découle pas naturellement du déchiffrage. Ainsi, dans Lire et écrire au CP, Goigoux a mesuré que seulement 15% du temps total de lecture d’un texte sont consacrés à la compréhension, et la moitié de ce temps consiste en une vérification individuelle par écrit.
 
Pistes pédagogiques : 
- Au cycle 2, des échanges autour de textes lus par l'adulte pour récapituler les personnages et l'histoire et repérer les états mentaux des personnages afin de dévoiler l'implicite, à poursuivre au cycle 3 par des textes littéraires : le niveau de compréhension des textes lus est très lié au niveau de compréhension des textes écrits ; 
- le dévoilement des stratégies de lecture pour aller vers l'auto contrôle, travailler les compétences syntaxiques (ex. cacher la phrase pour permettre une élaboration du sens), récapituler ce qu'on a vu dans un paragraphe, à la fin du texte ; on peut systématiser les résumés écrits à la fin des textes travaillés ; 
- un autre rôle des questions : les élèves en difficultés ne font que les questions simples de prélèvement (s'ils ont le temps de le faire) et ne savent pas faire d’inférences complexe ni ne savent donner leur avis sur les textes. Il faut considérer que la leçon commence lorsqu'on reprend les réponses : ex. demander aux élèves de pointer un endroit du texte après relecture très rapide pour justifier une bonne réponse ; mettre en relation deux données du texte pour pouvoir affirmer telle ou telle chose ; travailler enfin les inférences entre le texte et ce que l’élève sait déjà. 
 
Remarque personnelle : Une méthode d’apprentissage de ces stratégies est disponible, il s'agit de Lector & Lectrix de Sylvie Cèbe et Roland Goigoux.
 
L'écriture : comment écrire un texte ? Il faut enseigner : 
- La phase pré rédactionelle pour poser la question des destinataires, qui peut aller jusqu'à "de quoi va-t-on avoir besoin" (base de mots utiles...)
- Le processus de production (cf. Refonder l'enseignement de l'écriture de Dominique Bucheton) avec lecture à voix haute, souligner les expressions qui vous plaisent dans tel ou tel premier jet... Faire comprendre que l'écrit est le résultat d'un travail et non de l’inspiration ou du génie !
- La relecture est indispensable pour mieux se faire comprendre des lecteurs : lecture mutuelle ; laisser reposer le texte avant de le reprendre ; relecture ciblée en fonction des difficultés des élèves…
 
La mise en avant de la fonction cognitive de l'écrit peut s’effectuer dès le cycle 3. Le langage réalise et structure la pensée d'après Vygotski. Les élèves pensent qu'écrire sert à dire ce que l'on pense alors que ça sert à penser.
 

c. L'approche des notions et concepts

L'enseignement direct des concepts est quasi toujours inefficace. Le langage opère par la médiation des autres et via un processus socio-construit. Il y a nécessité d'analyser les erreurs des élèves et de mener une réflexion épistémologique. Les élèves sont parfois encombrés de ce qu'ils croient savoir.
Remarque personnelle : l'ouvrage Elève chercheur, enseignant médiateur ou tout autre travail de Britt-Mari Barth permert d'approfondir la question. 
 

IV. Quand expliciter ou faire expliciter ? 

Lors du lancement de l'activité
- Situer la séance
- Présenter la consigne en faisant à voix haute ce que chacun devra ensuite faire seul dans sa tête : lecture, anticipation...
 
Au cours de l'activité
- Favoriser l’identification du problème : identifier le but cognitif au-delà du but opératoire (c’est ce que les didacticiens des mathématiques appellent le processus de dévolution, le problème devient celui de l'élève). Certains dispositifs le permettent : ainsi, si on demande aux élèves de classer des mots, on verra apparaître et entrer en conflits plusieurs types de classement (sémantiques, par familles…) jusqu’à ne pouvoir retenir que le classement alphabétique. Les élèves, en débattant, sont au cœur du but cognitif poursuivit par l’enseignant. Remarque personnelle : on est ici proche de la démarche d'autosocioconstruction de savoir élaborée dans les années 70 par le GFEN dont Jacques Bernardin fait partie. Un ouvrage tel que (Se) former par les situations-problèmes, de Michel Huber et Alain Dalongeville, permet d'en aborder les méthodes. 
- Demander aux élèves de justifier leurs propositions : permet de publier les propositions et de les examiner de façon critique. ex. Comment se rappeler de l'écriture du mot "longtemps" ? Les élèves proposent différentes solutions : analyse phonologique, approche sémantique, approche avec une famille de mot, origine latine du mot.... 
- Pousser les élèves à débattre : étayer la coconstruction : la différence de point de vue est un stimulant intellectuel qui donne "à la raison des raisons d'évoluer" (Bachelard). Ex. Énoncé de problème : « Maman va au marché elle achète 3 pommes, 2 bananes et 3 oranges. ». Première surprise des élèves : il n'y a pas de question ! On fait dessiner l'énoncé et déjà il y a discussion sur ce qu'il est important de représenter pour comprendre (maman ? Ou plutôt les fruits ?) 
 
Lors du temps d'institutionnalisation : faire comprendre aux élèves qu’on peut échouer la tâche et réussir l'activité si on a compris. Ex. travail sur les causes et conséquences en 5ème et 4e : séance avec des propositions à classer (le critère trouvé par les élèves devient celui de la cause et de la conséquence), à relier (une cause entrainant une conséquence), puis il faut changer les flèches par des mots. Dernière question : « Pierre pleure, ses camarades se moquent de lui » : " Pierre pleure " est une cause ou conséquence ? Les élèves savent dire alors que ça dépend.
 

Conclusion

Il faut plus insister sur les mécanismes infimes de l'appropriation du savoir que sur cette dernière (cf. conclusion de Lahire, Culture écrite et inégalités scolaires). 

Pour approfondir :

 
Le rapport à l’école des élèves de milieux populaire, Jacques Bernardin 
Culture écrite et inégalités scolaires, Bernard Lahire, 
Refonder l’enseignement de l’écriture, Dominique Bucheton, pour le travail du brouillon et une grille d’évaluation des écrits
Britt-Mari Barth si vous vous intéressez à la question de la conceptualisation (comment faire construire réellement les concepts par les élèves)
L’équipe Escol sur le rapport à l’école et au savoir des élèves en difficulté scolaire: Charlot Bernard, Bautier Elisabeth, Rochex Jean-Yves, Ecole et savoir dans les banlieues... et ailleurs dont on trouve sur Persée, un compte-rendu critique par Bernard Lahire 
Sur la différenciation active, passive, et “l’abstention pédagogique” : article de Rochex lisible ici
Un article personnel sur le travail du brouillon inspiré par les travaux de D. Bucheton (entre autres), en ligne ici
 
 

 

 
 

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