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histoire des Juifs de France (1)

enseigner l'histoire de l'antisémitisme en Allemagne et en France,

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Stage académique au lycée Bergson à Angers, 11 et 12 janvier 2016 en partenariat avec le Mémorial de la Shoah. Deux mille ans de judaïsme en France par Philippe BOUKARA, historien et formateur au Mémorial de la Shoah.

L’histoire des Juifs de France s’inscrit à l’intersection de l’histoire du pays et de celle de la Diaspora juive. Bien avant que la nation française ne se cristallise en tant que telle, des communautés juives habitaient sur son sol et ont été mêlées à chaque étape de la construction de l’Etat.

Cependant, certaines franges de l’opinion publique perçoivent aujourd’hui les Juifs de France comme des étrangers et, paradoxalement, ceux-ci ont fort peu la conscience de leur ancrage ancien dans l’histoire et la géographie du pays. La grande majorité d’entre eux sont en effet issus d’une immigration de Méditerranée ou d’Europe centrale, et réagissent selon le syndrome de l’immigré : ils ont l’illusion d’être les premiers Juifs dans une contrée nouvelle. Seuls les Juifs d’origine alsacienne ou lorraine ont le sentiment d’une continuité de la présence juive, mais cette minorité dans la minorité ne suffit pas à combler les lacunes de la mémoire collective.

Les Juifs de France ont non seulement participé depuis toujours à l’histoire de la France, mais ils ont aussi joué un rôle éminent dans l’histoire juive mondiale, hors de proportion avec leur nombre toujours relativement modeste. L’écriture de l’histoire n’échappe pas à des considérations de conjoncture politique, de rapports de forces sociaux qui induisent un privilège donné au point de vue de certains acteurs des évènements. C’est pourquoi la sensibilité dominante dans l’historiographie juive d’aujourd’hui est celle des Juifs de l’Europe centrale, prolongée par celle des Juifs des États-Unis, issus d’une même matrice culturelle : elle prend mal en compte l’expérience judéo-française spécifique, sorte d’avatar d’une exception culturelle plus globale.

La première constatation qui s’impose à l’historien est donc la longue durée de la présence juive - 2000 ans - et sa dissémination sur tout le territoire. 2000 ans : c’est en effet au 1er siècle de l’ère chrétienne que Flavius Josephe mentionne la captivité en Gaule de princes de Judée ; puis, graduellement, les premiers immigrants venus de Méditerranée remontent de plus en plus vers le nord. Dissémination : la multiplicité des rues des Juifs, rues de la Juiverie, rues de la Synagogue... dans des lieux où il n’y a pas aujourd’hui de population juive atteste que jadis existait une communauté, toujours d’ailleurs située en vieille ville. Dans les années 1990, un maire du Languedoc a décidé de débaptiser la rue des Juifs de sa ville par égard pour ses administrés appartenant à la confession minoritaire ; il suscita la protestation de Gibert Dahan, grand spécialiste de l’histoire médiévale des Juifs de France, qui souligna à quel point de tels toponymes avaient valeur de patrimoine historique. L’historien Henri Gross a publié en 1897 un ouvrage majeur, Gallia Judaica, recensant toutes les localités françaises citées dans des écrits rabbiniques anciens : un résumé de toutes ces citations est donné par lui dans l’ordre alphabétique des noms de villes retranscrits dans l’alphabet hébraïque. De même, les éléments juifs du patrimoine matériel national sont de mieux en mieux pris en compte, comme le Monument juif mis à jour en 1976 sous le Palais de justice de Rouen ou les nombreuses synagogues d’Alsace et du Comtat Venaissin devenues pôles de tourisme culturel. Les musées régionaux contiennent de nombreux objets et documents se rattachant au passé juif local, que le Musée parisien d’art et d’histoire du judaïsme, créé en 1998, a évité de centraliser dans la capitale pour ne pas effacer cette insertion opportune : ainsi, a été seulement prêté temporairement l’Arche sainte de la synagogue de Saint Paul Trois Châteaux, de style français du XVe siècle, tandis qu’une pierre tombale avec inscription hébraïque provenant des monts d’Auvergne et de la même époque fait partie des collections.

Un premier « âge d’or » médiéval

Le judaïsme français médiéval participe d’une manière fascinante à l’émergence de ces deux grands modèles qui structurent le monde juif jusqu’à nos jours, les modèles ashkénaze et sépharade. La vallée du Rhin, sur sa rive alsacienne et lorraine comme en Rhénanie allemande, fut en effet le berceau de la langue judéo-allemande (le yiddish) qui n’a produit que postérieurement ses dialectes orientaux, dans les pays de langues slaves. Le rabbin Guershom, né à Metz en 960, qui fut surnommé « la Lumière de la Diaspora », laissa une forte empreinte sur le droit rabbinique universel - par exemple en interdisant formellement la polygamie dans les communautés ashkénazes et en améliorant les droits des femmes en matière de divorce.

Parmi les élèves de ses élèves figure le plus illustre des rabbins français, Rachi de Troyes (vers 1040-1105). Salomon Ben Isaac est l’auteur d’un commentaire sur l’ensemble de la Bible et du Talmud qui est reconnu comme fondamental par l’ensemble du monde juif. Rachi explique par des mots français les mots difficiles du texte hébreu ; certains de ces mots, retranscrits dans l’alphabet hébraïque, intéressent les linguistes modernes parce qu’on ne les trouve pas dans les rares sources romanes d’époque (le latin seul étant langue d’écriture).

Salomon ben Isaac (1040-1105) . Commentaire du Pentateuque, manuscrit XII-XIVe (source : Gallica)

Les commentaires de Rachi ayant été écrits par ses élèves puis recopiés de génération en génération, les mots français sont devenus incompréhensibles aux générations qui ont suivi l’expulsion des Juifs de France et ont été déformés ; c’est pourquoi au XIXe siècle, le savant James Darmesteter en a recherché les versions les plus anciennes pour établir le texte de manière fiable. L’oeuvre de Rachi semble, aux yeux des érudits, imprégnée d’un esprit de clarté typiquement français - apportant donc au savoir juif universel une contribution spécifique. Il semble aussi que le promoteur de l’hébreu moderne, Eliezer Ben Yehouda (1858-1922), se soit inspiré de ses gloses françaises pour fixer des termes nouveaux, par exemple le mot misrad pour dire bureau, à partir du mot srad, nom du tissu porté par le grand prêtre dans la Torah, qui signifie bure (mot français ayant lui-même donné le mot bureau) selon Rachi... On notera aussi les larges emprunts faits à Rachi par le franciscain Nicolas de Lyre (1270-1349), dont l’oeuvre exerça une forte influence sur Luther.

Plusieurs générations après la mort de Rachi, ses disciples, parmi lesquels ses gendres et ses petits-fils, ont composé des suppléments (Tossafot) à ses commentaires qui constituent un système complet de références faisant toujours autorité dans le monde de l’exégèse juive. Les noms de certaines localités modestes ou carrément oubliées, comme Coucy, Ramerupt ou Beaugency, sont restés familiers à ceux qui étudient le Talmud partout dans le monde... Aux XIe et XIIe siècles, le judaïsme français se trouve ainsi au centre de tout le judaïsme mondial, à une époque où le centre babylonien (prolongé à Bagdad) est entré en déclin, et où le nouveau centre espagnol n’a pas encore atteint son apogée. Les rabbins baptisèrent alors la France du Nord Tsarfat, du nom d’une cité phénicienne située entre Tyr et Sidon, mentionnée dans le Livre des Rois puis dans la prophétie d’Ovadia et dans l’Evangile de Luc (sous le nom de Sarepta dans les traductions françaises) - terme toujours en usage en hébreu moderne. D’où le vocable Sarfati utilisé pour désigner les Juifs originaires de France réfugiés en Afrique du Nord (patronyme répandu parmi les originaires d’Afrique du Nord installés en France dans la seconde moitié du XXème siècle, comme est répandu le nom Narboni, porté par des descendants d’expulsés du Languedoc).

Si les Juifs de la France du Nord ont été mêlés à la naissance et au développement du modèle ashkénaze, ceux de la France du Sud ont été partie prenante à l’épanouissement du modèle sépharade. Les médecins de Montpellier, les traducteurs de Lunel (notamment les Tibbonides père et fils ) ont contribué brillamment à la circulation des idées entre le monde chrétien et le monde musulman (alors dépositaire de la sagesse grecque). Le philosophe provençal Gersonide (1288-1344), le mystique Moïse de Narbonne et les grammairiens Joseph et David Kimhi, de la même ville, sont quelques-uns de ces savants juifs universellement reconnus qui œuvrèrent dans le pays d’oc au même niveau que leurs collègues du pays d’oil à la même époque.

La situation des Juifs en France du Nord a connu une détérioration sensible à partir du XIIe siècle. L’accusation de crime rituel de Blois en 1171 est la première d’une longue série. Accusations de profanation d’hosties puis de propagation de la peste ( comme à Strasbourg en 1349, où les Juifs sont brûlés vifs puis seront interdits de séjour jusqu’à la fin du XVIIIe siècle ), représentation de la Synagogue aux yeux bandés (d’abord par un voile, puis par un serpent) sur le fronton des cathédrales, mythe du Juif errant, tardivement apparu - tout concourt à rendre de plus en plus précaire une présence dans le royaume de France qui s’achève officiellement avec l’expulsion décrétée en 1394 par Charles VI le Fou. Entre temps, en 1240, le rabbin Yehiel de Paris, dernier des Tossafistes (auteurs des Tossafot ) avait défendu en vain le Talmud contre le Juif converti Nicolas Donin, au cours de la Disputation de Paris, présidée par Blanche de Castille, qui aboutit en, 1242 au brûlement de 24 charretées de livres juifs en Place de grève. Ceux qui trouvèrent refuge dans le sud de la France furent à leur tour expulsés lorsque le royaume agrandit son assise territoriale (expulsion de Provence de 1501). Le royaume de France avait donc procédé de la même manière que le royaume d’Angleterre un siècle plus tôt, celui d’Espagne en 1391 et 1492, et celui du Portugal en 1496, nouveaux Etats centralisés identifiés comme chrétiens.
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