Le problème, c'est quoi ? C'est que l'oral est un exercice très difficile pour tous. Le professeur mesure combien c'est utile, il en connait les enjeux, qu'en est-il de l'élève ? Il voudrait faire, bricoler, tester, mettre la main à la pâte, mais réfléchir... avec des mots ... se concentrer... faire l'effort d'écouter - car écouter demande un effort - essayer de comprendre ce que l'autre dit mal, de s'ouvrir à la pensée étrangère, se poser des questions, chercher des réponses .... Je dois forcer pour faire rentrer les élèves dans cette activité qui n'en est pas une, qui prend (mange ?) du temps, qui provoque parfois des conflits (hé oui, ça arrive aussi), du temps pour s'écouter, pour laisser parler ceux qui ont des difficultés à parler, supporter les ennuyeux, attendre son tour, écouter les redites des inattentifs, subir les remarques du prof qui reprend, les bavardages qui empêchent de suivre, s'empêcher de rêvasser..
Et pourtant, la verbalisation écrite ne peut pas remplacer la verbalisation orale.
Et si la verbalisation orale est médiation, elle est aussi re-médiation : elle permet aux élèves qui sont passés à côté de la question soulevée de comprendre et de mesurer leur « échec » grâce à la confrontation productive.
La verbalisation orale permet de faire émerger naturellement les mots utiles à la compréhension des notions
La verbalisation orale fait prendre conscience de l'intérêt du réfléchir et communiquer. Certains élèves n'ont pas l'habitude de parler, de s'interroger alors que d'autres y sont habitués chez eux. Pour ceux-là, comprendre qu'on peut trouver un intérêt à pratiquer la réflexion et l'échange devient donc un objectif très important que l'écrit ne peut pas atteindre .
Certains élèves ont des facilités à s'exprimer mais des difficultés à écouter. Confrontés aux autres ils seront contraints à s'ouvrir , à remettre en question leurs préjugés, à sortir d'eux-même.
Participer à l'oral, c'est prendre des risques : risquer les moqueries, risquer de ne pas être compris ou mal compris, être seul face aux autres, ne pas se faire entendre, devoir répéter, accepter les avis contradictoires, se voir renié dans ses propos.
La verbalisation orale s'avère alors un moment privilégié de l'apprentissage de la vie en collectivité et de la citoyenneté.
Et puis, comment comprendre son travail quand les outils du vocabulaire manquent ?
La pratique leur fait pressentir, les prépare, les questionne mais les laisse perplexes. Pourquoi on a fait cela ? Pour quoi faire ? Ils sont mal à l'aise. Grâce aux mots, l'élève passe de l'intuition cernée par la pratique à la compréhension de la question.. Quand les élèves parlent, on sent la compréhension qui se tisse petit à petit, d'un mot à l'autre, d'une phrase maladroite à l'autre. Les élèves cherchent et circoncisent peu à peu la notion. Que s'est-il joué ? Qu'est-ce que l'enseignement veut nous faire saisir ? Ah oui, c'était ça, bien sûr. Et là, ça devient plus clair, les réalisations en classe prennent du poids, elles ont du sens, et les œuvres de références sont devenues accessibles.
Fréquemment, le cheminement est laborieux, difficile, souvent accompagné de chahut, et il semble que rien ne se soit passé, qu'aucun étincelle n'ait réussi à enflammer les débats et que la verbalisation ait avorté. Je me dis « à quoi bon dépenser tant d'énergie », faire « souffrir » mes élèves dans ce qui ressemble à un accouchement aux forceps de notions simplissimes. Et pourtant ... la verba est un travail de fourmi, fastidieux mais utile, qui, petit à petit, morceau par morceau, va amener les élèves à la compréhension, à la construction de connaissances, et lui permettre d'accéder au plaisir de la découverte. Car l'élève est vraiment heureux quand tout à coup il repère et comprend les enjeux d'un travail ou d'une œuvre de référence, et que ce qui était mystérieux tout à l'heure prend tout à coup du sens.
Les moments magiques Dernièrement, au cours d'une verbalisation suite à une séance de cinéma dans le cadre de Collège au cinéma », les élèves ont échangé à chaud sur le film. Un film sous titré, narration minimale, rythme lent, personnages peu loquaces, ce que les élèves n'ont pas manqué de remarquer. Plusieurs ont fait part de leur ennui durant la projection. Un élève est alors intervenu pour dire: - Oui, c'est lent et il y a beaucoup de silence, mais c'est bien parce que ça nous laisse le temps de réfléchir.
La classe s'est tue. Ce jour-là le silence en disait long...