constat
Ce travail a donc permis aux élèves de toucher du doigt l'importance de la place du spectateur dans l'œuvre, la façon dont il devient activateur de l'œuvre en y participant. La phrase de Duchamp « c'est le regardeur qui fait le tableau », qu'ils connaissaient bien, prenait ici tout son sens. L'interaction, dans ce projet, permettait de rendre sensible cette question puisqu'on pouvait voir trois parcours différents sur la même proposition grâce à trois spectateurs différents.
En revanche, il est clair que la question plastique du travail a été franchement laissée de côté par les élèves, trop absorbés par les aspects ludique mais aussi technique de leur réalisation.
Malgré mon insistance sur des liens plastiques entre les images, ils ont eu tendance à les plaquer l'une après l'autre pour des raisons pas toujours très connues d'eux-mêmes, même si certains ont néanmoins su expliquer qu'ils avaient fait apparaître une image morbide après celle d'un couloir sombre parce que le manque de clarté de l'image leur paraissait particulièrement sinistre, et d'autres faire référence à quelques formes qui en appelaient d'autres bien connues.
Ce projet aura donné lieu à quelques analyses d'images éparses parmi les groupes, mais la réflexion plastique, dans son ensemble, s'est avérée très décevante et insuffisante. Les élèves se sont focalisé sur d'autres enjeux (créer des hyperliens, perdre le spectateur) et ont oublié celui-ci. Faut-il penser que les moyens technologiques ne sont pas encore, pour eux, de véritables moyens plastiques ? C'est possible.
Néanmoins, ils ont su adopter une démarche artistique dans l'utilisation détournée de l'outil Impress. Ce n'est pas allé de soi. Beaucoup avaient tendance à se laisser guider par la présentation extrêmement formatée du logiciel et ont commencé par imaginer un parcours qui irait simplement de la diapo 1 à la diapo 2, puis à la 3, etc ...
Ayant ensuite compris le peu d'intérêt d'une telle proposition, ils ont vraiment cherché à produire un labyrinthe et ont ainsi commencé à jouer avec les codes du logiciel, mais aussi du diaporama. Certains ont ainsi souhaité ajouter du son et ont expérimenté les différentes façons de l'utiliser, en rapport avec l'image, en transition ...
remarques personnelles
J'ai trouvé globalement que, pour la plupart, les élèves étaient véritablement rentrés dans une démarche artistique : ils ont cherché à expérimenter les fonctions du logiciel, à les utiliser autrement, à découvrir d'autres possibilités, puis ont su ré-exploiter ce qu'ils avaient trouvé dans une optique de création, afin de réaliser une proposition nouvelle et inattendue, chacun cherchant l'utilisation qui lui conviendrait le mieux d'un logiciel surexploité d'habitude toujours de la même façon.
Il y avait donc des aspects très intéressants dans ce projet et je pense que les élèves, comme moi, y ont été sensibles : il leur a permis de mieux appréhender la question de la participation du spectateur et celle de la démarche créative.
Je reste cependant un peu déçue de la qualité plastique de leurs réalisations. Je crois que notre propos était trop vaste et qu'ils ont, intuitivement, cherché à concentrer leur attention sur les questions principales que posait le projet.
Ils ont ainsi évacué les problèmes de perception de l'espace à travers une suite d'images, se focalisant sur de vagues impressions d'atmosphères, portées par quelques couleur, forme ou luminosité. La question de la circulation et de la continuité du regard ne s'est pas posée pour eux, sans doute en raison de la fixité des images choisies : ils passaient d'une image à une autre, c'est-à-dire finalement d'un univers mental à un autre sans avoir véritablement besoin de les parcourir, d'y circuler. Ils n'ont manifestement pas perçu l'espace représenté et n'ont donc pas vu la nécessité de rendre spatialement cohérent le parcours proposé. Pas de continuité entre un espace et un autre, pas de fluidité dans le regard. Plutôt une espèce de zapping.
Peut-être pourrait-on résoudre ce problème en proposant au préalable des photocopies des photos aux élèves et en leur demandant de les associer, spatialement, pour présenter une sorte de maquette du lieu, de ses ouvertures, et des différents espaces sur lesquels elles donnent.
Peut-être aussi pourrait-on leur proposer de travailler à partir d'une maquette virtuelle d'un lieu simple mais contenant plusieurs angles morts, réalisée grâce à un logiciel comme Google SketchUp par exemple, et en leur demandant d'appliquer aux ouvertures prévues des images(photos) des lieux vers lesquels elles donneraient. Le spectateur pourrait alors se déplacer dans cet espace et en découvrir les possibilités de manière plus fluide, il ferait le lien plus facilement entre les différents espaces proposés. De toute évidence, il a été difficile à mes élèves de percevoir, à partir d'images bidimensionnelles, les questions d'espace posées par un lieu en trois dimensions, en particulier architectural. Passer par le biais d'une maquette, réelle ou virtuelle, les aiderait sans doute à identifier ce qu'est véritablement un parcours. Mais si cette dernière proposition peut se suffire à celle-même dans un projet mettant en jeu la participation du spectateur et la perception de l'espace, elle risque néanmoins de se heurter à la complexité des logiciels et à des difficultés techniques qui pourraient, là encore, détourner les élèves d'une véritable réflexion artistique et plasticienne.
Peut-être aussi n'était-il pas utile de rajouter aux autres questions déjà travaillées celle de la perception de l'espace et peut-être aurait-il été plus facile pour les élèves d'aborder une réflexion plastique sans cette complexité supplémentaire.