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Partage d’expérience BTS ou série STMG : L’art a-t-il une valeur marchande ?

mis à jour le 18/03/2023


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          J’ai voulu, en début d’année de BTS banque 1ère année, mettre en relation, dans un souci interdisciplinaire, des objectifs d’histoire des arts avec ceux des matières propres au BTS Banque : CGE (culture générale et expression), Gestion de la relation client et Développement et suivi de l’activité commerciale.

Cette volonté est née du constat du fossé culturel existant dans ces classes où une majorité d’élèves provient de filières professionnelles et considèrent que l’art est superflu. En effet, après sondage, j’ai constaté que presque la totalité des élèves n’est jamais entrée dans un musée. Malgré la diversité de l’offre et les efforts faits pour démocratiser la culture, l’accès aux biens culturels reste fortement inégalitaire, la fréquentation des musées et des salles de concert reste marginale et les jeunes, finalement assez peu portés sur la télévision, se tournent plus volontiers vers des loisirs numériques.

La pertinence de ce projet a trouvé sa justification dans les objectifs propres à l’histoire des arts. Ainsi, il avait pour but de permettre à la classe d’expérimenter la gestion de projet (répartition des tâches, gestion du temps, définition conjointe de l’intention de la réalisation, répartition des fonctions et des tâches, développement de l’esprit d’initiative…), de favoriser le travail en groupe et en autonomie, de faire découvrir aux élèves des métiers liés à l’art (conférencier, commissaire-priseur…), de les sensibiliser à la conservation des œuvres et à leur accrochage, de les initier aux questions liées à la médiation et à la communication, de travailler l’oral (prise de parole au sein d’un groupe et devant un public), de tous les amener à se questionner sur l’art en général et le rapport qu’ils entretiennent avec lui (ce que passe par maitriser le vocabulaire adapté à l’analyse de l’œuvre, passer de l’impression à l’avis nourri et à la création).


mots clés : séquence culture générale et expression, HDA, art, valeur de l'art, ap, projet


Partage d’expérience :
Peinture/ architecture/ Danse/ Théâtre/ Littérature (2021-2022),
classe concernée : BTS banque gestion clientèle, 1ère année (expérience adaptable aux 1ère, par exemple STMG),
L’art a-t-il une valeur marchande ?


Les étapes du projet :

1)      La découverte de l’art 

« Un tableau dans un premier temps, nous désapprend la parole et nous réapprend à voir » (Régis Debray, Voyage dans les mots).

Dans le cadre de la réflexion sur l’art, j’ai décidé d’entrer par une œuvre très connue, la plus chère au monde, un chef d’œuvre : Le Cri de Munch. En effet, entrer par ce tableau a permis d’aborder avec des élèves novices en arts deux problématiques : tout d’abord la notion de beau puis celle du public de l’art.

Déconstruire les lieux communs sur le beau : pour les élèves, les beaux tableaux doivent être bien dessinés, ce qui exclut une bonne partie de l’art contemporain et de la peinture du Moyen Age. Les élèves ont pu, avec la projection du tableau de Munch, échanger sur leur ressenti. Tous se sont accordés pour dire qu’ils ne le trouvaient pas beau. Ces constats passés, une étude plus approfondie du tableau a mis en lumière le travail et les volontés de Munch. Il leur est donc apparu que d’autres critères que leurs seules premières impressions entraient en compte dans l’approche d’un tableau (cote de l’artiste, rareté de l’œuvre…). Le déplacement est intéressant à faire, car il suppose des médiations pour dépasser une impression première.

Y-a-t-il un public pour l’art ? La réflexion sur le prix du tableau a permis une autre réflexion sur le lien entre l’art et le public. Y a-t-il un public pour l’art ? Ce deuxième questionnement a pris appui sur un corpus de textes (littéraires et scientifiques issus de Regards croisés BTS 1 et 2e années, Nathan) et une captation du ballet d’Egéa Tétris mêlant danse classique et hip hop. Le but était de montrer que si l’art est en principe accessible à tous, des connaissances permettent de mieux l’appréhender. Cette réflexion a mené à un débat en classe.

Initiation à la synthèse de documents : Pour cette entrée en matière sur l’exercice de la synthèse, les difficultés liées à la compréhension des documents ont pu être levées grâce aux travaux précédents et le cours peut s’orienter sur l’aspect méthodologique. Les étudiants utilisent les supports évoqués ainsi que des textes extraits de De la beauté de Zadie Smith (2005), La distinction de Bourdieu (1979) et la visite au Louvre dans L’assommoir de Zola (1876). Les étudiants s’orientent grâce à ce corpus vers la problématique : Y-a-t-il un public défini selon le type d’art ?

Création d’un blog : Suite à ces différentes réflexions, un travail numérique a été engagé par chaque élève : le travail étant pluridisciplinaire, il doit pouvoir être visé par plusieurs professeurs concernés, de différentes disciplines et de niveaux différents, nous avons donc choisi des moyens numériques pour le réaliser. L’expérimentation menée s’est donc fondée sur l’utilisation d’une plateforme type blog (avec l’outil Page d’e-lyco) facilitant les interactions sociales (les billets étant suivis d'un tachat). Les élèves qui ont participé au projet ont tous eu accès à un bloc sur une page d’e-lyco et commencé à rendre compte, à travers leurs billets, de tous les éléments en rapport avec le questionnement artistique du cours qu’ils pouvaient rencontrer et sur lesquels ils voulaient réfléchir (dans l’établissement ou en dehors). La consigne était simple : les élèves devaient tenter de situer les œuvres, de les décrire, de réagir par rapport à elles. Cette démarche en 3 points leur a permis de rédiger et de structurer un grand nombre de billets et a représenté la première étape vers une démarche critique. Ces blogs se complexifieront donc au fur et à mesure de l’année.

 

2)      Forger son jugement en avançant vers l’art contemporain « L’œil s’éduque par les mots » (R. Debray, Voyage dans les mots)

L’art pour affiner notre jugement critique : Quoi de plus étranger pour les élèves que la critique d’art ? Grandes sont les inhibitions qui empêchent les élèves de franchir le seuil de ce monde inconnu qui les attire peu. C’est pour rendre cet univers un peu plus familier que j’ai proposé une initiation à la critique d’art à partir de nombreux articles sur des œuvres d’art (tableaux, architectures, pièce de théâtre…)

Les élèves ont eu accès à un corpus d’œuvres, dont le célèbre Olympia de Manet, La naissance de Vénus de Cabanel, autoportrait de L. de Vinci… Mis dans une posture de visiteurs de musée, les élèves échangent entre eux leurs impressions : que voit-on, comment regarde-t-on, quelles représentations mentales a-t-on ? Leur première impression est la surprise : cette œuvre n’est pas belle, etc. Puis, il s’agit d’en rendre compte par écrit sans l’avoir sous les yeux. L’écrit, motivé par le souvenir ou l’absence de souvenir, va remplacer l’œuvre ou la recréer. Les élèves glissent ensuite dans la discussion vers une richesse interprétative que l’œuvre pourrait susciter s’ils disposaient d’outils de lecture. La lecture de corpus critique sur les œuvres (notamment Gautier, Zola et Leiris sur l’Olympia de Manet…, nous aurions pu user des critiques de Baudelaire ou des textes de Diderot sur Boucher …),  permet d’affiner le regard porté sur les œuvres. La réflexion est ensuite menée sur leur valeur. Ce premier travail est important pour que les élèves dépassent l’émotion pure pour aboutir à une réflexion critique et analytique ; il fait ressortir la nécessité de connaissances critiques et historiques pour appréhender une œuvre. Le débat, prenant appui sur les œuvres et le corpus critique permet alors une initiation à l’exercice d’écriture personnelle à partir de la question : l’art a-t-il une valeur marchande ? Les étudiants peuvent réutiliser tous les documents du cours ainsi qu’un article de Ph . Escandes dans Le Monde en 2017  sur la vente aux enchères du tableau Salvator Mundi attribué à L. de Vinci et un extrait de L’Esthétisation du monde : vivre à l’âge du capitalisme de G. Lipovestsky et J. Serroy. Au-delà de la méthodologie c’est l’appropriation du cours qui va pouvoir aussi être évaluée par le professeur.

« Le tableau n’est jamais que sa propre description plurielle » (R. Barthes, L’obvie et l’obtus, essais critiques II, Point essais, 1982) : Un nouveau corpus, composé d’œuvres contemporaines (M69 de Y. Klein, l’Arc de triomphe Wrapped de Cristo, America de M. Cattelan, Le parc de Preljocaj…) est proposé. Chaque élève est amené à faire part de sa propre interprétation en s’aidant de recherches menées notamment au CDI. Les élèves ont également été invités, suite à cette réflexion, à présenter sous forme d’exposés les grands courants artistiques depuis le XX° siècle. Ces séances ont amené les élèves à mesurer l’évolution de leurs propres perceptions à travers trois étapes. De « on ne voit rien » à « on réinvestit ce que l’on a appris » en passant par la mise en place d’éléments d’analyse et d’intertextualité.

 
3)      La rencontre avec des partenaires :

Il est apparu dès le début de l’année que les élèves n’étaient jamais entrés dans un musée.

Créer un musée imaginaire : J’ai proposé à chacun des élèves de construire son musée imaginaire. L’objectif était de les amener à réfléchir et à s’interroger sur la notion de musée, à la signification accordée au fait de regrouper dans un même lieu des œuvres d’artistes, de natures ou de siècles variés. Ils devaient donc réfléchir aux œuvres choisies (patrimoniales, qu’ils aiment…), à leur classement (chronologique, thématique…). Une réflexion a été menée sur la valeur accordée à ces œuvres, ce qui en faisait des œuvres d’art… Elle a eu lieu en amont des visites au musée.

Rencontrer des œuvres : Deux visites ont eu lieu, une première dans les collections du musée de Nantes allant jusqu’au début XX°. Les élèves devaient déambuler librement dans le musée, accompagnés d’une fiche les questionnant sur leurs impressions ou les invitant à faire des analyses de certains tableaux. L’importance de la muséographie a été mise en valeur également lors de cette visite. Les élèves ont alors pu voir que des rapprochements beaucoup plus audacieux que la simple chronologie faisaient se côtoyer des œuvres au-delà des chronologies et dialoguer des artistes.

Rencontre avec un conférencier : lors de la deuxième visite au musée, notre attention ne s’est portée que sur les collections depuis le XXI° siècle. Les élèves ont pu alors profiter d’un regard éclairé et rencontrer un acteur du monde culturel. Les œuvres qui pouvaient leur paraitre hermétiques leur ont été explicitées. L’importance du vocabulaire artistique et technique leur est apparue. Ils ont pu questionner cet intervenant sur son parcours et ses connaissances. Ils ont surtout pu, lors de l’entretien avec le conférencier, aborder la valeur de l’art : comment les choix sont effectués dans un musée, comment le musée fait-il l’acquisition d’œuvres, quelle est la place des partenaires financiers (notamment les banques) dans ces acquisitions…

Rencontre avec un commissaire-priseur : le lien de l’art à l’argent est réel et nous avons pu rencontrer un commissaire-priseur travaillant à Nantes. Il a expliqué aux élèves son métier et la formation inhérente. L’importance de la connaissance des arts et des artistes (leur cote…) a été mise en valeur. Les élèves ont pu se confronter une fois encore à la diversité des arts. En effet, lors de la vente aux enchères à laquelle ils ont assisté, ils ont pu voir que le domaine de l’art touchait certes les « beaux-arts » mais également les arts du quotidien (les couverts, les bijoux…). La rencontre a permis là encore de lier la CGE avec le domaine bancaire puisque la structure choisie était le Crédit municipal de Nantes. La dimension quasi philosophique de la distinction entre valeur marchande et valeur esthétique (ou valeur et prix) est intéressante en effet à opérer pour ces étudiants.

4)      Créations

En plus du blog, des interviews et du musée imaginaire, les élèves ont été amenés à réfléchir sur la valeur marchande de l’art à travers l’étude de la pièce de Y. Reza Art. Ils ont alors mis en scène cette pièce pour la représenter en fin d’année lors de deux représentations publiques. Ils ont donc réalisé un projet collectif. De plus, l’activité théâtrale a permis d’établir des passerelles entre les formes d’art, de rassembler plusieurs disciplines. Nous avons lu et relu la pièce pour y repérer les passages les plus dramatiques en vue du scénario. Pour aider à entrer dans l’œuvre et la pensée des personnages, nous sommes passés par une approche par groupe avec l’outil page (les élèves, par groupe de 2 ou 3 devaient choisir un des trois personnages qu’il devaient définir par 3 adjectifs ; par sa meilleure réplique dans l’œuvre, le définir par un #, un tweet et un émoticône à inventer, enfin ils devaient dire pourquoi ils avaient choisi ce personnage et quelle était sa relation à l’art contemporain) Ce travail a donné lieu à une discussion-débat pour bien comprendre les enjeux de l’œuvre et les pensées des différents personnages . Puis, nous les avons mis en mis en écho avec d’autres textes et références musicales. Cette création a été l’occasion d’une expérimentation collective, a suscité le soutien et l’adhésion du plus grand nombre, et a permis tout en franchissant les barrières du milieu scolaire, de partager un grand projet commun. Les étudiants ont pu réutiliser les compétences acquises en matières professionnelles, notamment leur force de proposition pour la partie créative, le fonctionnement du groupe, l’interprétation et la relation aux autres.

 

CONCLUSION : « Les abeilles pilotent deçà delà les fleurs, mais elles en font après leur miel, qui est tout leur » (Montaigne, Les Essais, Livre I, chapitre 26). C’est ainsi que j’ai conçu ce projet en lien avec mes collègues de matières professionnelles. Les élèves passent de la confrontation à l’appropriation des différentes expressions de l’art. En outre, le travail en interdisciplinarité et en collaboration avec des spécialistes extérieurs est un vecteur d’intérêt et de renouvellement de ma propre approche artistique et de celle de mes élèves. Le but de ce projet, au-delà de la réflexion sur les exercices propres au BTS (synthèse et écriture personnelle), était en partie de susciter chez tous l’envie de pratiquer et d’aller à la rencontre d’œuvres tout en développant chez les élèves un esprit critique, nourri d’une culture large et ouverte, en s’appuyant sur une subjectivité.



Marie Bourgeon
Lycée Nelson Mandela, Nantes
Professeur agrégée de Lettres, Certifiée HDA

Le consentement des élèves et de leurs parents a été recueilli afin de permettre cette publication.

Image : The Modern Collection at the Milwaukee Art Museum in Milwaukee, Wisconsin (United States), auteur : Michael Barera, Création : Prise le 18 février 2023, Licence : CC BY-SA 4.0

 
 

 

 
auteur(s) :

Marie Bourgeon, Lycée Mandela, Nantes

information(s) pédagogique(s)

niveau : bts, --- LYCÉE ---, Lycée tous niveaux

type pédagogique : scénario, séquence

public visé : enseignant

contexte d'usage : classe, AP

référence aux programmes :

 * Références aux programmes/compétences :

L’activité permet de travailler l’ensemble des capacités définies par le programme de culture générale et d’expression : communiquer oralement, travailler la langue orale et écrite, s’informer – se documenter, appréhender un message, réaliser un message, apprécier un message ou une situation.

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Voici un exemple du blog utilisé par les élèves au début de l'année :

- Billet d'un élève sur L'Antiope du Titien, suivi d'un tchat entre élèves

Lettres - Rectorat de l'Académie de Nantes