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Beckett chuchoté

mis à jour le 15/09/2010


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Donner envie de lire ou d'écrire est un des objectifs des enseignants, de français en particulier. Beaucoup font preuve d'imagination et mettent en place des dispositifs originaux. En voici quelques-uns pour inciter les élèves à entrer dans la lecture d'une pièce de théâtre, mais transposables à d'autres types de lectures.

mots clés : lecture, théâtre, motiver les élèves, motivation, littérature


"Vous me lirez cette pièce de théâtre pour la semaine prochaine !" Bien sûr, cette consigne, bien peu d'enseignants se hasardent à la donner, car ils savent d'avance qu'un certain nombre d'élèves n'aura pas réussi à entrer dans le texte, découragé par sa densité, et aura abandonné très vite, se contentant ensuite d'écouter plus ou moins en cours pour grappiller quelques bribes d'histoire et donner parfois l'impression d'avoir lu quelques chapitres ! Aussi, les enseignants cherchent-ils à aiguiser la curiosité, à susciter l'envie, à faire naître "des horizons d'attente", comme on dit. Ils inventent des situations originales et sont aussi friands d'échanges sur le sujet.

Chuchoter des répliques

Dans ses deux classes de terminale littéraire, en tout début d'année, la professeure travaille sur Fin de partie de Beckett, une des œuvres du programme, avant de les emmener voir la représentation. Même pour des littéraires, la lecture de Beckett n'est pas évidente. Aussi, a-t-elle prévu de mettre en place un petit dispositif inhabituel en plusieurs étapes pour exacerber la curiosité des élèves avant de les lancer dans la lecture de l'œuvre. Ce matin-là, on a repoussé tables et chaises sur les côtés. Les élèves se sont séparés en deux groupes et chaque groupe a formé une ligne, chacun faisant face à un camarade. Les élèves de la première ligne se sont tournés contre le mur et ont fermé les yeux. Ils seront auditeurs. Les autres piochent dans une enveloppe qui circule, en retirant une réplique extraite par la professeure de la pièce de Beckett. Au signal, après l'avoir lue et mémorisée, chacun s'avance vers son camarade qui lui tourne le dos et lui murmure la réplique à l'oreille. Si certains n'ont pas bien entendu, on recommence. Puis on échange les rôles, les auditeurs deviennent les "acteurs", les chuchoteurs ferment à leur tour les yeux. Ensuite on varie un peu le dispositif, chacun devant chuchoter sa réplique à son voisin. Ainsi, chaque élève aura plus ou moins mémorisé trois répliques qui vont lui servir de tremplin pour entrer dans l'œuvre.

Variantes

L'idée de commencer par une adresse à voix basse de quelques répliques est venue au professeur de la lecture de Coups de théâtre en classe entière au collège et au lycée de Chantal Dulibine et Bernard Grosjean (voir CR in Échanger n° 78, février2007, (Se) mettre en jeu). Les auteurs proposent, en effet, cette modalité d'entrée dans l'œuvre : "partir du fragment et en l'occurrence, de ce degré zéro du texte théâtral que constitue la réplique, voire un morceau de réplique". Ils privilégient ainsi cette entrée par le texte court pour trois raisons : "Il est accessible à chacun, il est facilement mémorisable et il permet l'intensité émotionnelle nécessaire au plaisir des acteurs et des spectateurs". Ils proposent de nombreuses situations de proférations parmi lesquelles cette adresse à voix basse. Dans leur dispositif, les "auditeurs" sont assis sur des chaises et les acteurs peuvent venir murmurer à l'oreille, ou en stéréo dans les deux oreilles, de près, de loin... Le dispositif est loin d'être fermé. Cette approche offre plusieurs avantages. Elle donne un accès direct au texte, permet une approche globale et la découverte sensible de réseaux thématiques. Elle les met en appétit. Elle bâtit des jalons pour la lecture future, chacun cherchant ses répliques au cours de la lecture ou de la représentation. Et elle inscrit aussi durablement cette réplique dans la mémoire. Mais comment choisir ces répliques ? Dans le cas de Fin de partie, la professeure les a sélectionnées à cause de leur portée thématique, de leurs caractéristiques stylistiques, des ordres, des questions, exclamations... (voir annexe). Mais on peut aussi choisir trois répliques de chaque personnage. Celui qui les reçoit doit alors dire comment il voit ce personnage, son caractère, les relations avec son entourage... Là aussi, les pistes sont multiples.

Lecture radiophonique

La séance de profération chuchotée de répliques est suivie d'une lecture en classe d'un passage de la pièce, une "lecture radiophonique", comme la nomme l'enseignante. Chaque personnage est lu par un élève et un autre dit les didascalies. Ils se disposent comme ils le souhaitent dans la classe ; le choix du placement dans l'espace doit être significatif, en fonction de la relation entre les personnages que les élèves veulent exprimer. Une réplique comme "Tu m'entends" sera ressentie différemment selon que les protagonistes seront proches ou placés aux deux extrémités de la salle de classe ! La situation incite les lecteurs à investir leur personnage, sans avoir besoin de leur donner une consigne particulière. Le lecteur des didascalies garde un ton neutre, mais au lieu d'indiquer les sons, il les produit avec ce qu'il a sous la main. Les auditeurs gardent encore les yeux fermés, d'où le nom donné à l'exercice. Il ne s'agit pas ici de regarder un spectacle, mais d'imaginer à partir de ces extraits ce qu'on pourrait voir sur scène. Chacun se fait son théâtre intérieur. Et les lecteurs sont beaucoup plus libres, comme lors du chuchotement des répliques, et plus en sécurité sans le regard des autres, surtout en début d'année.

Premières traces dans le journal du lecteur

Cette situation inattendue de chuchotement de répliques va être, pour ces élèves de terminale, l'occasion de démarrer leur cahier de lecteur. Sous le titre "Beckett chuchoté", chacun va recopier les trois citations entendues, avec parfois quelques surprises, car ce qui a été entendu n'est pas forcément la réplique précise de Fin de partie ! Il faut alors corriger et découvrir peut-être un autre sens ! Les élèves font aussi part de leur ressenti pendant l'exercice, à l'écoute de cette phrase qui leur a été personnellement adressée par une voix pas forcément reconnue, murmurée à l'oreille comme un secret. Ensuite, à partir des répliques entendues personnellement, et d'autres éventuellement, car une communication de l'ensemble a été faite ensuite à la classe entière, les élèves doivent essayer d'imaginer à quoi ils s'attendent concernant l'œuvre. Certains accordent une place importante au silence, influencés sans doute par les chuchotements. D'autres imaginent une histoire d'amour, se laissant influencer par une réplique précise.

Le journal, un outil d'évaluation mutuelle

Après la lecture de l'œuvre, ce journal sera de nouveau utilisé. Plutôt que de faire un contrôle de lecture, chacun est invité à rédiger dix questions sur la pièce et à en formuler les réponses qui seront mises sous une enveloppe cachetée. En classe, les cahiers sont échangés, chaque élève est confronté au questionnaire d'un autre et rédige ses réponses sur le cahier de lecture de son camarade. La liste des questions formulées dans les cahiers est reprise par l'enseignante sous forme de "banque de questions" suivies de l'indication de la page à laquelle se reporter pour chercher la réponse (voir annexe). Cette banque servira d'outil pour aider à la révision.

La lecture, un rendez-vous intime

Une œuvre de Beckett nécessite un temps de préparation, même pour des terminales littéraires. Et face aux lectures qui leur sont proposées, les élèves de tous niveaux attendent qu'on les aide à faire les premiers pas. Cependant, l'entrée proposée ici n'est pas d'abord intellectuelle. Pas d'apports d'informations, d'explications, d'analyses, mais un détour par les sens, l'émotion, le plaisir de dire, d'écouter, de ressentir l'intensité des mots prononcés si intimement, et parfois la forte musicalité de certaines tirades. Les répliques (ou les phrases) entendues portent au rêve, ouvrent l'imaginaire intime de l'auditeur et futur lecteur. Bien sûr, elles incitent à la lecture, elles mettent en appétit, elles avivent la curiosité, les élèves veulent retrouver leurs répliques, vérifier leurs hypothèses. Mais plus encore, ces répliques murmurées à l'oreille, entendues les yeux clos, auront déclenché des évocations personnelles, ouvert un imaginaire intime. Et la lecture, ensuite, sera vraiment le moment d'une rencontre entre deux univers, celui du lecteur et de l'auteur, sans laquelle toute lecture est stérile. Sinon pourquoi lire ? À quoi sert la littérature ?
 
auteur(s) :

M. Le Bihan

contributeur(s) :

J. Bahuaud, Lycée Rousseau, Laval [53]

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