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conditions de réussite et limites d'une tâche complexe

Apprendre au moyen d'une tâche complexe

Les tâches complexes sont des moments pendant lesquels les élèves "mobilisent et se mobilisent"1. Leur but est d’entraîner les élèves à mettre en œuvre plusieurs compétences simultanément en puisant dans les ressources construites auparavant en classe. Il s'agit également de faire construire un problème aux élèves et de le leur faire résoudre. Dans la proposition de Madame Catala, les élèves se sont sentis concernés et motivés par la tâche. La consigne2 les a positivement étonnés en ce qu'elle dénote une marque de confiance, et les groupes ont tous réussi à poser le problème qu'elle recèle : quels sont les outils les plus efficaces pour apprendre dans une page de manuel, au regard des attendus des programmes et des épreuves du bac3 ? Il s'agit donc de faire raisonner les élèves sur leurs apprentissages dans une logique de métacognition sur ce qui est de nature dans un manuel à leur faire vraiment développer les compétences mobilisées dans les exercices type bac (rédiger, expliquer, argumenter). Cela leur permet également de s'approprier les connaissances (repères, acteurs, concepts) qu'il convient d'apprendre dans le chapitre d'histoire concerné (représentations, réalités, contestations de la colonisation).

Au cours de leur travail, les élèves ont effectivement remobilisé des connaissances antérieures. Ils ont aussi rencontré des besoins de savoirs nouveaux : ainsi un groupe d'élèves a l'intuition qu'une de ses affirmations est un peu simpliste : "la colonisation apporte des bienfaits, comme la modernisation des transports". Ils sollicitent Madame Catala qui leur propose d'observer la carte du chemin de fer indochinois et de relever qu'il dessert essentiellement le littoral et donc les ports d’exportation vers la métropole. Le réseau n'est donc pas pensé au service des habitants de l'ensemble du territoire. La qualité d'écoute des élèves montre à quel point ce nouveau besoin les prédispose à entendre ces explications complexes. L'aide de l'enseignante est d'autant plus efficace qu'elle répond à un besoin. Et visiblement, ils sont satisfaits d'avoir gagné en connaissances et en nuance de pensée. Ils en tirent même une nouvelle possibilité pour leur page de manuel : introduire des transitions entre les parties pour mieux les articuler. Ainsi, après la partie sur les représentations de l'époque qui s'incarnent dans le projet de mission civilisatrice de l'Europe, les élèves écrivent : "en réalité, cette colonisation s'est faite au profit des Européens".

La réalisation d'une page de manuel idéal conduit les élèves à se poser aussi une série de questions sur la nature des documents, sur leur statut et sur l'intérêt de les diversifier pour produire des apprentissages (schémas, photos, sources écrites, etc.). Le fait d'avoir à utiliser les documents au service de la compréhension d'un phénomène historique conduit les élèves à porter une attention plus soutenue à leur date ou à leur auteur et à en produire une analyse critique (interne et externe). Ainsi, tel document de 1910 est repoussé car antérieur à l'exposition coloniale dont les élèves traitent. Certains élèves en viennent à s'interroger sur la valeur des sources. Un élève envisage d'en inventer une de toutes pièces puis se ravise après un échange sur le sujet avec Madame Catala qui lui fait prendre conscience de la valeur du document source comme administration de la preuve historique. Le maniement des documents oblige aussi à penser l’appareillage critique (explications accompagnant les images par exemple). Assez vite, des élèves cherchent à ne pas trop faciliter la lecture des documents pour qu'ils posent des problèmes dans une logique didactique : "il s'agit de les faire réfléchir" dit une élève en parlant des lecteurs. Un autre souligne l'importance de "leur poser des questions pour les faire réfléchir". Peu à peu, c'est la question du statut du document comme support pédagogique qui est posée : doit-il simplement illustrer une idée ? Ou aider l'élève-lecteur à se poser des questions pour apprendre ?

De leur réflexion, les élèves tirent des règles ou principes qui permettent d'évaluer la valeur formatrice d'une page de manuel et mettent en évidence les critères qui lui donnent la plus grande efficacité dans ce domaine. Tous les groupes s'accordent par exemple sur la valeur des outils de repérage dans leur page de manuel (cartes, chronologies, définitions). À l'inverse, beaucoup renoncent à présenter un cours, c'est-à-dire un texte qui livre le savoir de façon trop explicite, sans que le lecteur n'ait à se poser de questions : "c'est trop simple" disent les élèves.

Quelques écueils possibles

Mais les tâches complexes présentent parfois des défauts de conception qui limitent les apprentissages. Il en va ainsi par exemple des tâches complexes qui mobilisent un niveau de compétence non maîtrisé par les élèves. Cela s'observe parfois lorsque les enseignants recourent à la vidéo par exemple sans avoir formé les élèves aux techniques de la prise de vue et du montage au préalable. Pour leur page de manuel, les élèves se sont trouvés un peu encombrés par les techniques de mise en page assistée par ordinateur à certains moments. Et Madame Catala constate que celles et ceux qui ont eu recours à l'informatique pour la mise en page n'ont pas réalisé les meilleures productions. La mobilisation sur la maquette assistée par ordinateur a pu prendre le dessus sur la réflexion à propos des outils pour apprendre.

Danièle Catala en tire un autre enseignement : si tous les élèves ont légitimement visé une belle production, l'enseignant ne doit pas les laisser penser qu'il attend une production sublime. Le perfectionnisme peut devenir chronophage et, surtout, faire perdre de vue les enjeux d'apprentissage. C'est d'ailleurs une mise en garde de Michel Fabre4 : pour que la tâche complexe produise des apprentissages, il est nécessaire qu'elle mobilise de l'argumentation (pourquoi une multinationale aurait plutôt intérêt à s'installer ici ou ailleurs ?) et non pas qu'elle conduise à faire un catalogue dans une logique d'inventaire (les villes dans lesquelles sont situées les multinationales). Il arrive que l'activité ne permette pas aux élèves de poser le problème. Michel Fabre attire notre attention sur le fait que dans ce cas, la logique de la tâche l'emporte sur celle des apprentissages. Une approche productiviste prend le dessus. Ceci intervient quand les élèves ne parviennent pas à mettre en évidence les savoirs en jeu au moyen du problème sous-jacent à l'activité. Il est donc très important que l'enseignant soit très au clair sur l'objectif et se pose la question de l'apprentissage conceptuel à faire faire aux élèves pour qu'une solution se dessine. Et Michel Fabre de conclure : "une tâche complexe est sous-tendue par un problème posé aux élèves qu'ils doivent résoudre et surtout construire. Car le principal n'est pas de réussir la tâche, de fonctionner dans une logique de production, mais d'apprendre"5. Il précise : "problématiser, c'est l'articulation de données textuelles pertinentes à des critères d'évaluation qui permettent de justifier les réponses". Dans le cas de la réalisation d'une page de manuel, les élèves ont pensé les critères (d'un bon manuel) et les outils qui conviennent le mieux pour apprendre dans l'optique de l'examen (apprendre à apprendre), mais certains les ont ponctuellement perdus de vue dans la réalisation concrète de la page, surtout ceux qui ont visé une forme de perfection de la réalisation finale remarque Danièle Catala.

Un autre écueil fréquent tient au fait qu'une consigne qui paraît simple à l'enseignant ne l'est pas forcément pour les élèves. L’enseignant n’anticipe pas toujours l'interprétation que l’élève peut en faire. Certaines tâches impliquent de mobiliser des procédures auxquelles les élèves n'ont pas l'idée de recourir avec la consigne proposée ce qui empêche les apprentissages. La complexité n'étant pas nécessairement dans la tâche ici mais dans l'idée que les élèves s'en font à travers une consigne qui fait écran. À ce sujet, Christophe Blanc et Florence Castincaud invitent les enseignants à "apprendre à voir la tâche côté élève"6. Dans cette optique, Danièle Catala a observé que quelques groupes ont eu tendance à reproduire ce qu'ils ont vu dans leur manuel plutôt que de s'autoriser à fabriquer un outil personnel ou personnalisé.

Certains écueils enfin sont propres aux disciplines. En histoire par exemple, le recours aux jeux de rôles peut présenter l'avantage de jouer sur l'imaginaire et permet parfois d'avoir une approche sensible de la discipline. Mais il est évidemment à proscrire lorsqu'il mobilise des personnalités historiques ou qu'il met en évidence une concurrence entre les mémoires car on peut rapidement rencontrer des problèmes éthiques. C'est pourquoi on fera plutôt endosser aux élèves un métier, une catégorie ou une fonction qu'un personnage célèbre : un avocat qui demande la réhabilitation de Dreyfus par exemple.

Pistes d'évolution pour la tâche complexe sur la page de manuel

En somme, la tâche complexe proposée par Madame Catala est l'occasion d'une série d'apprentissages : les élèves se sont appropriés des connaissances antérieures et ont approché des connaissances nouvelles en histoire ; ils ont développé des compétences d'écriture (nuances, transitions) ; ils ont raisonné sur les outils qui font apprendre. Et ce type d'activité autonome installe des habitudes de réflexion qui profitent aux apprentissages ultérieurs.

Cependant, Danièle Catala envisage de faire évoluer encore cette activité. En effet, en réalisant une page de manuel, les élèves de première du lycée de Châteaubriant ont produit une profession de foi présentant les outils qui leur semblent les plus pertinents pour apprendre7. Mais l'enseignante indique qu'ils n'ont pas listé formellement les critères qui selon eux doivent présider à cette réalisation pour produire des apprentissages transférables. Ainsi, pour rendre plus explicites les apprentissages et tirer tout le parti de cette expérience, Danièle Catala indique qu'elle pourrait à l'avenir prévoir une reprise, après coup, avec le groupe. Elle pourrait permettre aux élèves de partager leurs solutions et de s'engager dans la rédaction d'un vademecum ou d'un cahier des charges des meilleurs outils pour apprendre comprenant une partie réflexive pour aller au terme de la démarche de métacognition.





1. F. Janier-Dubry, "Des tâches complexes pour mobiliser et se mobiliser" sur le site de l'Académie de Nantes.
2. "Vous êtes contacté par un éditeur de manuel scolaire et devez créer un chapitre, un dossier, une page sur le sujet suivant : L’Empire français au temps de l’exposition coloniale de 1931 : mythes et représentations, réalités, contestations". La consigne est assortie d'une explication : "il s’agit de créer un outil, qui serait pour vous le manuel scolaire idéal, pour vous permettre le travail d’appropriation des connaissances et d’entraînement aux exercices de l’examen final du baccalauréat (la composition et/ou l’étude critique de documents)".
3. Ce problème présente ici l'avantage de faire raisonner les élèves sur les savoirs historiques et d'être transférable à d'autres matières.
4. Michel Fabre, "La construction du problème", in Cahiers pédagogiques n° 541, décembre 2017.
5. Michel Fabre, "La construction du problème", in Cahiers pédagogiques n° 541, décembre 2017.
6. Sur le site des Cahiers pédagogiques : Entretien avec Christophe Blanc et Florence Castincaud : "Apprendre à voir la tâche côté élèves", à propos du n° 541 des Cahiers pédagogiques, décembre 2017.
7. Au cours de nos échanges, les élèves ont notamment opéré une distinction claire entre d'une part les outils qui permettent le mieux de faire apprendre dans l'optique du bac (des questions sur des documents, un appareillage critique, des exercices) et d'autre part les parties de manuel qui livrent les connaissances de façon trop directe et transparente (cours, textes de savoir) sans proposer de cheminement ni poser de problème pour s'approprier les connaissances. D'une certaine façon ils ont tous eu l'intuition de la nécessité d'obstacles cognitifs pour apprendre.

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