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conflits et apprentissages en EPS : question d’espace(s)

mis à jour le 15/06/2010


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En quoi, à l'intérieur d'un établissement, l'existence d'espaces différents a-t-elle son importance ? Comment les adultes s'en servent-ils ? Quels apprentissages se font dans les lieux où l'espace est moins contraint pour l'élève ? En quoi l'existence de tels lieux plus ouverts est-elle indispensable à la formation des élèves et des futurs citoyens ? Pour éclairer ces questions, nous avons choisi de vous présenter un texte de Youenn Riou, extrait de son mémoire de master 2.

mots clés : espace, conflits, violence, agressivité


Les analyses qui suivent sont le résultat d'observations effectuées au cours de l'année scolaire 2006-2007 par Youenn Riou, alors qu'il était enseignant d'éducation physique titulaire en zone de remplacement dans plusieurs collèges et un lycée professionnel du Val-de-Marne. Aujourd'hui enseignant d'éducation physique à l'université du Maine, il prépare un doctorat de sciences de l'éducation au Gregum (Groupe de recherche en géographie sociale de l'université du Maine). La problématique de son mémoire, soutenu à l'UFR-Staps, (Unité de formation et de recherche - sciences et techniques des activités physiques et sportives) à Rennes, en 2007, associe fortement les lieux et les enjeux de formation. La question des espaces de l'école constitue l'arrière-plan de cet article et la focale est ici posée sur les usages de ces espaces scolaires par les élèves.

Des espaces potentiellement plus violents que d'autres

Fantasme ou réalité, la violence des jeunes est présentée comme un fait de société et l'école n'y échappe pas. Face à ce phénomène, des dispositifs de repérage des signaux d'alerte ont été installés. Dans les établissements scolaires, la mise en place du logiciel Signa (logiciel de recensement administratif des incidents graves de violence), remplacé à la rentrée 2007 par Sivis (Système d'information et de vigilance sur la sécurité scolaire), témoigne de cette préoccupation. Quand bien même les matériaux utilisés pour alimenter cette enquête présentent, selon Debarbieux, des biais méthodologiques certains, il n'en demeure pas moins que les tendances observées dans le cadre de cette enquête nationale corroborent celles obtenues par d'autres chercheurs. Une analyse fine des données de l'enquête révèle que les actes de violence ne se répartissent pas uniformément dans les différents lieux des établissements : 45 % se déroulent dans la cour de récréation, 19 % dans les cours d'EPS (éducation physique et sportive) et 15 % dans les couloirs (voir annexe).

EPS, lieu de violences ?

Si l'on accepte le principe que vestiaires et installations sportives sont, par définition, des lieux dévolus à la responsabilité de l'enseignant d'EPS, cela revient à considérer que près de 19 % des actes de violence se déroulent dans le cadre du cours d'EPS. Cette discipline apparaît donc, après la cour de récréation, comme le lieu des débordements par excellence. La violence à l'endroit du cours d'EPS interroge. Par l'espace de libération contrôlée des émotions qu'elle offre, cette discipline entretient sans conteste un rapport ambigu à la violence que les résultats de l'enquête Signa mettent en évidence. Doit-on pour autant en conclure que l'EPS n'a pas droit de cité à l'école ? Faut-il, en toute logique, supprimer l'EPS ? Là n'est ni notre souhait, ni notre propos et, au risque de provoquer, nous posons l'hypothèse que, bien au contraire, l'un des intérêts de l'EPS réside précisément, pour l'école tout entière, dans la violence qu'elle met en scène. En effet, c'est dans ces espaces (la cour de récréation, le cours d'EPS) que se joue, à nos yeux, une forme de socialisation particulière, dont le grand nombre d'actes de violence qui y sont recensés serait révélateur.

De la violence et du conflit : y voir clair

Nous émettons l'hypothèse que ces violences mettent en réalité à jour des conflits entre adolescents, ou entre adultes et adolescents. Or, nous accordons une valeur éducative au conflit - sans bien sûr faire une apologie de la violence - en distinguant nettement violence et conflit. La violence désigne toute action destinée à porter atteinte à une personne dans son intégrité physique ou psychique. L'étymologie de violence nous renvoie à la racine latine vis qui signifie la force en action, la ressource d'un corps pour exercer sa force. Une définition générale, celle de Y. Michaud, considère ainsi la violence comme une action directe ou indirecte, massée ou distribuée, destinée à porter atteinte à une personne ou à la détruire, soit dans son intégrité physique ou psychique, soit dans ses possessions, soit dans ses participations symboliques. Le conflit désigne, lui, une opposition entre des forces, opposition qui n'est pas seulement destructrice, mais peut être productrice. Emprunté au latin, conflictus (de confligere : combattre), il signifie choc, lutte, combat - au propre et au figuré. Le conflit désigne donc l'interaction entre des points de vue différents, et non la volonté d'atteindre l'intégrité d'autrui, à l'inverse de la violence.

De la violence ou... des conflits ?

En ce sens, le conflit peut être force productrice s'il n'aboutit pas à la violence. Ainsi, le conflit sociocognitif désigne cette forme de mise en scène pédagogique du conflit qui participe d'un processus d'apprentissage. D'autres réflexions sur les processus d'enseignement-apprentissage, notamment les didactiques disciplinaires, s'intéressent à un conflit créateur vivifiant. Cet effort de clarification entre violence et conflit semble avoir été négligé dans le cadre de la conception des logiciels Signa et Sivis, ce qui implique donc un risque de confusion. Par ailleurs, nous ne savons pas si les chefs d'établissement en charge de répondre aux enquêtes font véritablement la différence entre ces deux notions. En l'absence de précisions, les situations sociales mettant en scène des conflits ont, de toute évidence, été assimilées à des violences. En confondant sous le terme de violence des comportements différents, les logiciels de recueil des actes de violence scolaire ajoutent de l'ombre là où les différences ne sont pas toujours très claires. Ainsi nous sommes en droit de nous interroger sur ces frontières: là où sont recensées des violences, ne faudrait-il pas plutôt voir des conflits, parfois ?

L'apprentissage social de la distance

Or, comme nous l'évoquions précédemment, le conflit maîtrisé, voire provoqué, peut être, à bien des égards, objet d'éducation à l'altérité. Les enseignants d'EPS le savent bien et usent quotidiennement de cette possibilité. Ce sont précisément ces configurations conflictuelles - et éducatives - que nous avons souhaité saisir dans le cadre de cette recherche de master 2 en réexaminant la question des conflits en EPS, et en postulant que ceux-ci sont l'occasion d'une confrontation, de l'apprentissage d'un usage socialement acceptable des relations à l'autre, in fine de l'altérité. Pour ce faire, nous nous inscrivons dans la ligne des théories de la proxémie développées par l'école de Palo Alto. À l'aune de ce cadre théorique, nous avons montré que les conflits à l'œuvre en éducation physique sont à appréhender comme des temps d'apprentissage d'usages sociaux des distances. À ce titre, et à partir d'un travail d'observation des variations des distances entre les élèves au cours de plusieurs séances d'EPS, nous avons construit quatre idéaux types 1 renvoyant chacun à un rapport singulier à la distance. Les lignes qui suivent synthétisent les résultats de la recherche en question. Précisons tout d'abord que, dans la réalité, les caractéristiques de ces idéaux se combinent. Ils offrent en effet la possibilité de rapprocher des réalités parfois très hétérogènes. Si un de ces types est toujours dominant dans une situation, les trois autres peuvent également être à l'œuvre. Ces idéaux types ont donc leurs limites. Ils doivent avant tout être appréhendés comme des tableaux de pensées heuristiques. On ne trouve d'ailleurs nulle part, empiriquement, de pareils tableaux dans leur pureté conceptuelle : ils sont en quelque sorte des utopies (Weber, 1992).

Le yo-yo ou un espace à éprouver pour mieux se trouver : les interactions aléatoires

Le yo-yo a tendance à faire varier la distance qui le sépare des autres par des déplacements incessants dans l'espace classe. Il explore tous les espaces d'évolution possible d'un gymnase, y compris ceux réservés à l'enseignant. Cet élève va ainsi explorer, au sens étymologique (battre le terrain, reconnaître en parcourant), l'espace du cours dans tous les sens, comme pour en tester les limites. Le yo-yo est souvent acteur ou à l'origine des conflits. Ses déplacements incessants et aléatoires sont générateurs de stress, et par ricochet, d'une renégociation permanente, parfois musclée, des distances avec les autres élèves. Le cas typique est celui du travail par petits groupes dans des espaces circonscrits : cette configuration de travail est très fréquente en EPS, dans de nombreuses activités. Dans le cas du badminton, par exemple, chaque terrain est délimité et correspond à un thème de travail ou à un niveau de jeu. Le yo-yo, après quelques minutes sur le terrain qui lui est dévolu, va explorer les autres espaces de jeu. Il s'éloigne de son groupe initial, s'installe en bordure d'un autre terrain. Il commence alors à faire des commentaires, à chambrer son camarade en train de jouer, ou lui demande s'il peut essayer sa raquette, ou tout autre commentaire qui pourrait le déconcentrer. Si le jeu se poursuit, notre Zébulon (le yo-yo) va jusqu'à entrer sur le terrain des joueurs, prendre un volant au vol alors qu'il ne lui est pas destiné ou s'empare du volant et quitte précipitamment et bruyamment le terrain indûment occupé en brandissant son trophée...

Cette situation parmi d'autres va être à l'origine de conflits entre les élèves que rejoint souvent rapidement l'enseignant. Ces conflits peuvent, le cas échéant, dégénérer dans une spirale de violence. Par leur exploration, ces élèves sont à la recherche d'un espace-contenant qu'ils éprouvent, pour mieux se sentir en sécurité. Comme nous l'avons précédemment fait remarquer, ces élèves explorent l'espace de la classe, de la cour, comme pour en tester les limites. Le psychologue Winnicott rappelle l'importance de l'espace-contenant que constituent les règles et les interdits, incarné par les parents et les éducateurs. Ces comportements, à certains égards, s'apparentent à ceux des élèves hyperactifs. Or l'hyperactivité, caractéristique des enfants de onze, douze ans, est sans doute le signe d'un changement de rapport au monde. Cet âge correspond en effet à la fin de la période de latence et au début de l'adolescence et il est marqué par un élargissement des espaces (psychiques, sociaux, spatiaux...). La figure de l'hyperactif ou de l'hyperkinésique constitue un état limite de l'idéal type du yo-yo tel que nous pouvons le décrire. À ce sujet, certains auteurs (Bergès, 1996) ajoutent que ces comportements attestent d'une volonté de construire et d'éprouver les limites de leur corps. Enfin, en dernière analyse, de nombreux travaux de la sociologie, de la psycho-sociologie, voire de géographie sociale, soulignent, venant nourrir nos observations, que ces comportements d'hypermobilité sont l'apanage des garçons. Le yo-yo constitue, selon notre modèle, une première étape dans le processus d'apprentissage des distances. Les observations attestent que ces comportements sont l'apanage des élèves de sixième et cinquième.
 

Le satellite ou l'espace de la marge : l'interaction absente ou fuyante

Le deuxième idéal type, le satellite, présente un rapport à la distance différent: il évite au maximum les interactions en se plaçant à distance d'autrui. Cet élève archétypal fuit les interactions, et à la manière d'un satellite, il se tient en périphérie du groupe. Lors des regroupements, par exemple, il se tient en retrait de la majorité de la classe et se tourne vers l'extérieur du cercle formé par les élèves, dans une posture centripète dont la caractéristique décrite par Hall (1971) est de permettre d'éviter les interactions. Il signifie, par ses postures et ses placements, son exclusion de ce groupe. Il se tient ainsi en observateur de la classe, dans les gradins du gymnase ou en périphérie, lorsque celle-ci est en activité. Les conflits avec l'enseignant sont fréquents. Ils interviennent lorsque ce dernier insiste sur la nécessité de s'impliquer dans le cours, par exemple. Les réactions de cet élève sont parfois vives, elles sont souvent faites de gestes de protestation, de postures significatives du refus d'interagir (bras croisés, attitude prostrée ou, à l'inverse, simulacre de fuite ou de fugue). Les rapports du satellite avec certains élèves sont particulièrement conflictuels du fait, entre autres, de la posture d'extériorité dans laquelle il se place.

Se placer seul à la marge renvoie, chez les adolescents, à la posture dépressive ; celle-ci fait violence à certains élèves qui se sentent en retour menacés. La violence fait alors irruption, et se cristallise sur l'élève exclu. Il se fait alors bouc émissaire. La distance métrique et les postures adoptées correspondent au style propre des individus destinés à demeurer des étrangers (Hall, 1970). En d'autres termes, la communication non-verbale mise en œuvre par le satellite signifie : Je ne souhaite pas communiquer, je ne souhaite pas appartenir à ce groupe. Cette posture, éminemment paradoxale, est significative des difficultés rencontrées par l'adolescent. De fait, mise à distance physique et mise à distance symbolique des angoisses vont de pair et signent un retrait de la scène interactionnelle ; le satellite se place en observateur de la classe. Le cas limite de l'élève satellite correspond aux élèves en rupture de scolarité, ou en voie de déscolarisation qui, après un parcours de vie difficile combiné à de graves lacunes scolaires, se retrouvent dans une situation d'exclusion de fait. Incapables de suivre leur scolarité, ils sont ostracisés par les enseignants et mis au ban du fait d'une histoire de vie trop difficile à porter face au regard jugeant et normatif de leurs pairs. Ils se retournent alors vers un groupe très restreint de confidents (un ou deux élèves), pas forcément scolarisés dans leur propre classe ou leur établissement scolaire. L'angoisse et l'inhibition générées par une situation sociale et scolaire difficile - celle du satellite - peuvent entraîner des actes violents tournés vers les autres (l'agression) ou vers soi-même (la dépression, les atteintes au corps). Nos observations répétées de ce phénomène recoupent ces analyses théoriques.

Le riposteur ou l'espace personnel défendu : l'interaction défensive

Le riposteur, comme son nom l'indique, adopte un comportement défensif particulièrement expressif lors d'une intrusion par un tiers dans son espace personnel. Cet espace peut tout aussi bien être son espace proxémique en terme de distance physique, ou un espace symbolique : l'espace psychique. L'insulte relève, dans une certaine mesure, d'une intrusion dans l'espace psychique. Plus celle-ci fait référence à des personnes proches de soi ou portant atteinte à son identité, plus les ripostes sont vives, véhémentes, et peuvent aller jusqu'aux mains. Le riposteur est souvent au centre de conflits bruyants. Le niveau sonore est élevé, les postures et les gestes sont significatifs d'un débordement émotionnel: la scène du conflit devient alors le centre d'attention de l'ensemble du groupe. Soit il est partie prenante des conflits et contribue à provoquer la spirale de violence, soit il est à l'origine de demandes de justice ou de réparations faites auprès de l'enseignant ou des adultes après un incident dont il s'estime victime.

Face au stress généré par l'intrusion d'un tiers dans son espace personnel, il contre-attaque de façon véhémente, souvent verbalement. Tout d'abord, si l'on accepte le fait que les filles sont davantage victimes qu'auteurs des violences (les statistiques de la violence sont formelles sur ce point), nous pouvons attribuer ce type au genre féminin. Selon Laborit (1976), devant une situation violente, ou simplement génératrice de stress, trois grandes réponses sont possibles : la fuite, la soumission ou la lutte. Ici, celui que nous nommons le riposteur choisit une attitude de lutte, de riposte. La lutte se traduit ici par une riposte verbale souvent véhémente, si elle n'en vient pas aux mains. Elle permet au riposteur de défendre une identité remise en cause, d'affirmer son droit à exister en tant qu'individu digne d'une juste reconnaissance, de poser des limites pour s'affirmer, mais, point important, sans chercher à détruire son agresseur. Si tel est le cas ou si la réponse verbale se fait blessante ou humiliante, nous entrons alors dans une forme limite de la position du riposteur: il devient lui-même agresseur et le conflit initial déborde vers la violence.

Le géostationnaire ou l'espace maîtrisé : interaction normative ou normée

La distance du géostationnaire vis-à-vis de l'enseignant et des autres élèves est stable. Il ne se fait pas repérer dans un groupe, ses déplacements dans l'espace du cours sont faibles et il se cantonne dans celui qui lui est dévolu (le terrain de badminton, l'agrès sur lequel il doit répéter lors d'un travail en gymnastique...). Il a acquis un type de rapport à l'espace qui se rapproche de celui de l'adulte. Son comportement est celui adopté usuellement dans l'espace public. Le volume sonore est maîtrisé, les déplacements et les gestes mesurés. Le géostationnaire est rarement impliqué dans les conflits, en classe. Il s'en tient le plus souvent à distance. Il peut, le cas échéant, tenir le rôle de médiateur auprès de l'adulte. Cet élève a intégré les normes scolaires et sociales des usages de la distance. On pourrait dire qu'il a intégré une distance normative à l'autre. Les conflits se règlent par la verbalisation, souvent en présence d'un tiers (adulte ou pair), et ne dégénèrent que très rarement en événements violents. Les élèves qui adoptent de façon systématique ce type de comportement ne se font pas remarquer. La forme extrême de cet idéal type renvoie à l'inhibition, à la soumission, et nous avons déjà évoqué les risques que cela comporte, ceux de la victimisation, du phénomène de bouc émissaire ou de repli sur soi, voire d'attitudes faites de violences vers soi ou vers les autres. Ainsi, si ce type de rapport à la distance constitue la dernière marche en terme d'apprentissage de la distance, il ne constitue pas pour autant une ultime étape. Tout est affaire de mesure d'une part et, d'autre part, nous l'évoquons dans la synthèse, il ne faut pas considérer ces idéaux types un à un, mais plutôt dans les relations qu'ils entretiennent entre eux.

Quatre comportements socialement utiles

Au risque de se répéter, il va sans dire que ces quatre types idéaux sont à considérer comme des constructions intellectuelles et non comme un miroir de la réalité. Chaque individu peut donc se rattacher à l'un ou l'autre de ces types selon le cours des événements. Le caractère idéal typique ne préjuge pas du comportement d'un élève particulier face à une situation donnée. Les identités ne sont pas figées. La progression proposée, comme tout apprentissage, n'est pas linéaire et peut en cela faire l'objet de retours en arrière, de phénomènes de palier. Il n'existe donc pas une hiérarchie entre ces idéaux types. L'apprentissage des distances passe davantage par la maîtrise et l'usage de ces quatre types de distance, selon les situations. Le yo-yo, par ces déplacements incessants, multiplie les interactions et explore toutes les dimensions de l'espace et, en cela, il s'enrichit de ces interactions variées. Cette capacité à explorer les espaces, à interagir avec autrui sans lui faire violence, est un savoir-faire nécessaire à la vie en société. De même, face à un conflit, il faut parfois savoir riposter : au quotidien, les adultes sont amenés, dans leurs relations de travail notamment, à négocier, à défendre un point de vue, à répondre à des attaques parfois virulentes, sans tomber dans une agressivité violente. Le riposteur présente ces qualités : il sait lutter, riposter sans violence destructrice envers autrui. À l'inverse, pour se préserver, il est parfois utile de savoir se tenir en périphérie des conflits, à la manière d'un satellite. Enfin, ne pas se faire remarquer est une compétence socialement valorisée dans de nombreuses situations. L'idéal type du géostationnaire qui a intégré la norme scolaire sait en faire bon usage.

Il ne faut donc pas voir dans la description de ces idéaux types un système cloisonné et figé, mais bien plutôt un espace dans lequel l'élève physiquement (et socialement) éduqué parvient à naviguer au fil des situations, adaptant ainsi les modes d'interactions au contexte. L'usage de la distance peut donc être considéré, dans une certaine mesure, à la manière d'une disposition dont l'homme pluriel (Lahire, 1998) - c'est-à-dire l'individu confronté successivement à des univers, des usages, des cultures différentes - doit savoir user pour s'adapter pleinement à la vie sociale. L'apprentissage de cette disposition se réalise par corps en expérimentant physiquement ces distances changeantes. Cela ne va pas sans conflit, comme nous avons pu le mettre en évidence, et nous pensons que le cours d'EPS offre un temps privilégié pour cet apprentissage.

En EPS, apprendre la variété des distances sociales

Si l'apprentissage de la distance est un processus largement inconscient, il n'en demeure pas moins que l'éducation physique, par le truchement des APS (activités physiques et sportives), confronte explicitement les élèves à des distances multiples et variantes. Les élèves, au cours de leur curriculum d'EPS, seront ainsi conduits à pratiquer différentes activités dans lesquelles le rapport à l'autre, en termes de distance, varie et fait l'objet d'un réel apprentissage. Prenons l'exemple d'activités comme le judo, la boxe ou le rugby, où l'apprentissage de la distance intime passe par une réelle confiance en son partenaire, et un respect mutuel des élèves en contact. Chaque activité physique génère ainsi une distance d'interaction (distance d'affrontement) qui fait l'objet d'un apprentissage. Cette distance est réglementée par le code du jeu et dépend des modes de contact autorisés. Elle participe du contrôle de la violence et de l'agressivité. Le cours d'EPS, par les distances que les activités physiques fixent et les possibilités de déplacement offertes, constitue donc un espace privilégié de construction des distances. Nos résultats confirment tout d'abord que les distances sont un objet d'éducation. Ils confirment également que l'école (et particulièrement le cours d'EPS), espace de rencontre de toutes les différences, est un lieu privilégié de cette construction sociale des distances. En effet, le brassage d'élèves d'horizons multiples et d'âges différents offre l'opportunité de se confronter à d'autres rapports à la distance et, ce faisant, de (se) construire ou de (se) reconstruire (dans) le rapport à l'autre.


1. La notion d'idéal type est attribuée au sociologue allemand Max Weber (1922). Elle peut être définie comme "une construction intellectuelle obtenue par accentuation délibérée de certains traits de l'objet considéré" (Coenen-Huter, 2003, p. 532).
 
auteur(s) :

M. Coupry

contributeur(s) :

Y. Riou, Staps, Le Mans [72]

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