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École-familles : des rencontres inédites autour des apprentissages

mis à jour le 12/12/2015


échanger dossier 12

Entre septembre 2012 et juin 2014, dix-neuf classes de cours moyen issues de douze écoles en réseau d’éducation prioritaire du Mans ont participé à une expérimentation visant à développer l’empathie des élèves. Quatre rencontres-goûters, hors des murs de l’école, ont jalonné le projet. Des temps forts, ludiques et interactifs, pour donner à voir et à vivre aux familles les contenus de la formation (voir encadré) et tisser progressivement des liens nouveaux.

mots clés : échanger, cours moyens, empathie, famille


n enseignant-chercheur en sociologie et psychologie 1, l'IEN 2 adjoint au DASEN en Sarthe, les trois coordonnateurs des réseaux d’éducation prioritaire (REP) des écoles participantes 3 ont piloté conjointement une action de formation de grande envergure : EPLUCHE (de l’Empathie pour lutter contre le harcèlement à l’école 4). Celle-ci s’est structurée en plusieurs cycles thématiques et ludiques. “L’objectif est d'aider les enfants à gérer leurs émotions, explique O. Zanna, l'enseignant-chercheur. Mais pour les gérer, il faut les vivre dans son corps. Alors cela passe par des jeux de rôle, des jeux chantés, du théâtre-forum… On crée dans la classe des conditions de partage des émotions. Des situations où l'on s'ouvre à l'autre, où l'on se met à sa place”. La parole échangée est aussi au cœur du projet. Chaque jeu est suivi d’un débriefing qui permet de faire émerger les émotions suscitées par l’activité, et de les nommer. “Les élèves scolarisés en réseau d’éducation prioritaire souffrent souvent d’un déficit en langage, explique G. Vaz, un des coordonnateurs. Il y a parfois peu d’échanges au sein des familles et les enfants n’ont pas les ressources lexicales pour exprimer leur ressenti, ce qui génère régulièrement des malentendus, des conflits”. La formation a mis au jour pour les élèves un lien fort entre l’empathie par le corps, “Notre capacité à être à l'écoute de l'autre, à ressentir ce qu'il ressent, sans se confondre avec lui”, rappelle O. Zanna, et la communication verbale. En travaillant sur le rapport à l’autre, l’échange et l’écoute, la formation a permis progressivement aux élèves de renforcer leurs liens, de développer entre eux des interactions nouvelles. Et l’envie était forte de partager cette expérience avec leurs familles. La planification des rencontres était prévue dans le cadre de l’expérimentation. Comment motiver les parents à participer à ces rendez-vous ? Comment s’emparer de ces événements pour fédérer école et familles sur un mode coopératif et participatif, miroir de l’expérimentation EPLUCHE ?

Impliquer enfants et familles dans le choix d’un lieu neutre

Quatre rencontres ont été organisées au cours du projet, deux par année, la première au second trimestre et la seconde en fin d’année scolaire ; chacune formalisant le clap final d’un cycle thématique en montrant aux parents les travaux réalisés lors des séances dédiées au projet. Pour créer des conditions favorables à la rencontre, les enseignants proposent tout d’abord aux élèves de choisir collectivement et progressivement un espace attractif et neutre. “Un choix libre, mais avec quelques consignes, précise T. Ben Amara, enseignante à l’école Gérard-Philippe. Les élèves choisissent un endroit où ils se sentent bien, où ils seront contents de se retrouver ; il faut qu’il y ait de la verdure, et que le lieu soit suffisamment grand pour accueillir beaucoup de monde”. En effet, les goûters réunissent les écoles du réseau d’éducation prioritaire, voire les écoles des différents réseaux participants. Soit au moins 80 personnes (adultes, élèves, fratries) présentes à chaque goûter. Pour le premier opus, l’année de CM1, les consignes sont données avant les vacances d’automne. Chaque élève a pour mission de se promener dans son quartier. Il doit remettre à son professeur, en novembre, une représentation de trois espaces sous forme de photographie, de croquis ou de peinture : un lieu qu’il aime, un autre qu’il aime peu, un troisième qu’il n’aime pas. En novembre, O. Zanna et son équipe d’étudiants en STAPS (Sciences et techniques des activités physiques et sportives) proposent à la classe un travail de synthèse des propositions de chacun, par groupes de cinq élèves environ. Chaque groupe dispose d’une carte de son quartier sous la forme d’un grand panneau ; l’école est au centre. Les élèves collent les représentations des trois lieux qu’ils ont sélectionnés, puis se mettent d’accord sur le choix de l’endroit où se déroulera le goûter. L’étape de la restitution collective permet d’élire deux ou trois lieux appréciés par tous. Quelques semaines plus tard, l’enseignante organise une balade dans le quartier et invite les parents à venir découvrir les lieux choisis par leurs enfants. C’est un premier temps de rencontre et de discussion, un motif pour que les familles se déplacent, pour impulser l’échange et construire la relation. À l’issue de la sortie, la professeure remet un questionnaire aux parents pour qu’ils élisent le lieu définitif du goûter.

Une information régulière, essentielle pour les parents

Les élèves ont bénéficié de l’expérimentation en CM1 et en CM2. Ces étapes de sélection du lieu ont pu varier, selon le moment du cursus de formation, selon les enseignants. “La deuxième année, explique T. Ben Amara, cette recherche du lieu a fait l’objet d’une activité en géographie pour apprendre à se repérer. Avec la classe, nous nous sommes déplacés dans le quartier avec une carte. Les élèves ont identifié les bâtiments importants, visualisé les lieux et leur représentation cartographique. Ensuite, ils ont construit leur propre plan pour indiquer trois lieux positifs et trois lieux négatifs de leur sélection. O. Zanna a réalisé la synthèse des travaux et deux étudiants sont venus en janvier nous présenter le résultat. Sur un plan Google Maps, les élèves ont replacé les endroits retenus : la promenade Newton (espace vert), le centre commercial, la cité du cirque Marceau, le collège Alain-Fournier, la salle municipale Barbara, mais aussi notre école !”. Suite à cette sélection, l’enseignante a distribué une enquête écrite à destination des parents, afin qu’ils votent pour un de ces lieux ou en proposent un nouveau. Lors de la remise des bulletins, T. Ben Amara avait expliqué aux parents l’objet de ce document. “Cependant, nous n’avons pas eu beaucoup de retours de l’enquête poursuit l’enseignante. Il y avait trop de texte, c’était compliqué pour les parents non-lecteurs de la langue française. Et pourtant ils ont été nombreux à venir. Mais au fil des goûters organisés pendant ces deux années, je me suis aperçu que le lieu leur importait peu, mais qu’ils appréciaient d’être pris en compte et tenus informés”. Pendant les deux années, plusieurs horaires ont été testés, l’après-midi et en soirée. Une tentative, dans le cadre de l’horaire scolaire, les enseignants se déplaçant avec leur classe, n’a pas autant mobilisé les parents. Le début de soirée, avec un rendez-vous à partir de 17 h 30, est plus attractif.

Des rencontres qui favorisent les échanges

“Évidemment, explique O. Zanna, le goûter est un prétexte pour faire venir les parents. L’important est ce qui se tisse au fil des rencontres, avant et pendant ces temps forts”. Pour introduire chaque rendez-vous, l’enseignant-chercheur présente le cycle thématique achevé, ses objectifs et ses contenus. À l’appui, il vidéo-projette de courts films des élèves en action lors des activités (théâtre, jeux dansés, chantés…), expose des photographies et les productions écrites compilées des écoliers. Au début, tout le monde est assis, écoute, les élèves des différentes écoles ne se mélangent pas. “Mais ! On a fait la même chose !” s’étonne quand même une écolière. Après la présentation, O. Zanna invite les élèves à jouer devant leurs familles. Un petit jeu de contact, par exemple, permet de mobiliser rapidement les élèves, de faire céder quelques timidités initiales. “Vous marchez, vous êtes dans la rue, dans vos pensées. À mon signal, vous allez regarder quelqu’un, puis lui serrer la main”. Cette activité introductive laisse place à d’autres, plus longues. “Le jeu des mousquetaires, très représentatif du projet, a bien fonctionné”, se rappelle G. Vaz (voir annexe). Chaque équipe est composée de quatre enfants. Quatre d’entre eux sont dans une position inconfortable, l’un assis avec une jambe tendue en l’air, l’autre tenant un ballon à bout de bras, etc. Un membre de l’équipe court et observe ses camarades. Il doit remplacer celui qui en a besoin avant qu’il ne soit trop tard, qu’il ne lâche sa posture et que l’équipe perde la manche. Dans une première version du jeu, les enfants peuvent parler ; dans une seconde, celui qui court doit, grâce à son observation, venir en aide à l’un de ses camarades. “Je voyais bien sur son visage qu’il fallait le remplacer !”, explique l’un d’eux lors du débriefing. Au fil des activités ludiques, connues de tous les élèves, les écoles se mixent et, rapidement, certains enfants vont solliciter leurs parents pour venir jouer aussi. “Les élèves ont été étonnés et heureux de voir que des camarades d’autres écoles avaient suivi le même projet qu’eux, et qu’ils pouvaient jouer ensemble, et faire ainsi connaissance”, relate G. Vaz. Et c’est une rencontre école-familles réellement inédite qui donne à voir et à vivre les activités faites dans le cadre scolaire. “Une mère m’a confié qu’elle avait enfin compris ce que sa fille lui racontait depuis un an, quand avait débuté le projet”, poursuit la coordonnatrice de Rep.
 

Des passerelles avec les disciplines

“Le dernier goûter, en fin de CM2, s’est déroulé dans le gymnase du collège Alain-Fournier, futur établissement des élèves”, se rappelle T. Ben Amara. O. Zanna a introduit la rencontre, et l’une des activités, “Sculpte ton tableau”, en lien avec l’histoire des arts, a fait l’objet d’une exposition. Petit retour en arrière, au moment des séances à l’école, pour prendre connaissance de la genèse de ce travail artistique. Au départ, les élèves se sont promenés dans un musée éphémère installé pour eux, dans leurs locaux. Ils ont découvert des représentations de très célèbres peintures telles que Le radeau de la méduse de T. Géricault, Le cri d’E. Munsch, etc. Puis leur professeur leur a donné la consigne : “Par groupes, en vous mettant en scène, créez une représentation visuelle du tableau qui vous intéresse”. Un élève artiste sculptait les corps, positionnait ses camarades, et disait aux visiteurs du musée, à savoir leur professeure, O. Zanna, et leurs camarades, comment regarder l’œuvre. Certains réagissant, “Moi, je n’aurais pas fait comme cela”, sont invités par les adultes à proposer leur sculpture humaine… En filigrane, les élèves proposent dans ce travail leur lecture des émotions que dégagent le tableau et ses personnages. Chaque œuvre sculptée a été photographiée. C’est l'objet de l’exposition proposée lors du goûter final. Ce jour-là, les élèves de CM2 ont spontanément pris en charge la visite de l’exposition auprès de leurs parents, de leurs frères et sœurs, et même auprès des collégiens. Un moment fédérateur autour de l’histoire des arts. “Le projet EPLUCHE a irradié les contenus disciplinaires de cours moyen, j’ai fait beaucoup de liens porteurs de sens”, explique T. Ben Amara. En français, par exemple, nous avons étudié le roman Le royaume de Kensuké, de Michael Morpurgo, en nous interrogeant sur les émotions successives du héros au fil du récit. Et les élèves ont pu jouer ces émotions dans les activités proposées lors des séances dédiées au projet”. À la fin de l’expérimentation, O. Zanna a créé un jeu sur le modèle du Time’s Up!, avec des cartes correspondant à toutes les émotions ressenties, identifiées lors des différents cycles thématiques. Proposé aussi lors du dernier goûter, ce jeu collectif a remporté un vif succès. Une sélection de cartes, la même du début à la fin du jeu, doit être devinée par les joueurs en trois manches : lors de la première, le joueur fait deviner à son équipe le mot correspondant à chaque carte en l’expliquant ; lors de la seconde, il fait deviner l’émotion en un seul mot, et lors de la troisième manche, il mime l’émotion indiquée sur la carte.

Une relation nouvelle avec les familles

Ce lien fort établi entre la formation à l’empathie et les disciplines participe à la construction d’une nouvelle relation avec les familles. En effet, les pauses-goûter, en donnant à voir un projet d’envergure, ont aussi révélé aux familles les apprentissages qui se construisent à l’école, et qui restent souvent pour elles en zone d’ombre lors des rencontres parents-professeurs. Ce sont aussi des démarches pédagogiques qui ont été mises en lumière. “C’est agréable d’avoir une école où nos enfants ne sont pas juste assis”, ont remarqué quelques parents. La relation d'intérêt et de confiance s’est enrichie au fil des rencontres. Les parents sont parfois venus voir les enseignants pour évoquer le comportement de leur enfant, plus apaisé et plus confiant grâce au projet, même à la maison. Tous ont compris qu’en travaillant sur les émotions par le jeu, on met au centre la réflexion sur le respect des autres et de soi, et l’on peut casser les mécanismes susceptibles d’engendrer de la violence dans le cadre scolaire, mais pas seulement. L’organisation des goûters dans des lieux neutres et en soirée a symboliquement libéré les enfants et leurs parents de certaines représentations du domaine scolaire pour, paradoxalement, renforcer les liens école-familles en donnant à voir, sur un mode participatif et ludique, ce que les enfants font sur le temps scolaire. “Nous avons pu observer des attitudes nouvelles de la part des parents, conclut T. Ben Amara. D’une part, un grand nombre de familles a participé aux rencontres. Mais, plus surprenant, certaines nous ont écrit pour s’excuser de ne pas pouvoir venir. Et puis beaucoup nous ont remerciés d’être à leur écoute et à celle de leurs enfants”.



1. O. Zanna est docteur en sociologie et en psychologie, maître de conférences, UFR sciences et techniques (STAPS) de l’université du Maine (Le Mans), directeur du laboratoire VIP&S-Le-Mans (Violences, identités, politiques et sports).
2. M. Guiet, inspecteur de l’Éducation nationale (IEN) adjoint au directeur des services de l’Éducation nationale en Sarthe.
3. G. Vaz, G. Rouby et P. Viard.
4. Il s’agit de prévenir le harcèlement en travaillant sur des situations quotidiennes parfois génératrices d’agressivité.
5. Time's Up! est un jeu de société créé par Peter Sarrett en 1999 et distribué en France par Asmodée.

L’expérimentation EPLUCHE (de l’empathie pour lutter contre le harcèlement à l’école)

L’expérimentation est présentée sur le site du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse

Chacun des acteurs de l’expérimentation a bénéficié de temps de formation réguliers au cours des deux années pour mettre en œuvre, auprès des élèves, chaque cycle de travail visant à éduquer à la valeur d’empathie en passant par le jeu : jeux dansés, mimés, théâtre-forum… Cette formation s’est déployée selon une structure pyramidale. Avant chaque début de cycle, O. Zanna et ses étudiants en STAPS (Sciences et techniques des activités physiques et sportives) ont formé les coordonnateurs de réseau et les conseillers pédagogiques de circonscription. Ces derniers ont formé à leur tour les enseignants et les ont accompagnés lors des séances avec les élèves. L’ensemble des acteurs du projet a également participé à des temps d’échanges et à des conférences.

Pour en savoir plus sur…
Reportage et interview d’O. Zanna
• O. Zanna consacre la quatrième partie de son dernier ouvrage, Le corps dans la relation aux autres (Presses universitaires de Rennes, 2015), à la présentation d’un programme d’éducation à l’empathie qu’il est possible de mettre en place dès les premières années de la scolarisation.
 
 
auteur(s) :

N. Le Rouge

contributeur(s) :

B. Amara, Mme Vaz, M; Zanna, École Gérard-Philippe, Le Mans [72]

ressource(s) principale(s)

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