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histoires en pièces assemblées

mis à jour le 01/12/2008


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Comment conjuguer mémoires individuelles et mémoire collective au sein d'un projet européen ? En donnant vie à Puzzle, une œuvre d'art dramatique, écrite et interprétée par des lycéens finlandais, hongrois et français qui, à partir de la part d'ombre de leurs Histoires respectives, ont créé un spectacle à dimension universelle.

mots clés : échanger, identité européenne, europe, théâtre, échanges, mémoire, écriture, rencontres


Des ombres noires rôdent tour à tour sur le plateau. Manteaux noirs de la Gestapo arrêtant des résistants français, manteaux noirs des sbires de Rakosi, le dictateur hongrois, manteaux noirs des représentants de l'ordre soviétique opprimant la Hongrie ; mais aussi scène finale apaisée du pain noir partagé, lors du Talkot, comme l'on nomme en finnois la phase de reconstruction de la Finlande, après son indépendance. Quelque quarante-cinq jeunes, issus de trois nations européennes, évoquent des périodes sombres ou lumineuses de chaque pays, s'engagent dans des chœurs et des déplacements où chacun prend la place de l'autre. Nous sommes en mars 2008, en Hongrie, au festival de théâtre lycéen francophone de Pécs. À l'issue de cette unique représentation de Puzzle, l'émotion est à son comble. Non seulement celle des spectateurs, mais aussi celle des participants, bouleversés de voir se fondre les Histoires propres à chaque pays en une Histoire commune, celle de jeunes citoyens européens (voir annexe).

Une histoire de rencontres

Tout est né de la fascination exercée chez cette professeure de lettres du lycée David-d'Angers par le système éducatif finlandais qu'elle a découvert par l'intermédiaire de Ludovic Kerfendal. Ce metteur en scène angevin de la compagnie Okibu a, en effet, séjourné à Helsinki en tant que professeur de théâtre au lycée Kallio. Sa compagnie offre, entre autres particularités, de toujours associer Finlandais et Français au sein de ses spectacles. C'est ainsi que par son intermédiaire, Chantal Riou s'est rapprochée, depuis 2004, du lycée Kallio d'Helsinki, un établissement à profil où les élèves, sélectionnés sur leur motivation, préparent leur baccalauréat en suivant trois options à caractère artistique. Ensuite, les liens avec les enseignantes et lycéennes finlandaises se sont approfondis avec, pour ligne directrice des échanges, des représentations dramatiques permettant à chacun de mieux entrer dans la culture, l'histoire et l'imaginaire de l'autre. C'est donc dans le cadre d'un atelier de pratiques artistiques dédié au théâtre qu'enseignant et metteur en scène proposent, tous les deux ans, un projet particulier. Même chose à Helsinki où des liens se sont peu à peu tissés avec le proviseur, qui apprend de ce fait le français, mais surtout avec les professeurs de français et d'écriture du lycée Kallio.

La Finlande, en Europe ?

Pour les enseignants, comme pour les élèves, aller en Finlande prend vraiment une allure exotique. "Vous êtes sûre que c'est en Europe ?", s'est entendu dire la professeure ! Certes, un véritable dépaysement est assuré par les paysages et l'ombre qui règne en maître en janvier. Mais la surprise, c'est aussi de se trouver confronté avec une autre image de l'éducation. Un système qui, par ricochet, nous permet de voir le nôtre avec plus de netteté. De fait, l'école finlandaise, au stade du lycée, se caractérise d'abord par sa souplesse, une souplesse qui, par comparaison, nous renvoie une image bien académique du lycée français. En effet, un lycéen finlandais gère la validation de ses compétences dans diverses disciplines à son rythme d'apprentissage. De ce fait, la notion de "classe" au sens français du terme n'a pas de sens. Les élèves sont rassemblés en groupements provisoires et mobiles pour des unités de temps pédagogique de sept semaines, séquences d'apprentissage se concluant par une dernière semaine d'évaluation. Il s'agit donc de groupes modulables, encadrés par des personnes cumulant des fonctions qui relèveraient, dans le système français, du conseiller d'orientation, du conseiller d'éducation et du professeur principal. À l'issue de leur passage en école primaire et au collège, destiné à résoudre leurs difficultés, ils jouissent d'une réelle maturité qui surprend souvent leur famille d'accueil française. Au bout du compte, les lycéens acquièrent une autonomie plus développée que dans le système éducatif français. Les cursus personnalisés des élèves, qui peuvent inclure des arrêts d'études, y compris pour travailler, rendent complexes les emplois du temps, ceux des élèves mais aussi ceux des enseignants. Cette maturité doublée d'autonomie est d'autant plus renforcée dans ce lycée où les élèves ont choisi de venir pour faire trois options artistiques supplémentaires.


"Vers des mémoires partagées"

Revenons donc à notre projet théâtral 2007-2008. Enseignants et metteur en scène partagent un même objectif : mettre en jeu la question des mémoires individuelles et collectives liées aux traumatismes de l'histoire. Le projet théâtral commence à naître, entre France et Finlande, tout d'abord. Très vite, une rencontre, dans le cadre du festival de théâtre francophone à Pécs, amène le metteur en scène à envisager un pari un peu plus fou : intégrer le lycée Leowey de Pécs et sa section francophone et théâtrale dans l'aventure. Contact pris, pari tenu. Le projet se dessine ainsi : chaque groupe de lycéens va choisir dans son histoire nationale une période dont on ressent encore le traumatisme. Pour les Finlandais, c'est l'épisode de la fin de la Seconde Guerre mondiale où la nation, entre URSS et Allemagne, se retrouve amputée d'une de ses provinces, la Carélie. Les lycéens hongrois, avec leur professeure de théâtre, choisissent de travailler sur l'épisode de la révolution de 1956 et le rôle du dictateur Rakosi. Quant aux jeunes Français, ils choisissent de revisiter ces temps troublés où dénonciation des juifs et résistance bousculaient les vies, celles de jeunes et de familles comme les leurs. Il va sans dire que ces choix ont nécessité des compléments d'informations et recherches documentaires pour que chacun les partage et les comprenne. L'obstacle est bien identifié : pas question que trois nations s'affrontent sur scène, chacune avec son drapeau pour montrer son héroïsme. Ce sera donc à la mise en scène et au travail d'écriture qu'il reviendra d'assumer collectivement ces histoires, les mêmes en fait, celles d'une union en construction.

Les traumatismes en ateliers

Les élèves des trois lycées, David-d'Angers, Kallio à Helsinki et Leowey à Pécs, ont donc mené parallèlement, au sein d'ateliers de pratiques artistiques de théâtre et d'écriture, l'élaboration de ce projet commun. Le metteur en scène en était le dénominateur commun. Chacun se trouvait confronté à des connaissances, mais aussi à des histoires individuelles, et soulevaient des questions taboues pour certaines d'entre elles. En imaginant des situations, en se mettant dans la peau de leurs ascendants, les jeunes acteurs du spectacle ont été conduits à vivre de l'intérieur des situations historiques critiques et donc à s'interroger sur le comportement qu'ils auraient été amenés à adopter dans ces tragiques circonstances. C'est en cela que l'histoire individuelle rejoint l'Histoire collective. À l'heure où le nombre de témoins fait peau de chagrin et en contrepoint à l'approche historique privilégiant la raison, le recours à l'émotion, via des récits fondés sur des expériences individuelles, est de nature à faire perdurer la mémoire. Par le croisement des histoires nationales, par l'évocation des divers totalitarismes, le spectacle s'est donc construit sur des propositions de scènes écrites et jouées par chacun des lycées. Mais à deux reprises, novembre à Angers, janvier à Helsinki, tous se sont retrouvés pour continuer écriture et propositions. Les scènes se sont assemblées dans un immense Puzzle. C'est ainsi que le "chemin de fer" du spectacle s'est échafaudé et arrêté à Helsinki. À la grande surprise de tous, le filage des parties communes a suffi pour faire naître les larmes et l'émotion chez les parents et partenaires finlandais (voir annexe). Autre surprise, des scènes sont apparues, quasiment les mêmes, émanant des trois lycées. Si chacun avait mis en jeu les conséquences d'une vie dans l'ombre, chaque scène s'est trouvée imbriquée dans un ensemble plus vaste, qu'il s'agisse du chœur du prologue ou des défilés d'une foule envoûtée par un dictateur puis en proie à une fuite éperdue, avant la révolte qui déboulonne les statues. À ces moments, tous étaient en scène et les corps qui s'affolaient, tombaient, se redressaient n'étaient plus français, finlandais ou hongrois. Ce que voyait le spectateur, c'était l'émergence d'une histoire commune, à dimension universelle, d'une Europe en reconstruction et en construction.

Maturation et acculturation

Pour ce qui est du travail dans le lycée français, il se trouve que, depuis la rentrée 2007, le programme de français en première inclut une nouvelle perspective : l'étude du personnage romanesque définie ainsi : "Vision de l'homme, vision du monde". Celle-ci ouvre donc à une prise en compte de la dimension existentielle autant qu'universelle de la fiction. La professeure de français a choisi d'engager dans cet atelier théâtral la classe littéraire du lycée, valorisant à leurs yeux, et à ceux des autres, la spécificité de cette filière. Cette classe s'est donc lancée dans un vaste projet où le théâtre, la littérature, l'histoire et le français font office de traits d'union entre lycéens européens. Une équipe pédagogique est constituée avec Françoise Arnaud, professeure d'anglais et Danièle Coutrix, professeure d'histoire-géographie. C'est ainsi que l'étude historique des pays partenaires a été anticipée pour que les élèves en aient une vision plus européenne. Les travaux personnels encadrés (TPE) ont permis, eux aussi, d'éclairer certains pans de cette période, à travers le croisement du français et de l'histoire et même en revisitant certaines zones d'ombre de l'histoire du lycée lui-même. En anglais, des échanges et des traductions ont permis de faciliter la communication. Si le spectacle final était en français, il a fallu passer par l'anglais, à certains moments, pour faciliter la communication, notamment avec les finlandaises. Ce projet exigeant a permis que tous les élèves réunis en stage entendent le même professeur d'histoire leur présenter le nazisme. Ensemble, ils ont vu le film Shoah de Claude Lanzmann. En recevant les propositions de scénarios, ils ont pu en apprendre un peu plus sur l'histoire de la Hongrie ou de la Finlande. De la documentation, mais aussi des questions dans une langue quelquefois maladroite, mais qu'importe !


L'Europe en représentation

L'élaboration d'un projet d'une telle envergure a exigé un calendrier serré, ménageant plusieurs séjours de collaboration. En novembre2007, les Finlandaises et les Hongrois se sont rendus à Angers. En janvier2008, ce sont les Français et les Hongrois qui sont allés à Helsinki. Tous se sont retrouvés pour l'unique représentation finale qui s'est déroulée à Pécs, à la fin du mois de mars, dans le cadre d'un festival européen, devant un parterre de spectateurs où se côtoyaient Roumains et Ukrainiens, Polonais et Allemands, d'autres Français et des Espagnols. Toutes ces propositions théâtrales partaient des particularités de chaque pays, mais aussi de ce fonds commun d'humanité et d'humanisme qui fait le creuset de ce que d'aucuns nomment "la vieille Europe". Avec la langue française comme vecteur commun, le spectacle, qui alterne théâtre de textes sous forme de scènes dialoguées et théâtre d'images, a permis d'approcher un instant, "un instant seulement", ce qui réunit plus que ce qui sépare. Des fragments dramatiques ont été consacrés au "Pionnier", mouvement scout hongrois d'inspiration soviétique, aussi bien qu'au défilé du premier mai ou au retour de déportés français. Mais les enchaînements ont montré que des populations déplacées, arrêtées, emprisonnées, déportées, constituent un invariant récurrent des périodes représentées. Le temps éphémère de la représentation dramatique, unique de surcroît, a donné force et intensité à ce passé d'où a émergé le rêve européen.



Dans toute la force et la fragilité d'une unique représentation, cinquante lycéens hongrois, français et finlandais, ont partagé le même plateau et ont pu être regardés comme un concentré d'Europe. Paradoxalement, c'est sans doute la forte inscription historique de l'intrigue qui a pu conférer à cette expérience singulière une dimension universelle. Une expérience fondatrice, peut-être, mais qui se devra d'être sans cesse renouvelée comme s'assemblent progressivement les pièces d'un vaste puzzle. "C'est à ce prix que vous viv(r)ez des rêves en Europe", aurait pu dire Montesquieu !
 
auteur(s) :

J. Perru

contributeur(s) :

C. Riou, Lycée David-d’Angers, Angers [49]

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information(s) technique(s) : pdf

taille : 253 Ko ;

ressource(s) principale(s)

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