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l'Europe sur le fil de l'histoire et de la mémoire

mis à jour le 01/12/2008


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Concevoir l'Europe nécessite des savoirs aussi bien géographiques qu'historiques. Cela pose aussi des questions d'identité, d'appartenance et de citoyenneté.
Une discipline tisse ces fils, l'histoire-géographie, et tout particulièrement dans le programme de troisième. Des enseignants prennent appui sur l'histoire et la mémoire et interrogent ainsi la construction européenne.

mots clés : échanger, identité européenne, europe, construction


Quand un professeur d'histoire-géographie, Philippe Dreano, par engagement humaniste et historien, travaille depuis longtemps sur la mémoire de la Shoah et qu'il tisse des liens avec la Pologne, aide-t-il ses élèves à construire l'Europe ? Comment et quelle Europe ?

Pas si simple !

Les questions sont nombreuses et pas forcément résolues pour que ces notions prennent sens, ensemble, dans l'esprit des collégiens. Il s'agit de donner aux élèves des connaissances fiables sur la construction européenne, ses étapes et ses enjeux. Mais comment les intégrer aux exigences du socle de connaissances qui concerne "la culture humaniste", cadre européen oblige ? Comment les intéresser aux questions mémorielles que suscitent les soubresauts de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, soubresauts et barbarie qui sont eux-mêmes à l'origine de la création de l'espace européen ? Comment les faire entrer dans les débats actuels sur la constitution de l'Europe en restant dans le domaine de l'enseignement ? L'Europe est-elle la même quand on la regarde de Pologne, d'Allemagne ou de France ? Que devient cette image quand on se confronte à l'histoire des camps, celle qui vit dans la mémoire et les témoignages d'anciens déportés, celle que s'en font des jeunes de quinze ans? Questions multiples, donc, avec les pistes de réponses apportées au fil d'une année, incomplètes, sans doute, mais riches de réflexion. Surtout quand ces élèves de troisième s'engagent dans un parcours marquant, puisqu'un séjour en Pologne est programmé, qui les conduira aussi à Auschwitz-Birkenau. Suivons donc le fil de l'histoire d'une classe.

Une année sous le regard de Robert Schuman...

Pour poser le travail de l'année, l'enseignant met tout de suite les élèves au cœur de la construction européenne par un travail sur un texte fondateur de Robert Schuman, l'un des pères de l'Europe. Pour cela, il choisit de les faire travailler sur un extrait du discours du 9 mai 1950. Ce travail initial a le mérite de faire comprendre aux élèves l'importance historique de l'axe franco-allemand. De fait, l'Europe d'aujourd'hui ne peut s'appréhender sans faire référence à l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. Ils perçoivent le lien direct avec l'histoire puisque l'identité européenne naît et s'affirme au moment où l'Europe sort meurtrie et disloquée de l'épreuve du nazisme. C'est ainsi l'occasion de s'interroger sur l'identité européenne. Ils peuvent comprendre que ce texte prend appui sur une culture humaniste, héritée de la tradition dite des Lumières, une culture liée à des principes comme ceux de la libre circulation des biens et des personnes. Vivre en Europe, c'est aussi adhérer à des valeurs que l'on peut qualifier de démocratiques (voir annexe).

L'Europe, "un berceau de civilisation" ?

L'étude du texte de Robert Schuman plonge directement les élèves au cœur de la tension initiale entre des enjeux humanistes et une problématique essentiellement économique. À partir de là, le travail va pouvoir continuer sur les grandes étapes de la construction européenne : traité de Rome et de Maastricht. Puis, toujours par des textes et quelques photographies, l'enseignant aborde de façon plus approfondie la Seconde Guerre mondiale et, pour la première fois, la question de la Shoah, la question de la destruction des Juifs du continent européen. Par cette approche, les élèves découvrent qu'il n'est de regard au présent ni de réflexion qui ne renvoient à des images du passé. Un des textes utilisés parle de l'Europe, berceau "d'une civilisation brillante... et conquérante". Alors évidemment, il faut se demander : Que serait l'Europe aujourd'hui sans la Shoah, sans "cette énormité impardonnable" (Raymond Federman) ? Parmi les six millions de morts "avant l'heure", car ce n'était pas "leur heure", combien l'Europe a-t-elle perdu de savants, penseurs, écrivains, peintres, musiciens... ? Que serait l'Europe aujourd'hui, car c'est tout un monde étonnant de richesse, de complexité, d'intelligence qui, d'un coup, a disparu à Auschwitz, à Treblinka... ou quelque part... sans que l'on sache où se trouve ce quelque part, sinon en Europe ? Que serait l'Europe aujourd'hui, si elle avait gardé tous ceux qui l'ont quittée entre les années1930 et1950 pour "enrichir" d'autres pays, et notamment les États-Unis ? Quelle place alors tiendrait l'Europe d'aujourd'hui dans le monde ? Réponse impossible... L'Europe s'est construite... mais cette Europe tient-elle aujourd'hui toutes ses promesses ? Comment la construire encore et/ou autrement aujourd'hui ? Les jeunes élèves sont alors placés devant la question de l'avenir politique de l'Union européenne (UE) et des orientations sur lesquelles ils auront certainement à se prononcer plus tard. Les élèves commencent ainsi à comprendre, mais aussi à s'interroger sur ce que les nouveaux programmes, progressivement mis en place à partir de cette année, nomment désormais "approche d'une culture européenne partagée". En concevant ce projet spécifique, en essayant d'apporter des réponses aux questions que posent et le projet et le croisement des disciplines, il se trouve en effet que l'enseignant a anticipé, d'une certaine façon, sur l'esprit et les enjeux des programmes tels qu'ils ont été redéfinis en 2008 (voir annexe).

Moi et l'Autre

Dès ce moment, le lien est explicitement tracé entre le génocide juif et la construction européenne. Mais dans la tête de jeunes de quatorze ou quinze ans, il est facile de faire reposer erreurs et fautes sur les autres. Auschwitz, c'est loin et dans le temps et dans l'espace. La Pologne, elle-même, est une forme de no man's land, là-bas, loin à l'Est. Ils n'en ont qu'une représentation très vague, même sur le plan géographique. L'idée même de commune appartenance européenne est loin de l'évidence. À l'occasion de la venue de correspondants allemands, le professeur a complété un sondage sur l'image associée à la Pologne. Quelques remarques parmi d'autres qui ont parfois surpris les jeunes Français : "J'aime bien les Polonais car ils sont très accueillants. En plus les repas sont délicieux". Mais aussi : "Je pense que les Polonais volent beaucoup. Mais je ne sais pas si c'est vrai. Mes voisins sont Polonais et ils ne sont pas gentils. Je les déteste". - "Je crois qu'une grande partie de la Pologne faisait partie de l'Allemagne dans le passé. Mon grand-père y habitait - (la Silésie). Les Polonais occupaient des parties d'Allemagne et les Allemands devaient fuir". Alors, on le voit, cours d'histoire et de géographie ne sont pas, ne seront pas de trop pour se faire des idées claires et précises, éloignées des préjugés! Pourtant, les connaissances ne suffisent pas quand il s'agit d'éradiquer des représentations ou lorsqu'on doit imaginer la barbarie du nazisme.

De l'Histoire, des histoires

C'est alors que le travail du professeur d'histoire s'articule avec celui de ses collègues de français. Depuis plusieurs années, dans ce collège, les questions de mémoire et de citoyenneté s'appuient aussi sur la lecture d'ouvrages de littérature contemporaine destinés à un public adolescent (voir ci-contre). En effet, entrer dans la fiction permet d'ouvrir un espace transitionnel, une forme de "déflexion", "un art du ricochet" qui ouvre des espaces que l'Histoire ne peut se permettre. C'est ainsi que déjà dans les années précédentes, des élèves, avec ces enseignants, avaient lu des ouvrages et avaient rencontré l'auteur de Sobibor, Jean Molla, et de Chante Luna, Paule Du Bouchet. Ils avaient même réalisé, grâce à l'aide technique et pédagogique de leur professeur de technologie, Lionel Duarte (et l'aide précieuse de Patrick Celdran, professeur de mathématiques), un DVD dans lequel ils prêtaient leurs voix à des textes liés à la Shoah, extraits de littérature jeunesse mais aussi textes d'auteurs allemands comme Goethe, journaux ou témoignages de déportés. En entrant dans des fictions par la voix d'une jeune anorexique d'aujourd'hui ou en pénétrant avec Luna dans le ghetto de Varsovie en 1939, ils sont plus à même d'entendre en eux-mêmes résonner cette part d'Histoire.

"Chante Luna"

Mais ce travail en français, ce détour par la fiction, s'avère d'autant plus pertinent cette année que des élèves se préparent à entreprendre un voyage qui pourrait se révéler difficile en Pologne. Ils vont être confrontés à l'insoutenable. Pour cela, les élèves, avec Sylvie Le Boudic-Jamin et Vincent Polblanc, leurs professeurs de français, lisent le roman de manière autonome : ils sont guidés par un questionnaire (voir annexe). La ligne directrice de ce travail est d'amener les élèves à découvrir les liens entre Histoire et fiction romanesque, l'enrichissement réciproque qui s'instaure entre ces deux domaines, ainsi que les lectures différentes qu'ils nécessitent. La mise en commun a eu lieu l'an dernier, juste avant la venue de l'écrivain au collège afin de réactiver les souvenirs des élèves et de nourrir leur questionnement. Cette année, ce travail sera complété par une étude de textes, fictions et témoignages, portant sur Drancy, la déportation et les différents camps. Cette séquence se situera quelque temps avant le départ en Pologne dans le cadre de la préparation à ce voyage et afin de permettre aux élèves d'appréhender concrètement les rapports entre réalité et fiction. Par ailleurs, comme l'an passé, les élèves procéderont, à leur retour, à une "mise en voix" d'extraits de romans, mis en écho avec des textes écrits par des témoins de la déportation et des camps. Alors, le diaporama prendra forme par un choix d'images et de musique. Comme Luna, l'héroïne de Paule Du Bouchet, ils se feront passeurs de mémoire grâce à leurs voix.

Quand on ne sait rien, alors c'est la disparition

En avril2008, Samuel Pisar prononçait à Paris un discours dans lequel il disait notamment : "Nous, les derniers survivants des ghettos et des camps, qui avons vécu l'Holocauste dans la chair et dans l'âme, nous disparaissons maintenant les uns après les autres. Bientôt, l'Histoire parlera de cette catastrophe, au mieux avec la voix impersonnelle des chercheurs et des romanciers, au pire, avec la malveillance des révisionnistes, des provocateurs et des démagogues. Ce processus est déjà commencé et il s'accélère tous les jours. C'est ainsi !". Pour résister à cette menace du silence ou de la banalisation, outre les cours d'histoire et les lectures des romans, les élèves se confrontent aussi à des paroles, celles des déportés, encore. Des témoignages directs mais aussi des livres écrits par ces hommes de tous les pays d'Europe, qui ont dû quitter leur terre et leurs proches et se sont retrouvés dans la tourmente de l'Histoire. En cours d'histoire, le professeur sélectionne aussi des photographies. Il a choisi tout spécialement celles de Roman Vishniac. À partir de 1933, ce photographe a sillonné les routes de l'Europe orientale et centrale dite aujourd'hui Europe de l'Est, pour saisir au quotidien la vie des communautés ashkénazes avant le génocide. Il propose aussi des films. Bien sûr, des extraits de Shoah de Claude Lanzman mais également Drancy, dernière étape avant l'abîme de Cécile Clairval et Comme un juif en France, dans la joie et la douleur d'Yves Jeuland. Parmi eux, il insiste sur Requiem pour un Massacre d'Elem Klimov qui montre une Europe de l'Est victime de massacres de masse. Ce film est mis en parallèle avec le documentaire Srebrenica plus jamais ça de Morad Aït-Habbouche et Hervé Corbière. Mémoire du passé, mais ouverture sur le présent européen et mondial aussi !

Aller en Pologne et témoigner

En mars, le travail de cette année, ponctué aussi par des travaux d'écriture, amènera ces deux classes de troisième en Pologne. Leurs pas, guidés par Monika Kaplon, une guide polonaise, partie prenante du projet dans son ensemble (voir annexe) les mèneront à Cracovie, dans le quartier de Kazimierz. Les élèves y visiteront des synagogues. Les élèves se rendront aussi au camp-musée d'Auschwitz et à Birkenau, mais aussi dans le petit village de Budy où, en octobre 1942, en une seule nuit, les Schutzstaffel (SS) assassinèrent quatre-vingt-dix femmes juives de nationalité française. Ils auront ainsi le temps de stabiliser leurs savoirs historiques et géographiques, de confronter leurs représentations avec la réalité, bref, de mûrir leurs réflexions de jeunes Européens et citoyens du monde. On peut imaginer que ces élèves ne vivront la Pologne, ni comme une excursion, ni comme une stigmatisation des Polonais. Tirer les leçons universelles du crime hitlérien, c'est s'efforcer de mieux comprendre les facteurs du basculement dans la sauvagerie, un basculement d'hier, certes, mais possible encore aujourd'hui. Une prise de conscience dont se réclame l'humanisme européen depuis le XVe siècle. Il s'agira pour eux, à leur retour, de construire une exposition dans leur ville, exposition qui les conduira à partager leur ouverture sur le monde et sur l'Europe, celle d'hier comme celle de demain. Une vision éclairée et placée sous le double signe de la connaissance et de la vigilance.
 
auteur(s) :

C. Riou

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