Contenu

innovation pédagogique

Recherche simple Vous recherchez ...

espace pédagogique > actions éducatives > innovation pédagogique > échanger

l'épreuve des trois arbres

mis à jour le 24/02/2011


echanger dossier 92

Faire parler des élèves en échec scolaire n'est pas chose facile, on se heurte souvent à un silence. J. Gautier mène une recherche de doctorat portant sur les ajustements identitaires et la trajectoire professionnelle. Il est aussi assistant d'éducation, et valide auprès des élèves une méthodologie leur permettant de parler d'eux-mêmes par le détour de dessins et de récits : un dispositif complémentaire possible pour aider à l'orientation.

mots clés : échanger, entretien, psychologie, échec scolaire, médiation, connaissance de soi, élève en difficulté, orientation


En général, les entretiens d'orientation ont pour but d'aider les élèves à acquérir, d'une part, des connaissances sur leur personnalité, leurs intérêts, leurs aptitudes, leurs compétences scolaires, et d'autre part, sur les champs professionnels correspondants et les filières de formation qui y conduisent. Mais les élèves en échec ou en rejet scolaire, ceux qui quittent le système sans qualification, et qu'on retrouve dans les MGI (Mission générale d'insertion), rentrent difficilement dans le cadre de procédures d'orientation qui tiennent plus compte du projet et de l'insertion professionnelle que de celui qui doit l'atteindre, l'élève en difficulté. Ces jeunes entament souvent un parcours d'errance sociale ayant pour point de départ l'absence de projets professionnel et personnel. La plupart se désengagent du cadre scolaire. Alors, il faut pouvoir les aider à identifier ce qui freine, ou bloque, en interne, l'inscription dans un projet professionnel. Si cette prise de conscience opère, ces élèves pourront peut-être faire des choix plus réalistes, et non plus apporter des réponses plus ou moins conformes à des attentes sociales, produisant une orientation subie, vécue à travers une succession de projets par défaut.

Un support simple

Cette méthodologie d'orientation prend en compte le sujet défini comme un processus biographique intégrant le passé, le présent et le futur, et ce mouvement de base qui constamment l'anime, à savoir, le refusé et le désiré. Avant de demander à un adolescent ce qu'il veut faire plus tard, il vaut mieux d'abord travailler autour de la question : "Qui veut-il devenir ou ne pas devenir ?". C'est pour cette raison que le lien est fait, dans ce travail, entre identité et orientation. Il s'agit, au cours d'entretiens, de recueillir une histoire rétrospective et prospective vécue par l'élève, et de mettre au jour des polarités, autrement dit, ce que l'élève désire devenir et ce qu'il refuse de devenir. Mais comment faire naître cette parole qui exprimera ces éléments subjectifs, qui prendra en compte les motivations profondes, la dynamique personnelle de ces élèves déscolarisés, sans projet ? Car l'élève est considéré comme détenteur d'un savoir, de ressources qu'il peut mobiliser, le rendant ainsi acteur de sa propre vie. Cependant, il méconnaît ce qu'il refuse profondément, pourtant à l'origine des comportements de retraits et d'abandon. Il est illusoire de croire qu'il va spontanément s'exprimer. C'est donc tout un dispositif qui est élaboré et testé dans le cadre de cette recherche doctorale qui a pour but de favoriser l'expression de l'univers singulier de l'élève en l'amenant à développer un discours à la première personne, à partir d'un support figuratif, l'arbre, dont la dimension anthropomorphique est évidente. Deux modes d'interventions spécifiques seront demandés à l'élève : le langage analogique à partir des dessins d'arbres, et l'explicitation effectuée autour de ces dessins sous forme de récits et de dialogues. Il s'agit d'une approche centrée sur la personne, permettant de coder l'histoire singulière de l'élève selon le contexte du moment. En identifiant les thèmes, les valeurs et les relations qui les unissent, un inventaire de la situation actuelle est établi, mettant en perspective les éléments structurants du passé et du futur. L'accompagnement se poursuit selon le même mode analogique.

Les arbres racontent

En quoi consiste ce dispositif ? Le protocole est extrêmement précis et en cours d'expérimentation, nous n'en donnerons donc que les grandes lignes en nous appuyant sur un exemple, le cas de Laura. Après une tentative de suicide, en conflit avec sa mère, séparée de son père, elle vit près de chez ses grands-parents et se retrouve en lycée professionnel, ce qu'elle vit très mal, "un truc de cas soss !". Le dispositif est présenté à l'élève en lui précisant que l'entretien a pour but de l'aider à y voir plus clair sur son orientation, ce que l'élève ne comprend pas tout de suite quand on lui demande de dessiner trois arbres ! (voir ci-dessous) "J'ai l'impression de retourner en maternelle !". Après avoir réalisé ces dessins, l'élève doit marquer l'un des arbres du signe positif et un autre du signe négatif (polarisation). Un titre est donné aux arbres sous la forme d'une impression ou d'un sentiment marquant la tonalité affective du dessin, puis l'élève doit raconter, l'une après l'autre, l'histoire des trois arbres comme si c'était eux qui parlaient : "Avant d'habiter la Terre, j'étais au jardin d'Éden, quand soudain, un homme et une femme dévorèrent mes fruits, et c'est comme cela que je me suis retrouvé sur terre pour apporter la fertilité" (Arbre 1 : fertilité). "J'étais dans le jardin d'une vieille dame. La vie y était triste ; pas d'enfants, juste un ou deux moineaux ou son chat... Mais quand elle vint à mourir, une autre famille s'installa. Il y avait des enfants, un chien, un chat, et des oiseaux qui chantaient à longueur de journée ! Même à Noël, j'étais décoré de mille feux : je retrouvais la vie !" (Arbre 2 : souvenir d'enfance). "Par une triste nuit d'été où l'orage éclata, je me fis foudroyer et je mourus." (Arbre 3 : la mort). Cela permet de déplier les trois moments de l'histoire de l'élève (présent, passé, avenir). On demande ensuite à l'élève d'expliciter, à partir d'éléments du dessin (les racines, les branches...), des sensations, des actions permettant de satisfaire les besoins exprimés par les arbres polarisés. On amène, petit à petit, à formuler deux avenirs possibles et opposés. Cette procédure de base met en évidence ce qui attire le jeune et ce qui le repousse. À la suite, il s'agit d'évoquer comment il relie ces deux extrêmes afin d'établir un inventaire de la situation actuelle.


Les arbres dialoguent

Laura doit rédiger un dialogue qui confronte les deux arbres polarisés :
Arbre 2 : Mais qu'as-tu fait de tes belles branches ? dit l'arbre à la balançoire.
Arbre 3 : Je me suis fait foudroyer cette nuit, dit-il en sanglotant.
Arbre 2 : Moi, cette nuit, les enfants jouaient, riaient, dansaient, faisaient des boules de neige... enfin, c'était Noël ! Tu n'as vraiment pas de chance.
Ensuite, elle rédige un nouveau dialogue intégrant le troisième arbre :
Arbre 2 : Hé ! tu voudrais pas me prêter quelques pommes pour habiller mes branches ? dit l'arbre à la balançoire, en s'adressant au pommier.
Arbre 1 : Pfff ! tu n'as déjà plus de feuilles, et tu veux des fruits; ridicule ! dit le pommier.
Arbre 3 : Et moi je peux avoir des branches ? dit l'arbre foudroyé.
Arbre 1 : Arrêtez tous les deux, vous êtes moches et nus, alors ne vous ridiculisez pas plus ! se moqua le pommier.
On observe alors que deux dimensions opposées coexistent en elle. Puis, en intégrant le troisième dans un nouvel échange, les arbres se lient entre eux dans une tentative d'unification et d'intégration du négatif. Ces dialogues mettent en scène des situations d'aide, ou au contraire, de fortes pressions. On peut poursuivre en demandant de dessiner deux autres arbres opposés : l'arbre de rêve et l'arbre de cauchemar, provoquant une amplification de la logique existentielle de l'élève, articulée autour du désiré et du refusé. Dans ce cas, les extrêmes sont plus marqués et la tension entre les pôles plus explicite. À travers ces échanges verbaux entre les arbres antinomiques, c'est en fait Laura qui fait parler deux parts d'elle-même, de manière à ce que le refusé puisse être réintégré à partir de l'arbre, comme une réalité interne faisant partie de sa totalité subjective.

De l'arbre à soi-même

À travers ce langage des arbres, c'est une histoire personnelle quasiment indicible qui parvient à être formulée, certainement clairement pour celui qui écoute, mais qu'en est-il pour celui qui la formule ? Quel degré de conscience a-t-il ? De quel "arbre" parle soudain Laura lorsqu'elle commente la représentation de son arbre tordu qu'elle trouvait bien énigmatique depuis le début (voir ci-dessous). "Alors là, c'est dur, parce que celui-là s'est fait décapiter, il a repoussé, mais tordu...il s'est pris plein de claques dans la gueule, mais il tient debout... Il a fait la bagarre avec d'autres arbres... On sait pas, mais la nuit, les arbres, ils sont graves. C'est un monde terrible, la nature, mais chez moi, en Suisse, c'est magnifique, c'est dans mon héritage. Il est tordu, il est handicapé parce qu'en fait, à l'origine, il manque quelque chose ; on sait pas pourquoi il est tordu, il a une contrainte qui l'a poussé, cette chose-là qui manque, on ne sait pas ce que c'est, mais cette chose-là manque. Voilà ! j'ai trouvé le "bug" dans mon dessin, je suis contente, parce qu'un arbre ne peut pas pousser tordu comme ça. Normalement, il s'élève s'il n'y a pas de contraintes ; en plus, avec un tronc comme cela, c'est pas possible ! J'ai trouvé ce qui n'allait pas... le fléau : sa maman arbre. Elle l'a étouffé parce qu'elle veillait tout le temps dessus et lui interdisait plein de trucs, alors il a poussé comme ça !". Sans le détour par ce dispositif, Laura aurait-elle jamais tenu un discours aussi clair ? Peu à peu, l'histoire, vécue tout le long du déroulement du protocole, amène l'élève vers une réflexivité qui permet des remaniements identitaires, une ouverture vers les possibles, vers le futur, et un approfondissement des connaissances relatives à soi.



Cette méthodologie (qui croise dessin, expression spontanée et entretien d'explicitation) vise à faire s'exprimer, de manière indirecte, le jeune sur son parcours, et le système de valeurs qui le sous-tend en utilisant l'arbre comme support. Ainsi il peut "dire sans dire" sa situation du moment et l'accompagnement se poursuit sur le même mode par l'intermédiaire de l'arbre. Cette procédure a permis d'aider plusieurs jeunes "décrocheurs" dans leur orientation en dégageant des projets professionnels ou d'orientation adaptés à la singularité de leur trajectoire personnelle.
 
auteur(s) :

M. Le Bihan

contributeur(s) :

J. Gautier, Lycée Rousseau, Laval [53]

fichier joint

information(s) technique(s) : pdf

taille : 188 Ko ;

ressource(s) principale(s)

echanger dossier 92 l'entretien 04/11/2010
Dans l'établissement scolaire, en dehors des heures de cours, des situations d'entretiens entre membres de la communauté éducative et élèves se développent. Ces entretiens, ciblant des objectifs préci ...
entretien, échanger, contrat, conseil, écoute, reformulation, suivi, conduite d'entretien, aide Le comité de rédaction

haut de page

innovation pédagogique - Rectorat de l'Académie de Nantes