En ce début du mois de mars 2012, au lycée Arago, on parle un langage qui n'est pas accessible aux profanes. Après une période d'interruption due aux stages, c'est l'heure des révisions. Les participants se demandent mutuellement en chinois : "Comment vas-tu ? Es-tu Français ? Quel âge as-tu ? Combien mesures-tu ?". lls hésitent encore sur l'emploi des pronoms personnels ou les mots interrogatifs, vérifient les chiffres à utiliser (
voir annexe). Mais la plupart ont acquis une bonne pratique de l'oral usuel. D'où vient cette pratique ?
Soleil couchant sur Beijing
Effectivement, la professeure de chinois, Madame Hazard, dirigeant l'institut Confucius à Angers, a distribué aux participants une fiche récapitulative avec des idéogrammes basiques et leur transcription en alphabet occidental. Les élèves doivent écrire dix phrases. La deuxième heure porte sur l'expression du temps. Là encore, il s'agit essentiellement d'un cours de conversation, ce qui n'empêche pas que chacun note des expressions types dans les deux alphabets. En chinois, où les conjugaisons verbales n'existent pas, ce sont les tons, au nombre de quatre, qui réfèrent aux notions de passé, de présent ou de futur. À l'oral, les tons correspondent à des intonations montantes et/ou descendantes de la voix, qui peuvent s'accompagner d'un lever de sourcil ! Pour la date, on va du plus grand au plus petit, soit de l'année au jour. Pour donner l'heure, on emploie la tournure xiãn zai que l'on peut traduire par maintenant. Les apprenants découvrent et acquièrent une logique autre.
Une troupe de volontaires
C'est la quatorzième séance de l'année scolaire qui se déroule le jeudi de 15 h 30 à 17 h 30. Une quinzaine d'élèves sont réunis, dont six filles. La majorité d'entre eux appartiennent à une classe de seconde bac pro agencement de l'espace architectural. On a proposé aux dix-huit membres de cette classe des cours d'initiation au chinois. Ils ont assisté à trois séances pour se frotter à la langue de Confucius avant de décider s'ils souhaitaient ou non poursuivre. À l'issue de cet essai, dix d'entre eux sont restés. Tous les élèves sont donc volontaires. Au sein de ce groupe, on trouve aussi quatre étudiants en première année de BTS, dont trois feront leur stage professionnel de huit semaines cet été dans la province de Shandong. Au sein de ce groupe de douze, certains viennent de Béziers, d'autres de Normandie. Ils fréquentent trois établissements scolaires : le lycée Arago pour les disciplines générales, le lycée Livet pour les disciplines professionnelles, et l'école supérieure du bois, l'une des rares en France, pour ce qui est de leurs séances d'atelier. À raison de trente-sept heures de cours par semaine, sans compter les déplacements d'un site à l'autre, du centre-ville au nord de Nantes, le programme est chargé et suppose une organisation sans faille. Pourtant, ces étudiants trouvent encore le temps de se passionner pour la langue et la culture chinoises. Ils considèrent à juste titre qu'il s'agira d'un atout supplémentaire dans leur CV.
Pôle bois
Le lycée Arago dispense de nombreuses formations liées au bois en tant que matériau. On y prépare au baccalauréat professionnel technicien de fabrication bois et matériaux associés ainsi qu'à deux brevets de technicien supérieur, l'un développement et réalisation bois, en partenariat avec l'école supérieure du bois, et l'autre systèmes constructifs bois et habitat, en partenariat avec le lycée Livet. De surcroît, la rentrée 2011 a vu l'ouverture d'une demi-section de baccalauréat professionnel agencement de l'espace architectural. Le pôle bois est donc particulièrement développé, dans ce lycée des métiers
1. Or il se trouve que, depuis 2005, la Chine est le premier producteur mondial de panneaux de particules et autres produits issus de la transformation du bois. Par voie de conséquence, dans la mesure où ses forêts ne satisfont qu'une partie de son appétit, elle est également le premier importateur de bois, lequel provient majoritairement de Russie. Elle soutient, hors de ses frontières, six zones industrielles de transformation du bois sous forme de contreplaqués, lamellés-collés, panneaux. Cette place de leader mondial rend donc la Chine incontournable sur le plan économique. Pour peu que l'on se destine à exercer une profession liée aux industries du bois, la connaissance du chinois constitue une valeur ajoutée tant les échanges avec ce pays se sont développés. D'ailleurs, plus généralement, la langue de Confucius, déjà la langue la plus parlée au monde, serait en passe de devenir aussi la future langue mondiale
2.
Sinitiation
Mise en place en 2011, l'initiation à l'empire du Milieu comporte un volet linguistique et un volet culturel. Sur le plan linguistique, ces grands débutants ont d'abord appris à décomposer les sinogrammes, soit les caractères de l'écriture chinoise, à partir de clés. Ceux-ci sont en effet composés d'éléments graphiques primitifs, qui concernent autant leur tracé sur la feuille (ou à l'écran) que la nature des éléments qui les constituent. Certains de ces éléments (mais pas tous) sont des radicaux ou clefs qui comportent une valeur sémantique ou phonétique. Tout caractère, même le plus complexe, peut être appris, non pas en retenant la forme globale du signe, mais ses composants graphiques fondamentaux, ce qui nécessite un effort de mémoire bien moindre. L'ajout d'autres éléments, tels que traits ou points à une clé primitive, en modifie le sens. Il s'agit donc d'un apprentissage long et lent qui n'amoindrit en rien l'enthousiasme de la quinzaine de participants. Sur le plan culturel, au cours des treize premières séances, ont été abordées aussi bien la géographie de la Chine, sa cuisine que la nécropole de Xi'an où se trouve l'armée souterraine du premier empereur de Chine. Les élèves ont suivi des ateliers de raviolis et de calligraphie, rencontré une Taïwanaise et une Chinoise. Sans recourir à un manuel, l'enseignante conçoit ce cours comme un club de conversation, ce qui ne l'empêche pas de donner du travail durant les intersessions. Certes, les étudiants de BTS saisissent souvent plus rapidement que les élèves de seconde auxquels il faut réitérer les mécanismes de cette construction graphique particulière, mais si les aînés ne jouent pas pour autant un rôle de tuteur à l'égard des plus jeunes, le groupe est harmonieux. Force est de reconnaître que la motivation des étudiants qui bénéficient de cette initiation est déterminée par leur futur stage dans l'empire du Soleil.
Extrême-Orient et extrême Occident
Cette expérimentation s'inscrit dans une politique globale où l'ouverture internationale et la mobilité constituent l'un des axes forts du projet d'établissement. À ce jour, sept élèves ont effectué l'une de leurs périodes de formation à l'étranger : au Canada, en Norvège, en Belgique ou en Tunisie. Le lycée est aussi engagé, avec le Canada, dans un programme expérimental de mobilité d'étudiants et de professeurs de BTS. Et un projet Comenius portant sur l'identité régionale est en gestation avec la Slovaquie, la Pologne et la Bulgarie. Une section européenne est d'ailleurs en projet. Le lycée, partenaire de l'association Chine Atlantique, est jumelé avec le lycée chinois Yucai, de la ville de Liaocheng, dans la province de Shandong. En 2009, une délégation de pas moins de cent cinquante personnes de la région des Pays de Loire s'y est rendue, et une convention a été signée entre les deux régions. L'objectif de ce rapprochement est de nouer des relations privilégiées entre les deux lycées. Sont ainsi prévus des échanges écrits en anglais, quelques échanges oraux via les moyens audio-visuels, un déplacement sur site incluant un stage en entreprise, et un accueil d'élèves chinois au lycée Arago. À terme, divers secteurs professionnels tels que la transformation du bois, mais aussi l'édition et l'impression assistée par ordinateur, l'agriculture et l'horticulture, le développement et l'utilisation de l'énergie dans le milieu rural pourront rapprocher les deux régions. Dès cette année, d'autres activités liées à la culture chinoise se sont déroulées au sein du lycée. Des membres de l'association Chine Atlantique sont venus animer des ateliers de calligraphie au cours desquels les élèves d'une classe de troisième ont écrit leur prénom en chinois (
voir annexe). Dans cette même classe, un projet autour de l'œuvre du peintre japonais Hokusaï s'est développé en histoire des arts, en lettres-histoire et arts appliqués.
Soleil levant sur Shandong
Dans le cadre de cette expérimentation, les heures de cours sont financées par le rectorat. À l'avenir, cet enseignement pourrait être transformé en option de trois heures hebdomadaires. Madame Hazard, enseignant déjà le chinois dans plusieurs établissements
3, dispose d'une riche expérience pour mener à bien ce projet. L'évaluation de cette initiation repose sur l'évolution du nombre d'élèves et d'étudiants choisissant cette langue, mais aussi sur la mise en place d'un partenariat de qualité avec un établissement chinois comportant un échange d'élèves, voire de professeurs. Le système éducatif chinois est très différent du nôtre et les techniques du bois s'enseignent à l'université. À l'heure actuelle, le projet en est à ses premiers pas, mais les stages prochainement effectués par les étudiants de BTS en Chine contribueront, à n'en point douter, à développer et approfondir ce jumelage sino-français.
1. On trouvera une présentation détaillée de ces formations sur le site du lycée
http://arago.e-lyco.fr2. Selon l'article de David Bénazéraf paru dans Sciences humaines n° 235 de mars 2012.
3. Le lycée Bergson à Angers, le collège Saint-Exupéry de Chalonnes-sur-Loire, le collège Jean-Monnet à Trélazé.