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les écueils et les conditions de réussite

 “[…] Trois dérives risquent de faire perdre au conseil sa capacité à fédérer les individualités derrière l’idée de coopération.

- La dérive démagogique : elle concerne l'adulte responsable du groupe qui pourrait, consciemment ou pas, user du conseil pour faire valider ses propres opinions, ses volontés personnelles. Les membres du conseil, aveuglés par le leurre de la parole libérée, ne seraient amenés à ne voter que pour les idées de I'adulte, ne les considérant pour diverses raisons que comme les seules alternatives équitables. Le conseil deviendrait alors le lieu d'expression du pouvoir des pensées d’un adulte manipulateur et perdrait toutes ses vertus éducatives. Lui seul est en mesure d'estomper les risques de cette dérive démagogique, en commençant par attribuer au conseil un réel pouvoir de résolution. Cela passe souvent par un réflexe pédagogique pris par les enseignants, à savoir celui de ne pas décider à la place du conseil, mais de lui renvoyer tout ce qui peut faire I'objet d'un échange et d'une gestion coopérative. Plutôt que de facilement répondre à des questions d'enfants comme “Est-ce que je peux aller faire de I'ordinateur ? ”, y joindre un renvoi du type “parles-en au conseil !”. Les sujets d'échanges correspondent à des problématiques partagées et motivées par le réel.

- La dérive judiciaire : tomber dans cette dérive correspond à participer à des conseils où seules les critiques sont abordées et des sanctions sont posées. Le conseil devient plus un tribunal qu'un lieu où s'exprime la coopération. Plaignants et accusés ne se contentent rapidement plus des décisions du conseil qui est alors déconsidéré en tant que coeur du groupe. Souvent, c'est vers l’adulte que les enfants se tournent en lui demandant de redevenir un maître. Pour tenter d'estomper cette dérive, il est possible de réduire les critiques et d'optimiser la place des propositions, des félicitations et des remerciements. Plutôt que de mettre sur le devant du conseil ce qui pose problème, I'enseignant peut faire en sorte que conseils et réunions soient des moments de promotion de ce qui fonctionne dans la classe et de valorisation de ceux qui en sont les auteurs. C'est justement ce basculement qui conduira à une meilleure qualité des relations et donc à un net amoindrissement des réclamations de sanctions. Des outils comme le journal mural ou les messages clairs peuvent conduire à un tel résultat.

- La dérive psychosociologique : lorsque c'est uniquement la parole des leaders du groupe qui émerge ou que seules leurs opinions conduisent aux décisions posées par le conseil, celui-ci ne fonctionne plus puisque l’échange démocratique opère moins. Il ne faudrait pas, parce que I'enseignant accorde la vacance d'une part de son pouvoir de décision, que cela devienne une raison pour que les plus forts du groupe s'en emparent. Ce n'est pas parce que I'adulte responsable du groupe doit tempérer ses interventions qu'il lui est interdit de faire part de son expérience et de faire valoir au moment opportun son statut. Contre cette dérive, des outils comme les ceintures de comportement ou les maîtres-mots du conseil (et en particulier la possibilité de nommer “gêneur” un membre du conseil qui entrave son bon fonctionnement) peuvent être employés.

La mise en place d'un conseil de coopérative dans un groupe correspond souvent à la recherche d'un équilibre très instable. Naturellement, le conseil peut tomber dans I'une de ces trois dérives. Le contraire serait suspicieux. Si I'adulte est garant du bon fonctionnement général des conseils, il doit d'abord conserver suffisamment de recul lui permettant de pouvoir, quand il le faut, intervenir et tenter de rétablir la stabilité. Tout comme I'adulte, I'enfant semble avoir le même besoin d'appropriation de I'idée de conseil. Lorsque cette vigilance s'avère trop ténue, cela débouche sur un climat anxiogène où plus personne n'ose s'exprimer librement lors de ces moments de parole.”

CONNAC, Sylvain. Apprendre avec les pédagogies coopératives, démarches et outils pour l’école.
ESF éditeur, Paris, 2009-2016, p. 215-217

… Et selon les enseignants du collège de Goulaine

Isabelle Lery, professeure au collège de Goulaine, indique que la pratique du conseil de vie de classe n’est pas évidente. Cette dernière exige un certain nombre de conditions et de réflexions préalables. Par exemple, si on donne l’impression aux élèves qu’ils ont la parole mais qu’on n’en fait rien, cela peut devenir contreproductif. Il faut donc ouvrir des espaces d’organisation autonome des élèves. Il y a matière dans le conseil à ce qu’ils puissent prendre de réelles décisions. Si on reste dans un fonctionnement classique, si on n’organise rien autour, on court à l’échec. Il faut donc ménager aux élèves des espaces de liberté pour concevoir de façon autonome des projets qui débouchent sur des réalisations concrètes. Dans le premier degré où les conseils de coopérative sont plus courants, le professeur peut permettre à ses élèves d’organiser l’espace géographique de la classe par exemple (installer les tables, les différents lieux). Au collège, ce n’est pas impossible, mais cela exige une réorganisation de l’attribution des salles aux classes qui n’est pas sans effet sur l’organisation générale de l’établissement.

Christina Renan, professeure de mathématiques au collège de Goulaine, ajoute que le conseil de vie de classe doit pouvoir se tenir toutes les semaines. Lorsque l’heure de vie de classe est consacrée à autre chose (l’intervention d’une association par exemple), cela crée une forme de déception.

Elle explique aussi que la première année de mise en place du conseil de vie de classe, les enseignants ont tâtonné et ont eu le sentiment de faire des erreurs : “on y est allé sans savoir bien comment faire”. Par exemple, il est difficile de se mettre en retrait pour l’enseignant. Ce dernier est souvent tenté d’intervenir. D’autant plus que la libération de la parole que cette pratique induit n’est pas sans risque. Les enseignants se réservent donc la possibilité d’interrompre le conseil pour revenir sur ce qui a été dit, faire une phase de métacognition, un feedback, ou pour tempérer une charge trop violente contre un élève. Ce type d’intervention peut aider les élèves à prendre conscience des effets de leurs critiques et les amène parfois à féliciter le même élève la fois suivante si des progrès ont été constatés.

Il y a bien une prise de risque constatent les enseignants, car quand on libère la parole, on libère la capacité d’initiative des élèves. Les élèves ont ainsi pu se plaindre de leur emploi du temps. Le principal adjoint a alors été invité en classe pour dialoguer avec les élèves et leur présenter les contraintes qui pèsent sur les choix qu’il a dû effectuer. Par leurs initiatives et leur engagement, les élèves prennent du pouvoir et gagnent en autonomie. C’est ainsi qu’ils ont créé une association des supporters des élèves de l’association sportive, validée par la direction du collège. Ils ont aussi obtenu l’autorisation d’aller au gymnase sur leur temps libre en signant une charte d’engagement de respect des règles.

Il convient enfin, selon les enseignants impliqués dans le projet, de faire attention à ce que le conseil de vie de classe ne devienne pas un tribunal. Cela doit prendre la forme d’une discussion entre les élèves concernés. Chacun doit impérativement s’adresser à celui qui est visé pour qu’un dialogue s’engage. Il n’est pas permis de parler de l’autre à la troisième personne du singulier, de dire “il a fait ça”. Il s’agit d’un dialogue et non d’un procès. La dérive judiciaire pointée par Fernand Oury n’est pas entièrement surmontée ainsi mais cela aide beaucoup. On reste dans le dialogue et non dans le jugement. “Quand un élève s’adresse directement à un autre élève, le ton n’est pas le même, cela devient plus doux” souligne Christina Renan. “Alors que quand ils nous regardent et nous disent lui, il a fait ci ou ça, les formulations sont plus sévères” conclut Isabelle Lery.


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