Contenu

innovation pédagogique

Recherche simple Vous recherchez ...

espace pédagogique > actions éducatives > innovation pédagogique > échanger

les outils d'un dialogue concret et constructif

mis à jour le 17/03/2011


echanger dossier 92

Ces jeunes de douze à seize ans sont en rupture avec le système scolaire traditionnel. La classe-relais les accueille pour une durée de quatre mois maximum. Comment faire pour aider ces adolescents en souffrance à accepter les règles d'une vie sociale qu'ils rejettent ? Les situations sont complexes, mais quoi qu'il en soit, cette (re) sociabilisation passe forcément par la parole. Pas un verbe creux, mais un dialogue concret et constructif, aussi fragile qu'essentiel.

mots clés : échanger, entretien, socialisation , élèves en difficulté, médiation, confiance en soi


Quand on arrive à l'adresse indiquée, on se demande d'abord si on ne s'est pas trompé. Le pavillon de ce quartier résidentiel ne correspond guère à l'image d'un établissement scolaire. On est rapidement détrompé dès qu'on en franchit le seuil : on est bien dans le milieu éducatif. Ce jour-là, dans la pièce qui sert de bureau pour les réunions d'équipe, la tension est palpable. Isabelle Virgilio, éducatrice à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), Farid Guechichi, professeur d'électrotechnique, et Raphaël Tavernier, professeur des écoles, sont autour du téléphone. Il s'agit d'obtenir un rendez-vous d'urgence avec la mère d'un des élèves, qui ne montre guère d'empressement. L'équipe de la classe-relais tente de la convaincre : "C'est urgent, ce matin, ça s'est vraiment mal passé. Vous comprenez, ça fait plusieurs semaines qu'il est en orange. Il faut qu'on en parle". Le rendez-vous est finalement pris, l'entretien aura lieu ; le midi même, l'éducatrice se rendra au domicile de la maman en question. Le correspondant d'Échanger, plongé d'emblée dans le bain du quotidien de cette classe-relais, se dit qu'il a frappé à la bonne porte (mais peut-être pas le bon jour) pour réaliser un article sur l'entretien. Raphaël Tavernier expose en quelques mots la situation : l'un des élèves s'est montré particulièrement agressif dans les activités scolaires matinales, qu'il lui a fallu interrompre. L'affaire menaçait de dégénérer. Appelée au téléphone, l'éducatrice est venue en urgence. La situation est actuellement apaisée. L'adolescent, avec ses sept camarades, est parti déjeuner au collège voisin. Mais du coup, le professeur des écoles a été obligé d'ajourner les entretiens hebdomadaires qui étaient prévus le matin avec ses élèves un peu particuliers.

La classe-relais en quelques mots

Administrativement rattachée au collège des Gondoliers, sous la direction de madame Missire, la classe-relais est le fruit d'un partenariat entre l'Éducation nationale et le ministère de la Justice. Elle accueille au maximum huit jeunes, de douze à seize ans. Ils viennent de tout le département et sont en rupture avec l'institution scolaire. Absentéisme, conflits avec les enseignants, comportements a-scolaires, ce sont des élèves difficiles aux parcours de vie très chaotiques. L'objectif de la classe-relais est de les extraire du milieu scolaire classique pour mieux les y ramener ensuite. Pour les plus âgés, un temps est consacré à leur orientation et à la recherche de stages. Deux assistants d'éducation, en plus des deux enseignants et de l'éducatrice, complètent l'équipe. Le matin est consacré aux activités scolaires, l'après-midi à des activités éducatives : sportives, culturelles, manuelles... La durée de leur passage en classe-relais varie, mais ne dépasse jamais quatre mois. Ce temps est conçu pour leur permettre de retrouver un cadre et le sens de règles de vie commune qu'ils n'ont pas toujours connues et intégrées. Ici, l'éducatif prime sur l'enseignement qui est totalement individualisé compte tenu des différences d'âges et de niveaux. C'est un savoir-être compatible avec l'institution scolaire qu'il leur faut (re)trouver. L'inscription repose sur le volontariat et la contractualisation. L'élève doit faire preuve de son envie de changer. Un contrat est élaboré pour chaque élève, il reprend les principales règles qui ne sont pas respectées. Ce contrat est signé par l'élève, ses parents, et l'équipe de la classe-relais. C'est sur cet engagement que va reposer tout le travail mené avec lui. Dans ce mode de fonctionnement, les temps d'entretien individuel sont des éléments clefs de la progression.

Des temps de dialogue ? Dès que possible !

La relation duelle est essentielle avec ces jeunes, note Raphaël Tavernier qui, tout comme l'éducatrice, consacre chaque semaine un temps avec chacun d'eux pour faire le point. L'éducatrice se centre davantage sur tout le scolaire et l'extrascolaire, en essayant de comprendre les fonctionnements familiaux. Mais tous les membres de l'équipe engagent le dialogue, chaque fois que c'est possible, avec des jeunes qui peinent souvent à mettre des mots sur ce qu'ils vivent. Et c'est souvent dans les situations les moins "institutionnelles" que l'échange est le plus riche : sur une patinoire ou lors d'un trajet au cours d'une sortie, dans un moment d'activité où l'on parle tout en faisant quelque chose ensemble... Plus détendus, plus disponibles, les élèves s'ouvrent davantage et leur parole se libère dans ces moments de complicité d'un vécu partagé. Mais il existe aussi des moments fixes, explicitement consacrés à cette parole duelle, qui jalonnent le temps passé en classe-relais. Ainsi, tous les vendredis matin, Raphaël Tavernier prend chaque élève pour un rapide entretien, tandis que son collègue d'électronique s'occupe du groupe. L'objectif de ces bilans - terme qu'il préfère à celui d'évaluation, trop négativement connoté pour ces jeunes - est de faire le point sur la semaine passée, en la mettant en perspective avec le contrat qui a été formalisé. Pour les aider à procéder à cette analyse qui passe d'abord par une mise en mots, l'enseignant a mis en place, en s'aidant de l'expérience de ses prédécesseurs, une procédure en différentes étapes, qu'il a adaptée. C'est la première année qu'il assure la fonction de responsable de cette classe-relais, une tâche qui lui plaît, mais demande un investissement important, dans des situations souvent délicates à gérer. Comment faire pour permettre à ces jeunes, qui s'expriment plus souvent par la colère et l'injure, d'effectuer une analyse de leurs comportements au regard d'une norme qu'ils ont bien du mal à appréhender ?

"Ici, on explique tout"

Première étape : le temps de l'introspection. Chaque vendredi matin, les élèves reçoivent une grille à remplir, qui reprend les principales règles à respecter (voir annexe) : comportement, expression, respect des contraintes et du travail à faire, sont ainsi répertoriés. Ce qui importe, plus que le "oui" ou "non", c'est la phrase demandée pour justifier le choix opéré. L'autoévaluation repose sur un code de cinq couleurs : rouge, orange, jaune, vert clair et vert foncé. De son côté, l'enseignant remplit une grille similaire. Le bilan du vendredi matin commence sur cette base concrète : on confronte les analyses de chacun. L'objectif est avant tout d'amener l'élève à réfléchir sur son comportement. Avant de s'exprimer, l'enseignant donne la parole au jeune, et l'amène à approfondir sa réflexion par le questionnement. Les divergences sont sources de discussions. Raphaël Tavernier insiste sur ce terme : il s'agit d'une discussion et non d'une leçon de morale. Lorsque l'adulte n'est pas d'accord, lorsque la loi a été manifestement enfreinte, il le dit, calmement ; il rappelle le cadre non négociable. Il s'appuie sur des faits, sans engager de jugement global sur l'individu. Et derrière cette attitude, c'est tout le respect de l'autre qui se joue. C'est essentiel pour ces jeunes qui s'expriment plus par la violence verbale et physique que par les mots. Ils sont considérés comme des individus responsables, intelligents, respectés. Ici on explique tout, ajoute l'enseignant qui, pour illustrer le caractère peu ordinaire de cette attitude dans le vécu de ces adolescents, prend un exemple. Des parents sont récemment allés chercher leur enfant au commissariat : pas de discussion, pas d'explications, pas de réprimande, ils se sont contentés d'emmener leur rejeton manger au Mac' Do.

Mots dits, mots écrits : les jalons d'une progression

Ces rencontres ont pour but d'analyser le passé pour mieux préparer l'avenir, en donnant des leviers à l'élève. Le premier d'entre eux est la confiance en soi et en sa capacité à transformer l'existant. Un résumé de ce qui est dit oralement au cours des entretiens est mis par écrit par l'enseignant (voir annexe), qui veille à toujours mettre en avant ce qui est positif. Ce bilan écrit a également pour fonction d'informer les principaux intéressés, et la diversité des destinataires se retrouve dans les variations énonciatives. Parfois, l'enseignant s'adresse à l'élève, parfois, il parle de lui à la troisième personne. Trois exemplaires sont édités : un pour les parents, le second pour l'établissement scolaire et le dernier qui reste dans les archives de la classe-relais. Lisons un exemple : "Z est un élève discret, qui obéit aux adultes et parle correctement. Dans toutes les situations de classe, tu es irréprochable, même lorsque des élèves décident de transgresser les règles. C'est ce que je t'ai écrit la dernière fois et rien n'a changé depuis, donc continue comme ça. / Le travail en classe va s'orienter dans la recherche de stages, la rédaction de lettres de motivation et de CV, et nous poursuivrons le travail scolaire. Nous attendons de toi que ton attitude reste la même. / Le code jaune t'est attribué pour ton absence de ce mardi, mais nous allons trouver des solutions pour que cela ne se reproduise plus. Je ne me permettrai pas de t'évaluer sur ton absence de la semaine passée, car tu étais malade. / Z, tu es capable de t'en sortir et on ne peut que réussir...". L'un des objectifs de la classe-relais est de redonner confiance à des adolescents qui ont une image extrêmement dégradée d'eux-mêmes. Cette pédagogie de la réussite est également mise en œuvre dans les activités scolaires. Si les points positifs apparaissent toujours très nettement, cela ne signifie pas que les points à travailler sont minimisés. Mais l'objectif est toujours de dépasser le constat désapprobateur pour chercher ensemble des solutions afin de remédier à ce qui ne va pas. Ainsi, ces synthèses, orales et écrites, se conçoivent comme des bilans d'étapes qui, en s'appuyant sur le passé proche de la semaine écoulée, s'inscrivent dans une progression tournée vers l'avenir.

Une parole qui engage

Tout comme les deux grilles, le bilan écrit, rédigé la veille par l'enseignant, sert de support très concret à la discussion du vendredi. Le texte est provisoire et, en fonction de ce qui se dit lors de l'entretien ou de ce qui se passe dans le reste de la journée, le professeur ou un autre membre de l'équipe est parfois amené à effectuer des ajouts ou des modifications. Les élèves s'analysent souvent assez justement, et sont même plus sévères avec eux-mêmes que leurs éducateurs. La "couleur" qu'ils s'attribuent pour la semaine écoulée en est régulièrement la preuve. Pour bien replacer cette évaluation dans son contexte, la progression est indiquée au bas de la feuille, où sont alignés les points colorés. Il s'agit ici encore d'inscrire les faits dans leur évolution. Autant de manières de montrer aux jeunes que l'acte, comme la parole, constituent dans leur enchaînement un parcours signifiant. Le bilan contribue alors à cette prise de recul sur soi qui donne sens à ce qui reste, sinon, très confus dans leur esprit. Les adolescents accordent beaucoup d'importance à cette fiche, tout comme aux couleurs qui leur sont attribuées. Elles concrétisent et rendent plus lisibles les faits comme leur enchaînement : les actes isolés ont un impact, et chacun peut agir pour influer sur le cours de son itinéraire de vie. La signature est également une manière d'engager les adolescents. Ils l'ont bien compris et certains refusent parfois d'apposer leur signature pour marquer leur désaccord. L'ensemble du dispositif, à commencer par les entretiens réguliers, contribue donc, par la mise en perspective et l'analyse des situations vécues au sein de la classe-relais, à responsabiliser l'adolescent. La volonté de souligner les réussites est une manière de montrer que chacun peut influer sur son itinéraire personnel. Ce dont nombre de ces adolescents doutent terriblement en arrivant à la classe-relais : ils se vivent comme des incapables, victimes d'un destin sur lequel ils n'ont pas de prise. Le but des entretiens est de leur faire prendre conscience qu'ils sont capables de bien faire, de les responsabiliser et de leur donner les clefs pour améliorer la situation.

Des mots plutôt que le punching-ball

Il y a, au sous-sol du pavillon de la classe-relais, un punching-ball à disposition des élèves : il permet d'évacuer des tensions sans drame. Rien n'est simple, ici, et le mutisme, le rejet ou la violence, sont souvent les seuls modes d'expression de ces jeunes pour dire leurs souffrances. La classe-relais ne peut pas résoudre tous les problèmes, évidemment. Son objectif est de permettre aux adolescents en rupture de réintégrer le système pour éviter une fracture irréversible. Raphaël Tavernier, qui travaillait l'an dernier en maternelle, explique que les objectifs ne sont finalement pas si éloignés. En maternelle comme en classe-relais, il s'agit de permettre à l'enfant d'intégrer la sphère sociale, de comprendre la nécessité de règles de vie, et de mesurer les responsabilités respectives de l'individu et du groupe social. La manière d'y parvenir avec de grands adolescents est bien sûr différente. Et ce n'est guère évident compte tenu de l'histoire de ces jeunes. Il y a fort à faire, par exemple, quand des parents ne comprennent pas où est le problème quand on les informe que leur enfant vient en classe avec un couteau... Avec ces jeunes écorchés vifs, les relations ne sont pas simples. Sans rien négocier sur le non négociable, il est essentiel de ne pas prendre les élèves de haut. Au cours des entretiens, l'attitude de la main de fer dans un gant de velours permet de positionner la discussion sur un mode non égalitaire, mais exempt de toute forme de supériorité vite ressentie comme du mépris. La dimension éducative prime sur le pédagogique et ce sont d'abord les savoir-être les plus élémentaires qui constituent les objectifs de l'équipe. Et la parole en est l'outil premier. Elle permet de s'analyser, de mieux se comprendre et de mieux comprendre les attentes de l'autre. C'est par elle que l'on parvient à dépasser l'affect et à donner du sens à l'informe d'un quotidien souvent chaotique. C'est elle, enfin, qui pose les règles qui sont la condition sine qua non de toute vie sociale. Alors, forcément, dans ce cadre, les moments d'entretien sont essentiels, même si cette parole est fragile et vite menacée.
 
auteur(s) :

D. Grégoire

contributeur(s) :

R. Tavernier, É. Missire, Collège Les Gondoliers, La Roche-sur-Yon [85]

fichier joint

information(s) technique(s) : pdf

taille : 340 Ko ;

ressource(s) principale(s)

echanger dossier 92 l'entretien 04/11/2010
Dans l'établissement scolaire, en dehors des heures de cours, des situations d'entretiens entre membres de la communauté éducative et élèves se développent. Ces entretiens, ciblant des objectifs préci ...
entretien, échanger, contrat, conseil, écoute, reformulation, suivi, conduite d'entretien, aide Le comité de rédaction

haut de page

innovation pédagogique - Rectorat de l'Académie de Nantes