La pédagogie de Julien Morillon repose sur une rigueur et une exigence qu’il souhaite que ses élèves adoptent et s’imposent. Loin de vouloir multiplier les outils, il préfère minimiser, sélectionner et optimiser en offrant parfois peu d’outils mais qui sont adaptés aux besoins des élèves.
“Dans ma conception de l’autonomie, précise-t-il, ma réflexion en classe est portée sur trois aspects : les conditions de l’autonomie, les outils et les choix pédagogiques.”
- Les conditions de l’autonomie : l’organisation de l’espace classe, le rangement avec la disponibilité du matériel, l’emploi du temps, mon attitude et mon discours (qualité, pertinence et quantité de mes prises de parole, bienveillance, impartialité, qualité des consignes…).
- Les outils : la boîte à outils, les affichages, les pictogrammes, le cahier de réussite, l’arbre de l’autonomie, le carnet de suivi des apprentissages, le carnet de sons…
- Les choix pédagogiques : les ateliers autonomes, la pédagogie de projet, les situations problèmes, l’affichage des responsabilités quotidiennes, l’évaluation positive…
Les rangements de la classe s’effectuent d’abord avec des responsables du rangement et l’encadrement des adultes, puis avec une responsabilisation individuelle : chacun range le matériel qu’il a utilisé. Pour faciliter cette implication des élèves dans l’organisation matérielle de la classe, l’enseignant a demandé que sa salle de classe contienne beaucoup de rangements : étagère pour activités d’ateliers, étagère pour cahiers de réussites, placards pour les classeurs des élèves, pour le matériel pédagogique, pour le matériel de nettoyage… Tout ce qui est nécessaire aux élèves est volontairement à leur portée. “C’est important pour eux de comprendre le rangement de la classe et d’y être associés en permanence” ajoute-t-il.
De fait, ce lieu n’est plus la classe de l’enseignant mais la classe de tous. “C’est agréable aussi pour Ghislaine, Atsem de la classe, car elle consacre maintenant, en janvier, moins de temps à ranger.”
Les cahiers de réussite n’ont intégré la pédagogie de Julien que depuis deux ans. Ils permettent de suivre les évolutions de chaque élève sur les deux dernières années de la maternelle, et non sur une seule année suite à un choix opéré en collaboration avec sa collègue de moyenne section. Aujourd’hui, l’ensemble des classes du cycle a un cahier de réussite. Par conséquent, le cahier qui arrivera l’année prochaine aura été commencé en petite section et dans deux ans en toute petite section. Outil se développant dans les classes de maternelle et construit à partir des compétences exigibles en fin de cycle un, ce cahier rejoint à plus d’un titre le fonctionnement en plan de travail : chaque élève possède un cahier contenant un ensemble d’activités à réaliser. Cependant, dans cette classe, les élèves sont progressivement en autogestion : lorsque le temps d’atelier débute, chacun va récupérer son cahier et se met au travail. Lorsque la tâche accomplie est validée par l’enseignant, l’élève utilise lui-même le tampon date et le tampon smiley pour indiquer sur son cahier que l’activité est réalisée, réussie et validée.
“C’est important qu’ils tamponnent eux-mêmes car ils tirent une certaine fierté d’avoir réussi et ils gèrent ainsi leur succès.” Les élèves peuvent aussi se projeter sur ce qu’il reste à faire dans un souci de progression en se disant : “J’ai réussi tous les puzzles trente-cinq pièces donc je vais commencer les quarante-neuf pièces, ou alors, je veux tenter de faire un puzzle de cent pièces même s’il me semble que cela est compliqué.”
Le moment de conscientisation à l’oral avec l’enseignant de la tâche accomplie est un moment crucial de la prise de conscience : “J’ai réussi donc j’ai progressé. Je n’ai pas réussi ? C’était peut-être trop dur donc je vais tenter une activité plus à ma portée sans oublier que j’ai pour objectif de réussir celle-ci à la fin.” Le cahier de réussite est aussi un outil pour répondre à la demande institutionnelle (les programmes) de construction d’un carnet de suivi des apprentissages à la maternelle. En effet, cet outil co-construit avec les collègues est rempli par l’enseignant à destination des parents mais aussi des élèves si on arrive à les rendre acteurs de leurs progrès. “Ce livret scolaire de la maternelle est donc plus imagée, construit en fonction de l’âge et non pas de la classe, personnalisé avec des photographies et conçu comme un chemin de progrès vers la fin de sa scolarité en maternelle” précise Julien Morillon. L’élève devient acteur, en collant avec l’enseignant les étiquettes des compétences validées et en coloriant son chemin de progrès. Chacun peut se rendre compte que les compétences sont plus globales en consultant son cahier de réussite et en faisant par exemple le constat suivant : “Je sais faire un encastrement car dans mon cahier de réussite, j’en ai fait plusieurs.” L’identification des progrès passe aussi par la parole de l’enseignant qui oralise le fruit de ses observations : “Tu peux coller cette étiquette car j’ai remarqué que tu tenais bien ton crayon. On va coller une photo de ta main tenant un crayon pour en attester.”
L’arbre de l’autonomie. Il s’agit d’un panneau personnel d’environ quarante centimètres sur soixante centimètres sur lequel seront collées au fur et à mesure de l’année des étiquettes d’autonomie : autonomie pratique (gestes quotidiens effectués en classe), autonomie intellectuelle…
À chaque forme d’autonomie correspond sa couleur.
Cet arbre symbolique rend concrets les attendus en termes d’autonomie et constitue un objet visuel qui affiche sur un document unique les multiples compétences acquises par les élèves. C’est un miroir de compétences que chacun va décorer, même si certains élèves auront besoin de plus de temps et d’un étayage renforcé pour atteindre l’objectif d’un arbre orné de toutes ses feuilles. L’objectif de cet arbre est de “percevoir que j’ai grandi et qu’en grandissant, je développe des compétences personnelles qui tendent à me rendre de plus en plus maître de mon corps, de mes apprentissages, de mes désirs, de ma vie” souligne Julien Morillon. Ces petites feuilles sont autocollantes, leur collage est irréversible, comme l’acquisition validée d’une compétence.
Le livre annuel de la classe. Chaque année, Julien produit un livre avec ses élèves sur les règles et la vie de la classe.
Ce livre, dont chacun récupère un exemplaire, est le fruit d’une réflexion et d’un travail collectif. Par exemple, le livre de cette année compile les activités quotidiennes de la classe. “Chaque illustration est un scan de réalisations d’élèves, explique Julien, puis on a légendé ensemble ces illustrations.” L’objet livre prend tout son sens et par cette réalisation collective, l'élève donne lui-même du sens à ses apprentissages. Et on sait l’importance de l’objet livre dans l’objectif d’apprendre à en lire tout seul au CP.