Souplesse et partage
En ce début d’année, l’école s’adapte aussi à la fatigabilité : les enfants peuvent repartir chez eux au bout d’une heure ou deux, ils ne sont pas obligés de rester toute la matinée. Les enseignantes font également le choix de décaler l’heure de la récréation. Sécurisés par la seule présence de leur groupe-classe, les enfants prennent des repères plus facilement, s’approprient l’espace cour, immense à leurs yeux. À l’école Maryse-Bastié, ce décalage a duré jusqu’aux premières vacances scolaires, pour laisser ensuite aux fratries la possibilité de se retrouver lors de ce temps de pause. Juste après ce premier vécu collectif d’apprivoisement des lieux et des personnes, se déroule la réunion de rentrée. L’enseignante présente les objectifs de l’école, les projets qu’elle va mener avec la classe. “C’est aussi l’occasion de montrer des photographies des premiers jours et de rassurer ainsi les familles qui se demandent ce qui se passe quand ils ont quitté la classe”, explique É. Montesinos. La présence des parents le matin leur permet d’observer leur enfant et de prendre connaissance des activités qui lui sont proposées. “Certains l’accompagnent pour débuter les activités proposées ou pour mettre la photo de présence si l’enfant est demandeur, ils prennent connaissance des rituels”, relève F. Gauvain. “Quand on explique ensuite aux familles que l’on va travailler le langage sous forme de jeux, elles comprennent, car elles ont expérimenté la situation”, complète S. Harbach. Les enfants qui arrivent progressivement en cours d’année bénéficient eux aussi d’un accueil personnalisé. Au début du troisième trimestre, seuls quelques élèves n’ont pas encore intégré la classe.
Un espace repensé

Petit détour par la salle de classe… Comment permettre à ces tout-petits d’apprivoiser l’espace-classe, de s’y sentir bien en présence de leurs parents au début, puis sans eux ? Dans chaque école, l’aménagement de la salle a été totalement revu pour proposer des espaces ouverts sans limite visuelle, non saturés, avec du mobilier et des jeux sécurisés. À l’école Joël-Sadeler, deux salles attenantes, ouvertes l’une sur l’autre, forment un grand espace : la première est le lieu d’accueil des parents (qui se transforme en lieu de motricité ou de sieste), la salle de classe bénéficie d’un accès sur une terrasse en bois, cloturée, avec un bac à sable (voir ci-contre).
Les lieux sont spacieux, communicants, avec peu de tables. La porte de la première salle, donnant sur le couloir, est ouverte lors des activités de motricité comme les porteurs
3, qui nécessitent encore plus d’espace. À l’école Petit Louvre, l’espace de la classe a été lui aussi revu, désencombré. Il n’y a pas de banc, deux tables seulement, avec leurs chaises. Cette organisation spatiale répond aux importants besoins de déplacements des enfants, permet d’éviter les bousculades. Le second objectif est de les rassurer en leur permettant d’avoir un regard sur toute la classe, et notamment sur la maîtresse et l’Atsem, où qu’elles se trouvent, et sur leurs parents, en début d’année. Les séparations entre les coins-jeux thématiques sont par exemple en croisillons (voir ci-dessous). On fait aussi une place symbolique à la vie de l’enfant hors de l’école. Les objets de la maison ne restent pas à la porte de la classe ; chaque enfant a un casier à son nom, dans lequel il peut déposer ses objets personnels. La classe est pensée comme un lieu qui favorise le bien-être : accueillant, avec des couleurs vives et gaies, sécurisant grâce à sa large visibilité, et ludique avec ses pistes graphiques, ses coins-jeux d’imitation, repli sur soi avec petits canapés, son coin-doudou, son coin-motricité. Le coin moteur (voir ci-dessous) se distingue de celui des autres niveaux de maternelle ; il a été aménagé spécifiquement pour cette classe des plus jeunes. Les activités qui y sont menées évoluent toute l’année selon une progression pédagogique en lien avec le développement des enfants. Les porteurs, toboggans, balançoires ont laissé place à de la mousse pour se rouler dessus et des parcours pour s’équilibrer, puis un tunnel pour se cacher. É. Montesinos proposera en fin d’année des activités de lancer. Cet univers de classe repensé, séduisant et sécurisant pour les enfants, participe à la réussite du processus de séparation.
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Créer les conditions d’une séparation réussie
En effet, l’enfant va rapidement prendre des repères dans cet univers absolument adapté à ses besoins, à ses centres d’intérêt et bien sûr à sa taille. Mais la séparation est aussi parfois difficile du côté des adultes. É.?Montesinos relève quelques comportements qui soulignent les peurs des parents : ils font porter des couches à leur enfant, téléphonent dans la matinée pour avoir des nouvelles, mettent des goûters dans les sacs pour rassurer le petit et se rassurer eux-mêmes. Certains n’arrivent pas à partir et appellent l’enseignante au secours par le regard ou pleurent au moment du départ. Ces attitudes sont assez courantes et récurrentes chaque année. Le choix d’inviter, en tout début d’année, les parents dans l’espace-classe vise notamment à rassurer et à atténuer ces comportements générateurs d’angoisse aussi pour les jeunes élèves. Dans un second temps, l’accueil se fait uniquement dans la salle dédiée qui permet de ritualiser le moment de la séparation. Si quelques larmes maternelles ou paternelles persistent, ce sera à l’insu de l’enfant. La question du regard parental est centrale : au tout début de l’année, l’enfant a besoin d’être avec ses parents, de savoir leurs yeux portés sur lui. Une fois les repères acquis, un regard discontinu suffit. Le tout-petit est rassuré par la présence parentale dans la pièce attenante. Les enseignantes créent ainsi les conditions d’une séparation progressive, qui respecte le rythme de chaque enfant et de sa famille. Inéluctablement, au fil des semaines, il faut veiller à ce que le temps d’accueil se réduise pour laisser place aux activités d’apprentissage. S. Harbach précise que les vrais apprentissages ont lieu “quand maman n’est pas là”. Au troisième trimestre, l’accueil matinal est plus rapide, similaire à celui d’une classe de petite section. Mais les parents ont pris l’habitude d’échanger et souhaitent parfois prolonger ce moment quand la classe est commencée. “Pour consolider ce lien significatif d’une évolution positive du rapport de confiance envers l’institution, il serait opportun de créer, au sein même de l’école, une salle dédiée aux rencontres entre les familles”, suggère la directrice de l’école Maryse-Bastié.
Construire le pont du langage
En petite section accueillant les enfants de moins de trois ans, les principaux objectifs d’apprentissage relèvent des domaines de la socialisation et de l’acquisition du langage. La socialisation est progressive : en respectant le rythme de l’enfant, l’enseignant l’amène au fil des jours à participer aux activités collectives sans le contraindre. Au début de l’année, les ateliers proposés sont libres, le professeur est en observation et va chercher les enfants individuellement, quand ils sont prêts, pour les faire entrer dans une activité spécifique collective. Dans une seconde étape, l’enfant, tout doucement, apprend à suivre des consignes. Transversalement, le travail du langage passe par la parole de l’adulte dans le cadre du contexte de l’action. Ce sont les situations qui donnent alors du sens au langage. Le développement de la parole est aussi soumis à l’acquisition du vocabulaire. Mais les échanges, dans une vraie qualité d’écoute, sont tout aussi essentiels. Les projets et activités menés en classe mettent en œuvre des situations pédagogiques qui visent à les multiplier. Donner à voir, associer aussi souvent que possible les parents à ce travail mené vise à leur faire prendre conscience qu’à la maison aussi il est important de prendre le temps d’échanger avec son enfant. Comment sensibiliser les familles aux apprentissages scolaires sans les mettre en difficulté face à un univers qu’ils estiment ne pas maîtriser ? À l’école Joël-Sadeler, dans la salle d’accueil, une télévision projette un diaporama préparé par l’enseignante, qui montre les différentes activités menées le mois écoulé. L’objectif est de favoriser quotidiennement les échanges enseignante-parents, mais aussi entre les enfants et les adultes. Par ailleurs, F.?Gauvain tient à jour un journal de la classe qui garde la mémoire des projets de l’année. Il circule dans les familles, créant l’opportunité d’un moment d’échange parents/enfant à la maison. Ces traces, souvenirs de la vie de la classe, en montrant ce qui est fait à l’école, donnent un aperçu des apprentissages qui se construisent, permettent d’initier une culture partagée. Ils visent aussi à favoriser le développement d’un langage commun entre l’école et les familles.
Développer une connivence lexicale…
S. Harbach explique qu’en tout début d’année, il n’est pas envisageable de commencer les activités par des lectures d’albums, soit parce que le rapport des petits au livre est inexistant, soit parce que le vocabulaire utilisé n’est pas celui qu’ils maîtrisent. Il faut avant tout construire l’imaginaire, passer par l’expérimentation avant de nommer : toucher la farine lors d’un atelier cuisine, goûter des aliments, faire de la pâte à sel, jouer dans le coin docteur… Parallèlement, il est nécessaire d’entreprendre avec ces tout-petits une familiarisation avec le monde des livres. Comme dans les autres niveaux de maternelle, les activités sont essentiellement menées autour du jeu (qu’il soit moteur, d’exploration, de règles, de construction, symbolique) et structurées en séquences thématiques qui visent notamment à développer le langage, structurer la phrase, catégoriser le lexique. À l’école Petit Louvre, É. Montesinos s’est fixé des objectifs par période : avoir entendu tous les enfants parler, prononcer au moins deux mots consécutifs, utiliser le
je 4. Les séquences pédagogiques durent six à sept semaines environ, se succèdent et aboutissent chacune à la création d’un imagier individuel : la cuisine, la toilette, les véhicules, la forêt, les vêtements. Les visites ou spectacles programmés sont toujours en lien avec les thèmes abordés. Ce sont des moments précieux pour associer les parents aux apprentissages scolaires. Les enseignantes remarquent unanimement que leur implication dans l’école est croissante, notamment pour accompagner les sorties. Les familles sont donc en confiance, preuve de la réussite du dispositif d’accueil mis en place en début d’année. À l’école Maryse-Bastié, lors de la première sortie, quinze parents étaient présents pour accompagner quinze enfants ! Moment à l’extérieur de l’école, de plaisir autant que d’apprentissage, la sortie est aussi une vitrine du travail mené en classe. Partager des moments dans et hors la classe, donner à voir les activités en train de se faire, puis leur aboutissement, permettent progressivement de construire un langage commun. S’opère alors un glissement des sujets de conversation avec les parents qui acceptent désormais volontiers d’évoquer avec l’enseignante les apprentissages scolaires, et non plus seulement le bien-être de leur enfant. Ils reconnaissent entièrement l’expertise professionnelle des enseignantes.
… et éducative
Le positionnement de certaines familles évolue alors. Elles attendent du professeur qu’il joue un rôle éducatif, sollicitent des conseils, un soutien pour gérer des situations ponctuelles ou récurrentes. “Il arrive parfois que des parents démunis face aux caprices de leurs enfants nous demandent d’intervenir pour les faire obéir : jeter un chewing-gum, laisser un jouet à la maison, garder le gilet, mettre son manteau…”, explique É. Montesinos. Les professeurs répondent aux demandes, expliquent comment sont gérées les situations conflictuelles en classe. Ils saisissent aussi l’opportunité d’un contact initié par la famille. Ces échanges permettent par exemple d’amorcer avec elle une réflexion autour des rituels structurants pour l’enfant. L’échange porte souvent sur la propreté, le sommeil ou l’alimentation. En expliquant comment opèrent les professionnels en milieu scolaire, l’enseignante prépare les parents à la future scolarisation de leur enfant la journée continue. C’est aussi l’occasion de mieux connaître le jeune élève. S. Harbach demande par exemple aux familles s’il a des temps de repos à la maison, leurs modalités, leur durée, elle cherche aussi à savoir si l’enfant les accepte bien. Puis elle explique le rituel de la sieste qui est instauré à l’école. Ces temps d’échanges le plus souvent impromptus consolident le lien avec les familles, qui participent ensuite plus volontiers aux rencontres formelles, en continuité de la relation déjà tissée. À l’école Petit Louvre, É. Montesinos a planifié deux rencontres individuelles. La première, en janvier, permet de faire le point sur l’adaptation de l’enfant et d’aborder les compétences qu’il acquiert. La seconde, en juin, vise à exposer les compétences acquises et à faire le lien avec l’année suivante. Les retours sont positifs, les parents apprécient ces moments personnalisés qui leur sont consacrés.
