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une Éclair-cie estivale

mis à jour le 21/05/2014


echanger dossier 7

À l'heure ensoleillée où certains enfants bouclent leur valise d'été pour la plage ou la montagne, d'autres reprennent avec envie le chemin de l'école, ouverte sur un nouveau cadran solaire. Dans le cadre de l'opération "École ouverte", le réseau Éclair Jean-Lurçat offre l'opportunité à des enfants de remettre leurs connaissances à niveau, en changeant de rythmes scolaires, via les arts du cirque et l'éducation aux médias.

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 juillet 2013 : ils sont là, au portail du collège Jean-Lurçat du quartier Monplaisir d'Angers (Maine et Loire), petit sac à dos rempli d'une bouteille d'eau, de chaussettes, d'un jean long et de chaussures à semelles lisses. 9 heures 15, le car arrive. Mais où vont-ils donc, accompagnés du directeur de l'école primaire Voltaire qui monte à leurs côtés ? L'école n'est-elle donc pas finie ?

Et si l'on changeait les rythmes ?

Ouvrons les portes ! L'opération École ouverte permet aux établissements volontaires des quartiers défavorisés d'ouvrir, lorsqu'on ne s'y attend pas, durant les vacances scolaires. Offrant à des jeunes un dispositif innovant organisé par des professionnels de l'Éducation, ce dispositif encore méconnu existe pourtant depuis 1991. Il est né du constat d'un désœuvrement des jeunes qui ne peuvent partir en vacances. Soucieux de pallier cette inactivité, un groupe d'enseignants regroupés autour du réseau Éclair (Écoles, collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite) du quartier Monplaisir décide d'organiser un projet original au service de la réussite scolaire. En juillet et en août, sur une semaine, deux groupes de douze enfants pourront découvrir les arts du cirque le matin, et l'éducation aux médias d'information l'après-midi. Grâce à un partenariat avec une radio locale associative (Radio G), ils deviendront journalistes radio en créant leur propre émission. En apparence, si l'on regarde les horaires de cette journée, rien ne semble modifié par rapport à une semaine d'école classique (voir annexe). Les enfants partent de chez eux vers neuf heures et reviennent après dix-sept heures trente. Ce cadre temporel rassure les familles et permet un repérage facilité aux enfants. Quels changements alors ? C'est à l'intérieur des blocs horaires que l'on observe les modifications : lieux nouveaux, partenaires renouvelés et apprentissages sur des durées revisitées. En matinée, de neuf heures trente à midi trente, c'est à l'école du cirque de La Carrière que les enfants se rendent en car. Pour la plupart d'entre eux, ce sera une première, car ils ne connaissent pas le monde du cirque. Pour le repas, les écoliers rentrent chez eux. Ce temps intermédiaire favorise la restitution orale des enfants autour des activités-cirque du matin, permettant de la sorte une meilleure implication des familles. L'après-midi, de quatorze heures trente à dix-sept heures trente, chacun se rend, non pas à l'école primaire, mais au collège Jean-Lurçat pour découvrir les médias d'information. Cette modification des lieux bouleverse à bon escient les rythmes habituels de l'école, grande ouverte, en vue de susciter l'adhésion enthousiaste des jeunes recrues.

Nouveau rythme, nouvelle équipe

Le projet de ce réseau Éclair s'adresse aux élèves de CM1, CM2 et de 6e de plusieurs établissements du secteur géographique. Ici, il s'agit de l'école élémentaire Voltaire, de l'école primaire Paul-Valéry et du collège Jean-Lurçat. Dans ce dispositif, en effet, une attention particulière est apportée au passage du CM2 à la sixième, de façon à favoriser la continuité pédagogique entre l'école primaire et le collège. D'ailleurs, c'est sur le site du collège que les élèves se rendent l'après-midi. Sur une des sessions, huit élèves de CM2 ont répondu présent. Le groupe se compose d'une réelle mixité et les enfants de trois établissements différents font connaissance, avec un bel esprit d'ouverture. Côté encadrants, les cartes aussi ont été modifiées par rapport à l'année scolaire. Sarah Gourfink, secrétaire coordonnatrice du réseau Éclair, rattachée à l'école Voltaire, rejoint Loïc Frémont, directeur et maître surnuméraire à mi-temps, ainsi que Lucie Prouteau, enseignante à Paul-Valéry. Chaque matin, ils sont relayés par des animatrices de l'école du cirque. L'une des raisons de ce choix consiste à amener les élèves à la notion d'effort prolongé, inhérent aux activités ludiques du cirque. Attiré par la découverte d'une nouvelle activité, l'enfant parvient, à force de répétition, à une réalisation valorisante (un spectacle) qu'il montrera à sa famille en fin de semaine. Innovation pédagogique, innovation dans les ressources humaines, telles sont les clefs du réseau Éclair. Cette complicité fructueuse permet à chaque adulte d'expérimenter lui aussi un nouveau cadre pédagogique, en coanimation. En effet, les enseignants se retrouvent toujours à deux adultes (professeur et animatrice du cirque le matin, professeur et intervenant média l'après-midi). Ceci permet une réflexion et un encadrement communs. Chaque adulte est présent trois heures par jour. Pour les enfants, ce n'est plus un seul maître sur la journée (voire sur l'année !), mais une variété stimulante d'interlocuteurs, un vrai changement de rythme. Le cadre de la salle de classe se métamorphose en un horizon à horloge variable et aux frontières élargies ; de quoi renouveler les codes et l'intérêt de tous.

Rituels en piste

Ce mardi neuf juillet, c'est la deuxième séance des arts du cirque. Ce choix d'activités physiques, à première vue insolite, s'inscrit parfaitement dans les objectifs d'une pratique novatrice, inhérente aux écoles ouvertes. Particulièrement attractifs pour des jeunes de quartiers défavorisés, les arts du cirque favorisent un cheminement gratifiant et ludique vers la réussite et l'estime de soi. Chaque matin, le rituel est le même : à dix heures, un échauffement collectif permet d'assouplir les muscles, de prendre soin de son corps avant de le solliciter. Les enseignants rappellent combien cette notion de rituel est nécessaire aux enfants, plus encore lorsqu'ils sont en difficulté scolaire. Ce lancement quotidien d'une dizaine de minutes permet une entrée en matière sereine, codée de manière implicite comme début de séance, dans l'esprit des apprenants. Notons que dans ce cadre, rien ne distingue les écoliers des enfants inscrits individuellement en stage par leurs familles respectives. Les enseignants encadrant le stage ont fait le choix, en collaboration avec l'école La Carrière, de mêler les élèves du Réseau aux stagiaires du même âge venus à titre privé. Ceci s'inscrit dans une perspective de mixité sociale et de mise en valeur des élèves. Tous se mélangent, les plus jeunes (six ans) se mêlent aux plus expérimentés, les milieux sociaux s'entrecroisent sans différence, la tenue vestimentaire étant la même pour tous : un jean long, mais pas de jogging glissant (pour éviter les risques de brûlures), des chaussettes et des chaussures à semelles lisses pour les activités d'équilibre. Plusieurs élèves allophones du quartier, nouvellement arrivés sur le territoire, trouvent ici un moyen d'expression corporelle à leur mesure, sans obstacle langagier. À dix heures trente, c'est le deuxième rituel qui se met en place après l'échauffement collectif : trois groupes se forment, qui tourneront alternativement sur trois activités distinctes en trois salles différentes. C'est aussi une modification par rapport au cadre unique de la salle de classe, où les plus agités des élèves doivent contenir leur énergie physique et rester en place. Le rythme privilégiant les activités motrices, chaque matin varie de celui suivi durant l'année. Ces activités permettent de ne pas rester en échec sur les compétences traditionnelles de lecture et d'écriture, encore un peu délicates pour ces élèves en difficulté. Des aptitudes différentes sont visées, chez eux, tel un tremplin vers la réussite et l'estime de soi. Tout d'abord, les uns s'essaient aux trapèzes et aux rola bola (voir ci-dessous), puis les petits artistes s'initient au trampoline et aux acrobaties au sol ; enfin ils grimpent sur les échasses et pédalettes. Chaque atelier sollicite de multiples aptitudes psychologiques et physiques (concentration, équilibre, maîtrise du centre de gravité, mémorisation...). Le jeudi, les élèves présentent, devant leur famille, les exercices appris en quelques jours. C'est une sacrée motivation. Alors, en piste !

Une pause goûter non anodine

En milieu de matinée, vers onze heures quinze, c'est la pause-goûter, autre rituel. Tous les enfants se retrouvent près des vestiaires où on leur distribue la même collation. Les activités du cirque se terminant à midi trente, il paraît nécessaire de combler la dépense énergétique des activités physiques. Certains enfants ne déjeunent pas ou peu, et les enseignants ont souhaité éviter le "fameux coup de pompe de onze heures, la chute glycémique". Instant de plaisir gourmand, ce rituel permet au groupe de se reconstituer afin de dialoguer autour des impressions de la matinée. Est-ce que c'est un sport, le cirque ? Non, c'est un art ! Est-ce que ça permet de perdre des kilos ?... C'est aussi un sas bienfaiteur pour exprimer le surplus d'énergie et se défouler un peu avant la reprise du dernier exercice matinal. Lors de la préparation de ce projet d'école ouverte, l'équipe éducative a réfléchi à la mise en place de rituels pour favoriser "la mise au travail" des élèves et leur repérage spatio-temporel. Loïc Frémont explique combien la rupture de rythme insécurise ses élèves qui, pour beaucoup, vivant dans un registre de l'immédiateté, ne parviennent pas à se projeter dans un avenir pourtant très proche. Le midi, au moment du départ, un jeune garçon lui demande ce qu'il va faire maintenant. L'enseignant lui indique que, comme la veille, il va rentrer manger chez lui, puis revenir à l'école pour l'après-midi. "Ah ! c'est l'après-midi ?". L'élève, au quotidien très fragmenté, avait perdu tout cadre temporel. C'est pour eux une grande difficulté de se projeter en avant, d'avoir une vision de leur avenir éloigné. Un soin particulier a donc été apporté à proposer un planning simple, cadré et illustré, à chaque famille. À chaque activité, lieu ou transport, s'adjoint une iconographie permettant une mémorisation visuelle supplémentaire et comblant les éventuels obstacles de vocabulaire pour les élèves allophones. C'est toute une pédagogie, discutée et argumentée collectivement au sein de l'équipe, que de proposer durant ces sessions d'été à la fois un bouleversement appétant des rythmes scolaires et une régularité structurante dans son déroulé. Un rituel succède donc implicitement à un autre. Après celui de la pause du goûter, c'est le temps des consignes de fin de matinée. Un intervenant se positionne au milieu des enfants, assis en cercle, en silence. Le dernier atelier trampoline peut s'élancer avec énergie : course, saut simple, chute, escalade, tapis grimpant, roulade, saut pieds groupés à 360 degrés. La mémorisation de toutes ces étapes chorégraphiques n'est pas une mince affaire, sans compter les mesures de degrés qui restent opaques pour plusieurs réfractaires à la géométrie dans l'espace ! Ouf... c'est la fin et le moment des étirements, dernier épisode. Pieds nus, on se retrouve dans une proximité inhabituelle, la tête à l'envers tout en douceur, et l'on termine, comme on avait commencé, dans le respect de son corps.


 

Qui a dit clownesque ?

Si le monde du cirque s'apparente aux pitreries des célèbres Bozzo et compagnie, ici, c'est la rigueur et la persévérance que l'on découvre. "Le produit fini, spectacle au public, impose une discipline de rigueur dans laquelle tous les élèves trouvent un domaine de réussite", explique Anouk, une intervenante. Cet accès de chacun à la réussite constitue l'un des motifs d'adhésion à l'école du cirque pour Loïc Frémont et Sarah Gourfink, dont les propres enfants ont testé les stages. Les exercices étant variés (au sol, en équilibre, en l'air), chaque élève va se découvrir un univers de prédilection ; un univers de gratification personnelle. La durée des ateliers, sur toute la semaine, permet une progression des élèves, jour après jour. Cette amplitude hebdomadaire, si on la compare aux activités journalières de l'année scolaire, casse le code de l'immédiateté. Ce n'est plus : "J'y arrive ou je n'y arrive pas". C'est, comme le rappelle le directeur de l'école Voltaire : "J'ai le droit d'essayer, de réessayer, de ne pas y arriver, ce n'est pas grave. J'ai le droit". C'est la stratégie de l'essai réitéré, à son rythme, vraiment individuel. C'est un autre rapport au progrès. Par ailleurs, le fait d'alterner trois pôles par matinée suscite le renouvellement de curiosité, nécessaire aux enfants. Si on n'excelle pas aux échasses, le trampoline suggère un envol libérateur. Ici, pas de sonnerie intempestive à l'heure de la récréation, la durée n'est pas scindée, rognée de manière artificielle. On peut aller jusqu'au bout de ses tentatives, remonter sur les échasses encore et encore. On peut aussi s'arrêter tout seul et non sur le sablier du groupe-classe unifié : fatigué, on ouvre grand ses oreilles sur la lassitude de son corps et l'on se laisse aller à une courte pause lorsque bon nous semble. L'élève ne regarde pas du coin de l'œil (ou sous l'objectif de Robert Doisneau !) les aiguilles de l'horloge. Le tic-tac s'estompe. Toujours observé avec vigilance par l'animatrice et l'enseignant, le jeune devient responsable et gagne en autonomie en décidant lui-même de ses temps d'arrêt et de reprises d'activité. Sous le chapiteau virtuel, il n'est pas question de notes ni d'évaluation en tant que telle. Le directeur remarque à juste titre qu'ici, ce ne sont pas les mêmes règles que celles de l'établissement scolaire. Hormis en EPS, c'est un autre lieu de vie avec une autre langue de scolarisation. On n'utilise pas de stylo, de feuille ; son propre corps devient outil et feuille blanche, simultanément. Place à la créativité gestuelle de l'élève, sans minutage.


"Patience et longueur de temps"

"Grandis-toi, grandis-toi, reste grand, lève la tête, ne te ratatine pas. Écarte tes mains, imagine que tu portes un acrobate sur les bras". Ces paroles de l'animatrice encouragent et guident une jeune fille pour grimper et tenir en équilibre sur les grosses boules de couleur. De différentes tailles, elles impressionnent par leur rondeur et leur mobilité, et semblent tout d'abord indomptables. Patience ; pour réussir à l'école du cirque, c'est de patience dont il faut faire usage et non de butinage superficiel à telle ou telle activité. Là encore, c'est un rythme autre que celui du zapping télévisuel auquel beaucoup d'enfants sont habitués. Il faut mesurer ses gestes, avec lenteur, pour réussir à se tenir debout. Il faut se concentrer sur le contact sensoriel de la plante des pieds, l'impact du toucher. Or, l'attention est une mobilisation de l'activité cérébrale en vue de porter en soi ce que l'on perçoit par nos canaux sensoriels. Être attentif, pour l'élève, c'est regarder, écouter, toucher. Les garçons experts du football en cour de récréation ne sont plus les leaders et se font devancer par une toute jeune fille gracile, d'une belle agilité. À l'école ouverte, on mixe les rôles. Celui qui pensait avoir tout compris à l'épreuve de la première boule s'avoue vaincu sur la deuxième. Il doit remettre en cause sa technique et réadapter sa stratégie d'équilibre. Finalement, chacun parvient à monter sur la grosse boule immobilisée par des blocs rectangulaires, avec l'intime fierté d'avoir réussi. On se grandit à l'extérieur et à l'intérieur. Pendant que l'enfant essaie et se concentre sur les conseils entendus, ceux restés au sol observent et se questionnent. "Pourquoi le tapis est mou ?" demande Mohammed. "C'est fait exprès pour que la boule ne roule pas trop". "Pourquoi il y a d'autres coussins au sol ?" "Pour stopper la boule si elle sort des tapis de protection". Par observation, ils comprennent les consignes de sécurité et se montrent respectueux du matériel. Toutefois, certains veulent aller trop vite et brûlent les étapes. "Chaque chose en son temps, rappelle Anouk. Commencez par les boules plus petites, plus faciles". Deux garçons mettent à profit la solidarité et s'aident en face-à-face pour garder l'équilibre. "Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage, d'après un certain Jean de la Fontaine..." 1.


Essai, erreur, répétition : une valse à trois temps

Voici un autre exercice d'équilibre : la rola bola. Cette fois, il faut se maintenir debout sur une planche, en appui sur un cylindre central. La bonne technique consiste à conserver le regard droit, loin devant, sans bouger les bras pour gagner en stabilité. Au départ, on peut s'aider d'une rampe pour se tenir les mains. Or, ce qui peut sembler simple à quiconque ne l'est guère, et beaucoup baissent les bras au bout de quelques tentatives infructueuses. Salma s'arrête et s'ennuie sur un tabouret. Clara, l'intervenante de ce groupe, l'interpelle : "Tu ne veux déjà plus jouer ?". "Je n'y arrive pas". L'adulte lui rappelle le fondement de l'école du cirque : "Il faut répéter et répéter, pour réussir. Tu vas y arriver. Il faut persévérer". Salma ne se laisse pas convaincre si facilement, ses mots sont désarmants : "À l'école, on m'a toujours dit de persévérer et ça n'a pas marché". L'intervenante surenchérit : "Dans le cirque, il y a quelque chose de très important, il faut avoir confiance en soi. Oui, je suis forte, oui, je vais y arriver". Alors, Salma se remet en selle. Cette capacité à l'effort fait souvent défaut aux écoliers en peine, et c'est là l'occasion de réitérer, par un autre chemin ludique, cette notion de persévérance. On voit la part de rêve sans la technique derrière. Loïc Frémont analyse cette difficulté de l'effort prolongé : chaque activité du cirque s'établit sur quarante-cinq minutes environ, une durée assez longue pour les élèves si l'on considère qu'en cours, les temps d'apprentissage sont plus courts et la variété accélérée. L'élève doit modifier sa durée de concentration. Pendant ce temps, d'autres apprentis équilibristes tentent de décrocher le ciel en grimpant sur des échasses et en enjambant de menus obstacles. Mais comment faire pour grimper seul sur ces fichus engins ? Eh bien ! on utilise à propos son espace, on peut s'asseoir sur le gros matelas et ancrer ses pieds sur les étriers des échasses. Ensuite, il faut parvenir à porter son poids sur les pieds, en déviant mentalement son centre de gravité. Essai, chute, répétition, drôle de valse... Ce n'est pas la force qui prime et les plus malins traversent allègrement la salle, le sourire aux lèvres.


Temps et espace

Dans chaque exercice, on fait attention à soi, aux autres, à tout le monde. Lorsqu'une échasse tombe sur un enfant agenouillé sur sa pédalette, les cris de colère fusent. "Tu n'as pas respecté mon espace !" Conscient de son erreur, le fautif s'excuse de lui-même, sans intervention des enseignants. Néanmoins, les consignes de sécurité sont répétées par l'encadrante : "Je reste toujours à l'écoute, je fais attention à tout le monde". En employant volontairement le pronom personnel je, elle s'associe à chaque enfant. Dans la pratique, les règles de sécurité deviennent une évidence. Il faut savoir maîtriser son geste lorsqu'on déambule à plusieurs, funambules maladroits, sur un territoire restreint. Pour apprendre la pédalette, on commence précautionneusement à quatre pattes par la technique de l'araignée. Ce gestuel dissymétrique impose une réelle coordination des mouvements des bras et des jambes. Puis, on tente la position verticale, seul ou à deux, en se tenant par les épaules. Pour avancer, il faut maintenir la vitesse de l'engin sans s'arrêter ; sinon, le système de rotation des roues bloque. On alterne vitesse et immobilité. Contrairement aux rola bola et échasses, il faut de la mobilité constante, une autre compétence de sa gestualité. Cela suppose également une maîtrise de ses mouvements et un respect des postures (on ne s'agrippe ni par le cou ni par le tee-shirt, rappelle l'intervenante). Enfin, on peut même se trouver à deux sur une pédalette et avancer de concert en tenant conjointement un bâton, comble de la dextérité !. Tous ces jeux d'équilibre développent concentration, application, coordination de l'esprit et du corps, en harmonie complice avec un partenaire. Par la variété des rythmes et des supports proposés, la monotonie ne s'installe pas. Au bout de deux jours, les enfants du quartier Monplaisir, allophones ou non, s'associent aux autres. Les trois groupes décidés le lundi (correspondant aux trois ateliers tournants du matin) vont rester identiques toute la semaine, favorisant ainsi la création de lien amicaux et l'instauration d'un climat serein.


Du trapèze au micro : un rythme en équilibre

De la piste aux étoiles aux frissons du micro, il n'y a qu'un saut de puce. L'école ouverte préconise un équilibre entre les types d'activités (physiques et orales) et une "pédagogie du détour", appliquée sur la partie remise à niveau : la conception d'une émission de radio permet la mise en œuvre de compétences, travaillées à l'école, dans le champ des pratiques langagières. Tous les après-midi, des ateliers de pratique journalistique, complétés par des techniques de "lecture" des médias (images, écrits, paroles) sont proposés. En amont, les trois enseignants ont pris contact avec des médias locaux. En collaboration avec le Clemi (Centre de liaison de l'enseignement et des médias de l'information), ils souhaitent étendre les travaux des élèves à la lecture de la presse écrite, dans l'esprit de la Semaine de la presse. Cet apport théorique répond au besoin d'équilibre (corps-esprit) des activités. Les durées sont équitables, trois heures chacune. Ces sessions d'été sont organisées avec la volonté de mobiliser les apprentissages scolaires. Visant plus spécifiquement les élèves de CM2, ces connaissances doivent aussi permettre de combler certaines lacunes avant le passage en sixième. C'est l'enjeu de ce stage de remise à niveau. Avant de prendre le micro, les enfants choisissent les rubriques de leur émission du jeudi suivant. C'est un bon moyen de développer leur autonomie et leur choix critique : le cirque, bien sûr, sera sous les feux de la rampe, mais aussi des thématiques plus classiques (recettes de cuisine, blagues, sport) et également des focus sur leurs problématiques quotidiennes (l'égalité hommes-femmes dans les tâches ménagères, les loisirs durant les vacances). Chaque élève prend en charge le thème de son choix. De leur côté, les enseignants s'attachent à alterner les types et les durées d'activités : individuel, en groupes, à l'oral, à l'écrit... Avant l'enregistrement (les enregistreurs ont été prêtés par la radio locale partenaire), il faut rédiger les questions et prendre le stylo ! L'oral ne se formule pas correctement sans l'écrit. Les apprentis journalistes acceptent de se plier à cette étape préliminaire durant trente minutes environ, ce qui correspond à la durée moyenne de concentration pour un enfant de sept ans. Bénéficiant d'un tout petit groupe (six élèves), l'enseignante peut aider tout à loisir chacun des petits journalistes. Elle évoque avec satisfaction ce dispositif à effectif restreint, permettant une aide vraiment individuelle. Ce jour-là, le petit groupe est divisé en deux : les uns seront encadrés par Nicolas Quatrevaux, coordonnateur du Clemi, pour un regard ludique sur la presse écrite, les autres s'attelleront aux interviews radiophoniques. Sarah Gourfink rappelle l'importance de cette pédagogie du projet : cadencer des activités autour d'un projet commun (présenter en fin de semaine aux familles leurs numéros de cirque et émission radiophonique). Ainsi, acteurs et conscients de leur objectif, les enfants sortent de la passivité et montrent une réelle motivation. Pour l'occasion, cinq tables de la salle de classe ont été regroupées en un bloc central, au milieu duquel se place Lucie Prouteau, professeur d'école en CP, entourée de cinq enfants. Le petit groupe favorise le climat de confiance, la parole ouverte à tous, le face-à-face visuel. Chacun peut s'exprimer librement, sans lever la main. Il s'agit d'une autre organisation spatiale, d'autres règles, d'un autre rythme pour cette session d'été.


 

Taboo ? Quand le silence mène la cadence

De façon à recentrer l'attention des élèves, les enseignants leur apprennent à moduler la voix, à jouer avec le silence, à chuchoter, à alterner les rythmes vocaux. Ainsi, pour débuter son intervention sur l'univers de la presse écrite, Nicolas Quatrevaux propose de jouer à une version remodelée du jeu Taboo. Sans prononcer une série de mots interdits figurant sur une carte, on doit faire deviner un mot clef. Tous ont bien sûr été choisis dans le domaine de la presse. C'est le temps du silence imposé, si votre équipe n'est pas en lice. Il ne faut souffler aucune réponse aux adversaires. Tout juste peut-on chuchoter ses propositions à l'oreille de son voisin partenaire. En classe, le silence (préambule à la concentration) reste souvent difficile à obtenir. Assez vite, les enfants comprennent la règle du jeu. Manon s'évertue à faire souffler le mot "canard" (qui n'a rien, ici, du gallinacée) à ses partenaires. Mais attention, elle ne peut utiliser ni "journal" ni "presse", synonymes interdits. Elle doit y parvenir avant que le sablier n'expire son dernier grain de sable, sous l'œil avisé d'un camarade responsable du temps. Ensuite, c'est l'autre équipe qui s'approprie la parole, pour une durée de jeu équivalente. Les coéquipiers y veillent. Contrairement à l'habitude, ce n'est plus l'enseignant qui règle la montre collective, ce sont les enfants qui se métamorphosent en Chronos, dieu du temps. Le métronome scolaire change d'apparat. L'équipe adverse respecte le silence et apprend à se taire, ce qui n'est pas toujours simple lorsqu'on bouillonne de vivacité. Souvent, le vocabulaire fait défaut et la complexité s'avère rude pour les enfants dont le français n'est pas la langue maternelle. Heureusement, le bassin des langues européennes est large et les consonances, parfois, se retrouvent. Roland, élève tchétchène, parvient à faire deviner le mot français "article" à partir de son cousin caucasien artiki. Dans un deuxième temps, l'animateur du Clemi présente plusieurs exemplaires des quotidiens du jour (Courrier de l'Ouest et Ouest-France) fournis gracieusement par les partenaires de la presse locale. Spontanément, les enfants s'en emparent et décryptent les informations. Puis, c'est la troisième étape de l'activité, plus manuelle, cette fois. Incidemment, ils varient les sens utilisés (audition, vue, toucher). Le rythme et la variété entretiennent la motivation. Les élèves découpent le titre, le sous-titre, les dessins et s'initient au vocabulaire de base, afin de mieux se comprendre. Ils réfléchissent aussi à la nature des documents (photographie, illustration, texte, légende, source...) développant ainsi leur esprit critique.

Or not taboo? Mise en voix

Dans la salle d'à côté, autre ambiance de travail, c'est la mise en voix pour les rubriques de l'émission radio. Pour renouveler l'acuité des élèves, les animateurs alternent les productions attendues, on passe de la théorie (initiation au vocabulaire de la presse avec Nicolas Quatrevaux) à la pratique. Les questions fusent autour des thématiques choisies pour les interviews radio. Cette fois, il n'est plus question de se taire, au contraire, on apprend à utiliser l'écrit pour formaliser sa pensée, et préparer sa prise de parole : "Hier, au goûter, ce sont les filles qui ont tout rangé. Les garçons ne sont pas venus nous aider. Pourquoi c'est toujours comme ça ?" Nénée, fillette de neuf ans, interroge son copain Akim : "Et toi, quelles tâches ménagères aimerais-tu faire ?". La professeure gère le temps de parole collective. "Est-ce que tu crois que les filles ont plus d'autorité que les garçons ?" Une camarade intervient : "C'est quoi l'autorité ? L'autorité, c'est un peu faire ce qu'on veut. Par exemple, les hommes peuvent faire ce qu'ils veulent alors que les femmes doivent avoir l'accord de leur mari". La conversation s'anime et l'enseignante réorganise le propos vers les capacités d'écriture : "Qui veut prendre des notes ?. "Pas moi, je ne sais pas écrire". "Mais si, c'est un brouillon, on écrit comme on peut". "À la radio, les erreurs, ça ne s'entend pas". En revanche, les pieds des chaises qui claquent sur le sol, c'est proscrit. Tous les élèves s'essaient à un exercice de maîtrise corporelle en restant droits sur leur chaise. Encouragé par tout le groupe, Mohammed s'empare du stylo et devient rédacteur de séance. Finalement, la question retenue pour l'interview devient la suivante : "Pensez-vous que les filles doivent demander la permission à un garçon avant de faire quelque chose ?". Avec le consensus des enfants, le tu de départ, s'adressant à des hommes adultes, s'est mué en vous de politesse. La langue radiophonique ne dédaigne pas le registre de langue.

Zone de haute tension

Afin d'obtenir la meilleure attention des élèves, il convient d'alterner des moments dits "de basse tension" avec les moments de haute tension pendant lesquels les enfants sont concentrés. Ayant terminé leur texte préparatoire à l'interview, plusieurs garçons demandent l'autorisation de se lever pour se dégourdir les jambes. C'est la fin de l'après-midi, le moment où l'agitation naturelle devient la plus difficile à canaliser. L'enseignante y consent, les enjoignant à se tourner vers des activités de découpage en origamis (version largement plus stimulante que les traditionnels avions de papier que les garçons s'escrimaient déjà à vouloir faire s'envoler...). Et justement, deux invités arrivent dans le studio éphémère. Le premier, Yann Ménard, responsable à la mairie d'Angers, répond à l'invitation expresse de la classe ouverte. Flattés, tous les enfants veulent poser des questions et il faut apprendre le partage : deux questions chacun. Quelques minutes auparavant, le silence s'obtenait difficilement pour s'entraîner à la lecture à voix haute des questions. Lucie Prouteau alterne entre communication collective, écriture, lecture silencieuse et orale. Elle fait lire et relire chaque phrase en vérifiant la compréhension de chacun. Une fois que l'enregistreur trône au milieu de la table, tel un objet sacré, plus personne ne bouge. Les chaises sont correctement positionnées, les pieds ne tambourinent plus sur les tables. Même les élèves les plus énergiques restent concentrés. Durant l'interview 2. qui débute, les enfants se transmettent le questionnaire sans le froisser, le regard complice. Tous s'appliquent pour une prononciation optimale, même si certains butent sur des liaisons douteuses. Les jeunes filles se montrent particulièrement attentives à la réponse respectueuse de Yann Ménard sur l'égalité des sexes. Celui-ci ressort d'ailleurs particulièrement enthousiaste : "Super, les enfants, vous avez été super !" Et c'est vrai qu'ils ont donné le meilleur d'eux-mêmes, dans un grand esprit de professionnalisme. Vingt minutes plus tard, c'est le Dasen (Directeur académique des services de l'Éducation nationale) qui fait une entrée surprise dans la classe. Devant l'insistance de Nénée, celui-ci accepte de prendre le micro pour répondre à sa jeune intervieweuse. Tout le groupe se concentre, attention optimale, autour de l'interview enregistrée. Lorsque c'est fini, c'est la grande respiration collective.


Perspectives

Au fil de la semaine, les enfants vont continuer à modifier leurs rythmes de travail : tantôt en salle, tantôt au studio de Radio G, tantôt sortant de la classe pour des interviews en micro-trottoir, dans leur quartier. Lorsque le vendredi, familles, enfants et encadrants se rencontrent pour l'après-midi de restitution et un partage culinaire, le regard des enfants sur l'école a évolué. Beaucoup ont repris confiance en leurs performances physiques grâce à l'école du cirque ; leur sociabilité s'est développée dans le respect des règles collectives, leur fierté s'est accrue à l'écoute de leur première émission. "Je veux entendre ma voix !" Du côté des enseignants, Lucie Prouteau valorise le fait de rencontrer des élèves inconnus (autres classes ou écoles), dans un cadre et des rythmes différents. Elle apprécie de ne pas bâtir le même rapport d'autorité qu'en classe entière. Pour Sarah Gourfink, la perspective d'avoir offert une parenthèse ludique et constructive à des enfants défavorisés justifie l'engagement et les heures conséquentes consacrées à la mise en place de ce projet d'envergure. Cofinancé par l'Éducation nationale et le Cucs (Contrat d'urbanisme de cohésion sociale) de la ville d'Angers, il reste totalement gratuit pour les familles. À la rentrée de septembre, les enseignants estiment que connaître les élèves de sixième avant la rentrée constitue un point d'appui précieux pour l'équipe du collège. Ces élèves représentent environ 17 % de l'effectif de sixième de cette année. Les enseignants ont pu observer le développement de compétences nouvelles chez les élèves de l'école ouverte. Ils ont pris conscience de l'aspect transférable de ces nouveaux rythmes dans les apprentissages quotidiens : valeurs des rituels, alternance des activités courtes et longues, variété des supports, des sens utilisés, valorisation de l'essai et du droit à l'échec. Convaincus de l'intérêt de l'activité radio, les élèves souhaitent développer un partenariat avec Radio G. Par ailleurs, l'achat de matériel de jonglerie permettra de poursuivre l'apprentissage pendant le temps scolaire au sein du réseau. De leur côté, les familles ont manifesté leur envie de donner une suite à cette semaine d'activités (festival artistique des Accroche-cœurs, inscription à une activité du type cirque). Quant à Loïc Frémont, directeur d'école, il songe déjà à l'élargissement du dispositif l'an prochain, à l'expérimentation, via la réforme nationale, de nouveaux rythmes scolaires pour une école véritablement grande ouverte.


1. "Le lion et le rat", Fables de La Fontaine, livre II.
2. Émission archivée sur Radio G 101.5, radio associative et alternative.
 
auteur(s) :

C. Coquereau

contributeur(s) :

S. Gourfink, L. Prouteau, L.  Frémont, Collège Jean-Lurçat, écoles primaires Voltaire et Paul-Valéry, Angers [49]

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Les animations sur le cirque, durant l'été 2013, au collège Jean-Lurçat d'Angers et dans les écoles primaires Voltaire et Paul-Valéry, sont des dispositifs innovants au service de la réussite d'élèves en réseau Éclair. Ils combinent, durant les vacances scolaires, des activités de cirque et la conception d'une émission de radio, sollicitant ainsi des compétences diverses, allant de la maîtrise du langage à la maîtrise de son appréhension pour réaliser des acrobaties. La collaboration entre des enseignants et des animateurs de l'école du cirque La Carrière est très fructueuse, et déterminante pour permettre aux élèves de réaliser des productions valorisantes. Par ailleurs, les petits groupes rendent possible une personnalisation de l'accompagnement. L'expérience est très positive. Une interrogation subsiste sur l'opportunité de la pause-goûter à onze heures. L'école doit permettre aux enfants d'apprendre à se maintenir en bonne santé. Le grignotage et la prise d'aliments entre les repas est une cause essentielle de l'obésité ; l'école doit apprendre à ne pas manger entre les repas. Sans doute serait-il intéressant, plutôt que de proposer un goûter, une heure avant le repas de midi, d'inciter ces enfants à ne pas sauter le petit déjeuner.

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