Contenu

innovation pédagogique

Recherche simple Vous recherchez ...

espace pédagogique > actions éducatives > innovation pédagogique > échanger

lire et écrire : une conquête partagée

mis à jour le 09/12/2015


echanger dossier 1

Dans la classe de V. Brayère, enseignante à l’école Jules-Ferry 1 du Mans, les outils d’apprentissage de la lecture et de l’écriture se construisent ensemble, dans la classe, en alternant des temps collectifs et en autonomie, rythmés, favorables à des échanges multiples et personnalisés entre les élèves et leur professeure. Une année de cours préparatoire stimulante pour tous.

mots clés : échanger, cours préparatoire, motivation, lecture


ette pratique innovante a été conçue par É. Fleurat, conseiller pédagogique départemental en Sarthe. Il en développe les axes dans son ouvrage, Savoir enseigner : lire et écrire au CP 2 ; l’engagement actif de l’élève dans toutes les activités mises en œuvre en classe est au cœur de sa réflexion. Comment corréler l’acquisition des savoirs et le développement de compétences à des situations pédagogiques motivantes ? É. Fleurat prend en compte les conditions multifactorielles qui permettent à chaque élève de s’impliquer dans les activités : être serein dans sa relation avec ses camarades comme avec son enseignant, être capable de réaliser les activités proposées, en comprendre les enjeux, avoir envie d’en atteindre les objectifs, être accompagné par son professeur, identifier avec lui ses réussites. Penser son enseignement dans une relation bienveillante à l’élève est fondamental tant l’entrée au CP constitue une étape importante pour l’enfant. Les parents aussi se focalisent souvent sur cette première année du cycle des apprentissages fondamentaux, l’apprentissage de l’écriture e t de la lecture étant associé à la réussite scolaire. Cet ensemble de facteurs suscite de l’inquiétude, le plus souvent rapidement surmontée, mais pas toujours pour les élèves les plus fragiles. C’est à l’enseignant de dissiper au plus vite ces appréhensions. Pour rassurer, sécuriser les élèves, É. Fleurat propose que le professeur établisse dès le début de l’année un cadre et des activités qui mettent chacun en situation de réussite. Pour cela, il construit les supports de séances à partir des acquis et des centres d’intérêt des élèves, et non plus selon une progression proposée dans un manuel. Repenser sa pédagogie en est le corollaire.
 

  Genèse et enjeu

Par cette méthode, É. Fleurat, qui a longtemps enseigné au cours préparatoire, a souhaité formaliser le fruit de sa réflexion de praticien, puis de conseiller pédagogique depuis 2002. “La difficulté de beaucoup d’enseignants réside dans l’articulation entre l’apprentissage de la lecture et la compréhension par l’élève de ce qu’il lit”, explique le conseiller pédagogique. Les programmes d’accompagnement de 2004 3, issus d’une conférence de consensus de chercheurs 4, et complétés par ceux de 2008 ont apporté à cette question des éléments de réponse éclairants. É. Fleurat propose une mise en pratique inspirée de ces recommandations, en s’appuyant sur les apports les plus récents de la recherche (voir annexe). Les premières activités de maîtrise de la langue s’articulent à partir de la production collective d’un écrit. Dans la continuité de l’école maternelle, le pédagogue préconise de poursuivre le travail d’expression orale en produisant de l’écrit à partir de l’oral. On pallie ainsi en amont toute éventuelle difficulté pour comprendre le texte. “L’accès à la compréhension est posé comme condition première avant que le langage ne devienne objet d’étude”, explique É. Fleurat. Son sens parfaitement assimilé, le texte sert alors de support pour étudier l’organisation des mots dans la phrase, puis pour décoder les mots. Parallèlement, le professeur met en place de nombreuses activités d’entraînement pour fixer les notions nouvelles. Il inscrit également à l’emploi du temps des activités d’acculturation, afin de s’assurer que tous les élèves bénéficieront d’une culture de l’écrit lorsque celui-ci deviendra support d’apprentissage. Les élèves produisent des écrits de plus en plus riches, de plus en plus longs. À la fin du premier trimestre, ils sont prêts à lire et à étudier des textes qui ne sont plus seulement leur propre création.


Dynamiser la classe

“Au cœur de la transmission, explique É. Fleurat, il y a l’objectif de l’enseignant en termes de savoir ou de savoir-faire, et ce que l’élève va avoir envie de réaliser. Mon idée était de faire coïncider ces deux pôles, considérant que l’élève est peut être détaché de l’objectif, mais s’implique dans une activité qui l’intéresse et le stimule. Lors de mes visites dans les classes, j’assistais souvent à des séances centrées sur des apprentissages clairement définis pour le professeur, sans que les élèves y perçoivent un enjeu qui les concerne. Certains pouvaient rester passifs ou ne comprenaient pas les finalités de leur travail”. C’est alors que l’ennui peut s’immiscer, tant du côté des élèves que de celui du professeur, d’ailleurs. La qualité de la relation humaine, facteur affectif, participe à transmettre l’envie d’apprendre. Forte d’une expérience solide en classe de CP, V. Brayère souhaitait offrir à ses élèves un regard et une écoute qui valorisent leurs efforts. Mais sa pratique de classe ne lui permettait pas de dégager un espace-temps dédié à une relation ponctuelle et privilégiée avec quelques-uns, ceux qui en avaient le plus besoin. Pendant une année, É. Fleurat l’a accompagnée dans sa mise en œuvre de la pédagogie opératoire 5 (voir annexe). Une révolution dynamisante pour tous, tant la relation à l’élève s’en trouve renforcée, la parole et le savoir partagés. “L’impact sur le bien-être et l’implication des élèves en classe est notable”, remarque l’enseignante. En ritualisant des séances et des activités, en expliquant à la classe clairement et systématiquement les apprentissages visés, cette pédagogie permet à chacun de progresser à son rythme, sans pression. Elle traduit une mise en œuvre pratique de la pédagogie dite “explicite”.

La séance de découverte : multiplier les stimuli

La pédagogie opératoire propose un cadre structuré autour de séances ritualisées. La séance de découverte aboutit à la production d’un nouveau savoir, formalisé. Elle dure de 45 à 50 minutes et se déroule en quatre étapes incontournables (voir annexe). Fondée sur des interactions entre le groupe et la professeure qui est face à la classe, celle-ci présente son objectif au début de l’activité, en donnant envie aux élèves d’aller vers l’inconnu. “Ceux-ci sont d’abord invités à rappeler le contexte et les acquis de la séance précédente. Vient ensuite le moment de découvrir et de comprendre l’activité qui va suivre, et les enjeux associés. Les objectifs d’enseignement sont traduits en objectifs de réalisation pour les élèves : réussir un jeu ou réaliser un projet ou une performance, seul ou avec les autres”, précise É. Fleurat. Cette mise en situation, rapide et stimulante, laisse place à la créativité du professeur pour donner envie aux élèves de s’impliquer et de réinvestir ce qu’ils savent déjà. “Qui se souvient de ce qui s’est passé après le passage du géant ?… Aujourd’hui, il va falloir aider Zéralda 6 ! Vous allez écrire tous les mots qui l’aideront pour faire un repas…”. Cette mise en situation est essentielle, stimule les élèves pressés d’être en action, de s’engager dans une recherche qui se traduit par des actes concrets. Pour composer le repas du géant, ils disposent de textes et d’écrits déjà étudiés, desquels ils doivent extraire un menu original pour le présenter aux autres groupes de la classe. Après un temps de réflexion autonome qui permet à chacun d’élaborer son propre point de vue, le travail se poursuit par binômes ou petits groupes pour favoriser des interactions fécondantes. Pendant cette étape de recherche, la professeure est auprès des élèves pour apporter de l’aide à ceux qui en ont besoin. À l’issue de ce travail, en classe entière, l’enseignante les invite et les accompagne pour qu’ils expliquent ce qui leur a permis de réussir. Enfin, une production est choisie pour conserver, sous la forme d’un exemple, une trace tangible du savoir acquis. La mise en situation, ludique, suivie des étapes de recherche en temps limité et en alternance (travail individuel / travail en binômes / restitution collective) constituent autant de stimulus, pour les élèves.

S’entraîner, seul… ou accompagné

La ressource écrite à la fin de la séance de découverte est un outil que l’élève peut utiliser lors d’une séance d’entraînement. L’enseignante lui propose une activité qu’il va réaliser seul, ou en binôme, sans l’adulte. Par exemple, “Vous devez recopier le texte au dos de votre fiche. Faites un petit bâton dans la marge à chaque fois que vous regarderez le modèle. Vous avez quatre minutes… Comptez le nombre de bâtons. Le gagnant est celui qui en a le moins”. Cet exercice de copie active est réalisé en autonomie, comme la plupart des exercices d’entraînement, nombreux. Ils permettent de fixer les notions nouvelles. Au cours des séances d’entraînement, la professeure est aux côtés de ses élèves ou circule dans la classe. En début d’année, ces instants sont précieux pour les observer dans leur mise au travail, identifier des difficultés, réexpliquer une consigne, mais aussi repérer les enfants inquiets, donner aux plus timides la possibilité d’un échange en tête-à-tête, encourager, etc. Courant septembre, l’enseignante peut décider de mettre en place deux activités simultanées dans le cadre de la séance d’entraînement. Elle propose à certains élèves une activité en autonomie qu’elle peut mettre en place quand une notion a été plusieurs fois travaillée en séance de découverte. L’exercice proposé est similaire à celui qui a été effectué en séance de découverte, ainsi les élèves comprennent la consigne sans difficulté. Si l’on reprend l’histoire de Zéralda, l’enseignante propose par exemple aux élèves de créer un nouveau menu. Ceux-ci ne sont donc pas déstabilisés par la consigne, ils réalisent le travail en binômes, en groupes ou seuls. La séance s’achève toujours par une mise en commun entre pairs, suivie d’une vérification par l’enseignante. Pendant que ce premier groupe réalise son travail de recherche, la professeure met en place, en parallèle, une activité d’une dizaine de minutes à destination d’un petit groupe qui en a besoin. C’est une courte séance avec un fort guidage magistral : une mise en situation rapide, des interactions, une action succincte à réaliser (dire, lire, écrire), par exemple relire le menu de Zéralda. La correction est immédiate, suivie d’un bref bilan /validation du savoir entraîné en valorisant les réussites. Cette courte séance est particulièrement efficace pour sécuriser les élèves les plus fragiles. Une activité de remédiation est réalisable. Mais c’est aussi la possibilité de préparer une séance de découverte d’études de mots, par exemple, en proposant des entraînements oraux à la phonologie. La professeure s’assure ainsi que tous les élèves pourront aborder l’activité à venir ; de leur côté, les lecteurs néophytes sont valorisés et stimulés.

 

De la cadence !

Toutes les séances sont basées sur un principe : l’élève recueille des informations au travers d’interactions. Elles deviennent savoirs au cours de la mise en commun et de la trace qui lui succèdent. Des entraînements en assurent ensuite la maîtrise, par des jeux d’exercices ou des situations de réinvestissement. Les séances visent donc à développer les échanges entre les élèves et leur professeur, entre pairs également (voir annexe). Leur déroulement, ritualisé, donne aux écoliers des habitudes sécurisantes qui les rendent disponibles pour les apprentissages. La durée de chaque séance est en adéquation avec son objectif, mais aussi avec l’âge de l’enfant, dans le souci de maintenir son attention et sa motivation 7. V. Brayère explique qu’il était difficile au début de respecter ce cadre temporel très strict ; il fallait chronométrer les séances. “Ce facteur temps qui m’apparaissait comme une contrainte est aujourd’hui une libération, je n’ai plus tendance à m’appesantir sur une activité ou à en reporter une autre, et cela impacte l’ambiance de classe, plus sereine”. La possibilité donnée de mener deux séances d’entraînement différentes en parallèle participe aussi à rasséréner l’enseignante comme les élèves, car il est toujours envisageable de revenir, en petits groupes, sur une notion ou une activité.

Des supports de lecture inédits…

En début d’année scolaire, les supports de ces domaines d’apprentissage de la lecture sont exclusivement des textes créés par les élèves. Ils portent sur un vécu partagé, une activité sportive, par exemple. “Le mot étant associé à l’action vécue, la désignation et la compréhension sont plus faciles pour les enfants non francophones ou en difficulté”, note V. Brayère. De fait, lors de la création du texte, sous la forme d’une dictée à l’adulte collective, le lexique et le référent étant partagés, tous les élèves peuvent participer, tous comprennent les phrases. “La démarche proposée choisit de livrer le sens de l’écrit pour permettre à l’élève de le mobiliser au service d’une compréhension du code et de la segmentation des mots”, rappelle É. Fleurat. De plus, grâce à cette activité de production d’écrit, le professeur valorise les moments partagés et construit, en gardant des traces du vécu collectif, une identité positive du groupe-classe, qui va faire émerger l’entraide, la coopération.

… et évolutifs

Le domaine de l’acculturation au monde de l’écrit 8 est travaillé séparément en début d’année. Les albums, qui en sont le support privilégié, ne font pas l’objet du travail détaillé d’observation de la langue, mais celui d’une réflexion orale partagée sur le sens du récit et les émotions qu’il suscite. Il s’agit avant tout de créer un rapport agréable avec le livre, de constituer une culture littéraire commune en découvrant des œuvres porteuses de réflexion. Le plaisir est au centre de cette activité. V. Brayère sélectionne des corpus thématiques choisis pour créer des liens avec les autres domaines 9 et en fonction de la difficulté du texte. “En tout début d’année, il est important de choisir un texte qui ne soit pas difficile, avec par exemple des structures répétitives (grammaticales et lexicales) que les élèves peuvent s’approprier”, explique l’enseignante. Elle lit les textes à haute voix pendant quelques semaines. Cette année, elle a commencé par le thème du rêve 10. L’activité est savamment dosée. Le corpus limité permet de lire chaque œuvre plusieurs fois, en respectant des périodes de latence propres à susciter une attente chez les élèves, préalable au plaisir de relire un album, à la capacité de mieux le comprendre. Ces lectures multiples permettent de construire la compréhension par strates successives, en l’approfondissant à chaque fois. Mais il convient de limiter leur nombre pour éviter la lassitude, rester dans le plaisir, celui d’être capable, quelques mois plus tard, de lire par soi-même et de comprendre ce texte déjà connu et apprécié. L’élève ne sera pas démuni lorsqu’à partir de décembre, les textes supports de lecture et d’observation de la langue seront aussi des textes littéraires 11.

Création collective d’un texte

“La production d’un texte, rappelle É. Fleurat, vise à interpeller positivement les enfants vers un projet commun à mener en coopérant”. La dictée à l’adulte est une activité importante en début d’année de CP, elle participe d’un travail sur la segmentation de la chaîne orale en mots. Elle se pratique souvent individuellement, car elle est classée dans les activités de production écrite. Dans la pédagogie opératoire, le passage par la dictée collective à l’enseignante est incontournable. Elle vise à exprimer un vécu partagé (un jeu en EPS, une sortie scolaire, une séance en arts visuels) et à faciliter l’accès au sens de la phrase. Il s’agit ici de produire un support d’apprentissage de la lecture. Anticiper pour préparer les élèves à ce travail d’écriture est essentiel. L’enseignante fixe des objectifs d’acquisition lexicale et grammaticale. Au moment où le jeu ou la sortie scolaire a lieu, elle utilise en action le lexique visé et les structures grammaticales qu’elle envisage de faire apparaître dans le texte. Elle s’adresse alors aux élèves par groupes ou individuellement, selon les besoins identifiés. Elle utilise la forte capacité des élèves à apprendre par imitation. Lorsque viendra le moment des questionnements, ils rejoueront la scène en réinvestissant les mots qu’ils y ont entendus. V. Brayère s’assure ainsi que tous pourront participer à la restitution. En septembre, les deux premiers textes portent sur des jeux sportifs qui se sont déroulés dans la cour. En classe, la professeure vidéo-projette une ou plusieurs images des élèves en situation (photographies ou petit film) pour lancer la dictée collective. Elle stimule la mémoire des enfants tout en valorisant l’activité passée. “Regardez bien cette photographie, vous allez me raconter ce que nous avons fait et me proposer des phrases”.

Reformuler pour progresser

Les propositions de tous doivent permettre de construire le texte. “On a trouvé un avion, propose un élève.” “Oui, où a-t-on trouvé cet avion ?” demande l’enseignante. “Dans les toilettes”, répond un autre enfant. La professeure demande alors à la classe de formuler la phrase complète, puis un élève la lui dicte mot à mot pour qu’elle l’écrive au tableau. Elle répète ce qu’elle écrit pour qu’il soit assuré de la prise en compte de sa proposition. “En début d’année, explique V. Brayère, les élèves proposent souvent des morceaux de phrases. Je soigne l’énoncé de mes questions de manière à ce qu’il induise dans la réponse la structure et le temps du verbe. Mon objectif premier est d’amener progressivement les élèves à répondre systématiquement par des phrases complètes. Ce travail leur permet de prendre conscience de la différence entre l’expression écrite et l’expression orale”. Ainsi, l’enseignante reformule si nécessaire la phrase proposée. “Les enfants disent Les policiers, i z’ont attrapé les voleurs. La formulation pour l’écrit se traduit par Les policiers ont attrapé les voleurs. Le pronom ils disparaît, la liaison est transférée à ont attrapé. La prononciation orale est modifiée sans trop s’éloigner de la proposition de l’enfant. Celui-ci reconnaît toujours ce qu’il a dit, le comprend et l’accepte ainsi, car sa parole n’est pas modifiée. La professeure respecte la zone proximale de développement”, explique É. Fleurat. La proposition, accessible à l’élève, permet à tous de saisir la différence lorsque l’on passe à l’écrit. Ce texte sur le jeu des policiers et des voleurs, écrit début octobre, est composé de 4/5 phrases. Au fil de l’année, ces récits s’étoffent, et V. Brayère favorise la complexification des phrases par des questionnements appropriés : “Mais, qui a pu voir à quel endroit il…”, “Je ne me souviens plus comment…”, “Je ne comprends pas pourquoi…”. Les réponses des enfants sont directement liées au mode de questionnement : temps utilisé, syntaxe, vocabulaire…

 

Le texte comme objet d’étude

Une fois achevé, le texte devient un objet d’étude de la langue, support d’une nouvelle séance, consécutive à l’écriture ou qui se déroule plus tard dans la journée. Elle a pour but la reconnaissance auditive et visuelle des mots porteurs d’un son étudié. En ce début d’année, on cherche à identifier dans les mots les sons [o] et [i]. Les élèves passent par une phase de recherche autonome ou par binômes dans le cadre de cette séance de découverte qui se finalisera par le repérage de ces sons dans la trace écrite, grâce à un code couleur. Dans un second temps, l’enseignante extrait les mots outils (appelés aussi mots grammaticaux) qu’elle entoure, de, et, il, elle, avec, par exemple. Elle explique aux élèves qu’ils devront apprendre à les écrire. Savoir orthographier des mots-outils ne constitue pas un objectif suffisant pour motiver les élèves. C’est pourquoi l’entraînement systématique à leur écriture fait l’objet de jeux stimulants et exigeants, tels que le “défi dictée”, ou la copie différée 12. Ils sont mis en œuvre dans le cadre d’une séance d’entraînement. Enfin, le professeur distribue toujours une version écrite du texte achevé qui est collée dans le cahier. Les textes sont également affichés et repérés. Mémoire de la classe, ils valorisent les productions des élèves tout en constituant des outils de référence, témoins des apprentissages. “Après sept semaines, le premier texte affiché est remplacé par le huitième, la semaine suivante, le second est remplacé par le neuvième, etc. La rotation des affichages est ainsi progressivement assurée”, précise É. Fleurat. Ces productions peuvent aussi être supports d’une séance d’entraînement, une collecte de mots. On demande par exemple aux élèves de recopier tous les mots qui contiennent les sons [o] et [i] dans les textes 3 et 4.

Lecture mosaïque

Les différents supports d’apprentissage de la lecture, que ce soit les textes créés par les élèves ou des phrases extraites des albums lus en classe, par exemple, permettent de construire progressivement une banque de données linguistiques (lexique, structure des phrases, code alphabétique). L’enseignante utilise cette base qui s’enrichit au fil de l’année pour concevoir des activités d’entraînement à la lecture. L’une d’elle, la “lecture mosaïque”, illustre significativement la démarche. La professeure distribue aux élèves un texte qu’ils ne connaissent pas, à partir de mots et structures de phrases étudiés dans les productions de la classe, en tenant compte également de leur niveau de maîtrise du code alphabétique. La consigne est simple : “Vous avez quatre phrases à lire”. Après un premier temps de travail de recherche autonome, les élèves organisent une coopération par petits groupes avec un objectif motivant, celui de restituer la lecture à la classe. Les élèves du groupe discutent et négocient. Il faut se mettre d’accord sur la pertinence de la lecture et se répartir les phrases. En guise de stimulus, l’enseignante propose une première phrase facile à lire à haute voix, contenant par exemple un seul mot différent de la phrase déjà étudiée. Tous les élèves sont ainsi rassurés, placés en position de réussite. En cours d’année, l’activité évolue. La professeure propose aux élèves un corpus de 5/6 phrases, conçues sur le modèle du dernier texte étudié en classe, mais nettement modifié. Par exemple, la phrase initiale “Sous le préau, nous avons joué aux moutons siamois” devient pour un groupe “Sous le préau, Louka a joué au ballon” et pour un autre “Dans le jardin, nous avons joué avec les moutons”. À la fin de cette séance de découverte, chaque élève reçoit une feuille récapitulative avec les différents textes mosaïques. Il repère son texte et l’illustre. C’est la trace écrite finale. Cette séance peut se décliner en une autre activité de lecture appelée lecture mosaïque artiste. “Après avoir préparé leur lecture mosaïque à restituer à l’ensemble de la classe en fin de séance, les élèves doivent aussi illustrer leur texte. Ensemble, ils décident ce qu’ils vont dessiner pour expliquer au mieux leur texte. Au moment de lire devant la classe, les différents groupes écoutent et doivent ensuite être en mesure, après concertation, de trouver le dessin qui correspond au texte lu. Ce sont des moments de réflexion et de partage riches et stimulants”, relate V. Brayère.

Apprendre en jouant ?

Ces activités sont motivantes, car elles sont ludiques. Elles permettent de décentrer le regard de l’élève de l’objectif d’apprentissage, tant il se focalise sur le défi proposé. Quand il conçoit une activité, l’enseignant convertit donc la consigne scolaire en règle de jeu pédagogique. Prenons l’exemple de l’exercice de copie active, cette fois à réaliser en binômes. En fin de séance, l’élève doit être capable d’écrire sans modèle quelques mots, par exemple des mots invariables, en faisant travailler sa mémoire. L’enseignante les prélève dans les textes construits et étudiés en classe plusieurs fois, lors de séances de découverte. La consigne est : “Attention, vous devez recopier le texte que cache votre voisin. Chaque fois que vous lui demanderez de regarder le modèle, il vous le montrera et il fera un bâton dans la marge de son cahier puis il cachera à nouveau le texte. Vous avez quatre minutes. Vérifiez ensuite votre travail en vous aidant du modèle. Si un mot comporte une erreur, ajoutez un bâton”. La consigne, associée à une contrainte temporelle que l’on peut matérialiser par un sablier, est formulée comme un challenge. En fonction de la période de l’année ou dans le but d’éviter la lassitude, les modalités peuvent varier. Par exemple, chaque membre du binôme s’entraîne à copier les mots puis chacun dicte les mots à l’autre et joue le rôle du correcteur. É. Fleurat rappelle que l’étape finale de formalisation des apprentissages n’est pas facultative. On indique alors clairement aux élèves que l’on a quitté le monde du jeu en valorisant ses efforts et ses réussites et en lui précisant des pistes de progrès à sa portée, pour aller un peu plus loin dans l’acquisition de nouveaux savoirs. Dans le cadre de cet exercice de copie active, à la fin du temps imparti, c’est le professeur qui fait faire la dictée. Cette évaluation formative permet de valoriser les réussites et, s’il reste des erreurs, les élèves s’entraînent à nouveau. La construction de “fomos” 13 (pseudo-mots) est une autre activité ludique qui stimule les élèves. L’objectif est de se familiariser avec la lecture des syllabes sans s’attacher à l’orthographe. Les élèves accrochent avec bonheur des syllabes les unes aux autres. Ils les écrivent puis les lisent à la classe. Du “lilalo” au “rapoto”, certains “fomos” font beaucoup rire leurs jeunes auteurs.

À chacun son rythme

La pédagogie opératoire apporte des solutions aux obstacles de temps, de compréhension de consigne, de disponibilité auprès élèves. Son cadre très structuré permet paradoxalement au professeur de multiplier les échanges avec eux, de personnaliser leur travail et de permettre ainsi à chacun d’être toujours en activité, à son rythme. L’enseignant circule très souvent dans la classe, s’assoit aux côtés d’un élève pour l’aider ou le relancer dans sa réflexion. “J’ai plus de contacts individuels avec chaque élève, explique V. Brayère, mais aussi plus d’outils, de ressources pour les aider”. Ces ressources, tels les textes construits collectivement et affichés dans la classe, sont toutes comprises par les élèves, donc efficaces pour rappeler les apprentissages associés. “Les activités proposées permettent à chaque enfant d’exprimer au mieux ce qu’il sait faire, poursuit l’enseignante. En production d’écrits (dictée à l’adulte, écriture autonome de textes), chacun produit à son rythme. Ainsi, les plus avancés font évoluer ou modifient le sens de la phrase. Ils produisent plus, car aucune limite ne vient contenir leur désir d’écrire, exceptée l’attente de la maîtresse qui préfère la qualité à la quantité. Dans la recherche de mots, chacun collecte selon ses capacités et ses connaissances, que cette collecte réponde à une attente liée au sens ou une attente liée au codage (des mots à collecter). Dans le codage de “fomos” (pseudo-mots), chacun code et écrit selon ses propres capacités, seule la maîtrise du code est mobilisée sans pénalisation liée à l’orthographe. Il n’existe donc pas de restriction dans ce que peuvent faire les enfants. C’est pourquoi chacun est en mesure de progresser à son propre rythme. Les jeux coopératifs permettent des interactions entre pairs qui favorisent la transmission de ces savoirs entre élèves”.

Communication, valorisation… motivation !

Les progrès de chacun sont mis en lumière, en classe comme à la maison, d’ailleurs. Chaque jour, les élèves montrent à leurs parents ce qu’ils ont appris à lire : extraits de textes, lectures mosaïques, petites productions. “Ils sont ainsi en mesure de valoriser ou de faire valoriser leurs savoirs tout neufs auprès de leurs familles. Celles-ci sont informées qu’il est conseillé de ne pas dépasser 15 à 20 minutes de travail quotidien après la classe, et que l’objectif est la valorisation, jamais le conflit”, complète V. Brayère. Le regard conjoint et bienveillant des adultes (parents, enseignant) participe au bien-être de l’élève, lui donne envie d’apprendre, de progresser, l’autorise à poser des questions. En pratiquant des activités ludiques dans une atmosphère de confiance et de sécurité, les enfants comprennent qu’ils ont le droit de manifester leur propre curiosité sans crainte de jugement. Ce climat résulte de l’attention particulière consacrée à la présentation, l’explication et le sens donné à tout ce qui est leur est demandé. L’étape de mise en situation y joue un rôle déterminant. Pour illustrer cette pertinence spontanée dont font preuve les élèves, laissons le dernier mot à Jérôme, 6 ans : “Maîtresse, il vaudrait mieux que ce soit toi qui choisisses le texte le plus drôle ! J’ai peur que les autres votent pour les copains et les copines”… Remarque prise en compte par l’enseignante !


1. École primaire classée en réseau d’éducation prioritaire.
2. Éditions de L’Harmattan, décembre 2013.
3. Lire au CP (2), enseigner la lecture et prévenir les difficultés, paru en novembre 2004
4. Le PIREF (Programme incitatif de recherche en éducation et formation) a organisé à Paris les 4 et 5 décembre 2003 une conférence de consensus, démarche originale qui constitue une première dans le domaine de l’éducation. Les conclusions du jury ont été présentées lors d’une conférence de presse le 16 décembre 2003 sous forme de recommandations.
5. Pédagogie dite “opératoire” : son ambition est de proposer un cadre pratique qui permet d’être efficace dans sa pédagogie.
6. Le géant de Zéralda, de Tomi Ungerer, École des Loisirs (2002).
7. Les séances sont adaptables à tous les niveaux d’enseignement.
8. “Il s’agit de permettre aux enfants d’acquérir une culture de l’écrit, notamment au travers de la littérature et des écrits fonctionnels, pour qu’il s’en approprie le sens en réception et en production. En effet, la langue française a la particularité de présenter de grandes différences entre la syntaxe de l’oral et celle de l’écrit, ce qui nécessite l’apprentissage de chacun de ces deux langages ”, explique É. Fleurat.
9. Dans la démarche proposée, le français comprend : compréhension, étude texte / phrases, étude de mots, productions (écrite et orale), entraînements.
10. Autres thématiques : À propos d’un auteur : Claude Boujon, L’Afrique, Les ogres, Les sorcières, Le chat, L’alimentation…
11. Mais aussi des comptines et chants, des extraits de documentaires, des pages web par exemple.
12. “La copie différée consiste à écrire des mots, propositions ou phrases, en s’affranchissant du modèle. Elle s’effectue en plusieurs temps. En premier lieu, la mémorisation en présence du modèle, puis l’écriture sans modèle, et enfin la vérification avec le modèle. Elle prend la forme de jeux ou de défis variés qui consistent à reproduire le plus fidèlement ce qui est proposé. C’est une activité très efficace et appréciée des élèves. Elle leur procure des atouts décisifs pour la suite de leur scolarité”, précise É. Fleurat.
13. L’appellation “fomos” rappelle par son orthographe, qu’il est question de pseudo-mots écrits sous leur forme phonétique.

 
auteur(s) :

N. Le Rouge

contributeur(s) :

M. Fleurat, Mme Brayère, École primaire Jules-Ferry, Le Mans [72]

fichier joint

information(s) technique(s) : pdf

taille : 355 Ko ;

ressource(s) principale(s)

echanger dossier 1 construire, évaluer des compétences 11/01/2011
La question de la construction et de l'évaluation des compétences prend aujourd'hui une nouvelle actualité avec la mise en œuvre du socle commun de connaissances et de compétences. Désormais, ...
évaluation, évaluer, compétences, livret, socle commun

haut de page

innovation pédagogique - Rectorat de l'Académie de Nantes