Pour éviter la confusion et donner de la valeur à toutes les phrases, chacune est inscrite d'une couleur différente (
voir annexe). Des deux meneuses de séance (renouvelées par tirage au sort dans une enveloppe chaque semaine), la présidente énonce les doléances : "C... me tord le bras". Pour permettre un débat constructif, les règles de vie sont posées dès le début de l'année scolaire, discutées et votées par les enfants (
voir annexe). Chacun peut ensuite s'y référer, tel un code de déontologie expliqué et compris par tous : règle numéro cinq, "La violence est interdite à l'école, en mots, en gestes. Je respecte les autres parce que je veux que les autres me respectent". Voici la consigne verbale que les enfants réaffirment à l'oral lors de cet incident pour demander "justice". L'auteur du geste déplacé s'excuse de lui-même. En cas d'infraction à la charte, les élèves peuvent demander une réunion de classe. Des sanctions sont envisagées, mais les écoliers en discutent et décident de façon collégiale. Le document "Nos règles de vie" est signé conjointement par l'enfant, les parents et l'instituteur. Au fil de l'année, l'enfant s'autoévalue par un système de légende-couleurs : vert ("je réussis bien"), orange ("j'ai des difficultés"), rouge ("je n'y arrive pas"). Souvent au cours de la séance, certains s'excusent d'avoir mal interprété une situation. À l'échelle de leur microsociété, les élèves ont compris l'attribution des rôles et veillent à ce que la démocratie, principal régime politique abordé en éducation civique, fonctionne : "Mario parle alors que ce n'est pas lui le président", relate le papier suivant. Pauline, la responsable de parole, se charge de l'accorder à qui lève la main, en notant simultanément sur une feuille l'ordre de priorité. Depuis longtemps, les élèves connaissent les codes et s'y conforment avec respect, tant ils leur semblent justes. On souhaite dire quelque chose sur le litige en cours, on lève la main. La responsable de parole vous fait signe qu'elle vous a vu : vous pouvez baisser le bras et attendre sagement votre tour, qui viendra assurément. L'enseignant reste silencieux, au fond de la salle, écoute. C'est entre eux que les écoliers s'expriment, parole à qui a écrit, parole à qui est ciblé, parole à quiconque souhaite intervenir en respectant les règles établies : propos respectueux, langage courant, réponse par une phrase complète, on ne coupe pas la parole. En plus de la maîtrise de la langue française, c'est l'usage de la citoyenneté qui se construit, mot à mot. On s'écoute, on attend son tour. Il est saisissant de visualiser à quel point les enfants se sentent concernés, impliqués, se défendent, argumentent, détaillent leur point de vue pour mieux convaincre les autres. La parole prend tout son sens, sa puissance libératrice annihile toute idée de violence : cela va mieux en le disant.