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mis à jour le 03/02/2020
mots clés : effets spéciaux, formation
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Introduction
Les effets spéciaux sont des arts trompeurs : il s’agit de créer l’illusion d’actions, de décors, de simuler des objets, des environnements, des personnages, des phénomènes qui n’existent pas dans la réalité ou qui ne pourraient pas être filmés au moment du tournage. Les effets spéciaux induisent une tension entre le réel et l’extraordinaire, l’exceptionnel. C’est cette tension qui participe de la force de l’art cinématographique. Au cinéma, dans la réalité du film, le rêve et le surnaturel peuvent surgir et cohabiter sans que le spectateur ait le sentiment de devenir fou. Entre invisible et spectaculaire, entre réel et surnaturel, entre rêve et réalité, les effets spéciaux sont donc bien un élément essentiel de mise en scène au cœur de la puissance de signification de l’art cinématographique.
Petit rappel : parmi les effets spéciaux on distingue les effets réalisés « en direct sur le plateau » (pyrotechnie, arrêt de caméra, cascades...) et les effets visuels qui procèdent à l’origine de la manipulation de pellicule en laboratoire, qui sont désormais numériques : matt painting, compositing, animation...
Dans tous les cas, pour reprendre Réjane Hamus Vallée et Caroline Renouard, il y a un écart entre une prise de vue « sans » effets spéciaux et une prise de vue « avec ». Dans tous les cas pratiquement, sauf œuvre expérimentale abstraite, les effets spéciaux ont besoin du réel et ne se pensent que dans le rapport qu’ils ont avec la réalité, y compris dans les films ultra « numérisés » comme La Planète des Singes ou même Le Seigneur des Anneaux. Ces films ont besoin des corps des acteurs, de leurs mimiques, on ne parle pas pour rien de Motion Capture ou Performance capture : il s'agit bien, là aussi, de partir du jeu d’un acteur, de ses capacités d’expression, de ses mouvements, même si c’est pour le masquer numériquement ensuite avec des éléments de synthèse. Les effets numériques les plus poussés s’adossent au réel, ont besoin de lui, mais, selon les films, dans des proportions très différentes.
C’est ce rapport du réel et au rêve travaillé par l’utilisation des effets spéciaux qu’il peut être intéressant d’observer avec les élèves. Quel rapport au réel entretient le film ? S’agit-il de l’enchanter, le fuir, l’interroger, le transcender ? Si l’on part de l’idée que tout film est un parti-pris en face de la réalité, les effets spéciaux sont l’instrument qui renseigne sur ce parti pris. Comment les effets spéciaux métabolisent-ils le réel ? Le réalisme n’est-il pas le but à atteindre par la plupart des effets visuels numériques ? Interroger le réel, se positionner par rapport à lui pour développer son regard, c’est finalement un enjeu de chaque film. Nous pouvons poser à un très grand nombre de films la question de leur relation au réel, par la place et la technique choisie pour les effets spéciaux, y compris les films qui utilisent des effets spéciaux très discrets. Pour mieux comprendre ce qui se joue dans cette tension entre effets spéciaux et réalisme, nous ferons aussi un petit détour par le jeu video, pour qui les effets spéciaux sont absolument constitutifs, mais qui, paradoxalement, visent le réel comme un absolu.
Le cas des chaussettes vertes de Marion Cotillard dans De rouille et d’os, Jacques Audiard, 2012. Adaptation d’une nouvelle du canadien Craig Davidson.
Dans le commentaire du film, Jacques Audiard assume l’amputation des jambes de Marion Cotillard comme une proposition érotique. Il s’agit de bouleverser le regard habituel sur le handicap et le corps amputé. Audiard ajoute « ce film, il y a 10 ans, je ne l’aurais pas fait car il y avait encore une lourdeur des effets spéciaux à la prise de vue ». Tournage très simple : Marion Cotillard a enfilé des chaussettes vertes. La société MIKROS spécialisée dans les effets spéciaux numériques a fait le reste.
Border, Ali Abbasi des effets spéciaux à la fois spectaculaires et réalistes. Comment l’étrangeté devient naturelle.
Le projet : Un pur conte fantastique et naturaliste, du début à la fin, Il contraint à regarder en face, et sans préambule, tout ce qui dérange – l’étrange, l’étranger, l’altérité, la difformité. Ali Abbasi : « au lieu de styliser le monde à l’extrême et de créer une certaine distance, je voulais fabriquer un film presque réaliste ». J’ai toujours refusé de faire un film à effets spéciaux […] dès le départ je refusais d’opposer rêve et réalité ». Le film nous met à l’épreuve, il abolit la frontière entre la réalité et le fantastique. Ali Abbasi dans le bonus du DVD : « c’est la capacité du cinéma à repousser les limites qui me fascine ». [...]« Au cinéma, il y a cette étrange récurrence esthétique où les gens normaux sont beaux ». Abbasi a fait un film « sur les personnes aux limites de l’humanité en s’appuyant sur la mythologie scandinave ».
Effets spéciaux : 98 % du film tourné sans effets spéciaux numériques, mais trucages de maquillage. Les acteurs portaient un épais masque de silicone. Quatre heures de maquillage chaque jour. Les acteurs ont pris 20kg pour le rôle.
Peau d’âne, film musical de Jacques Demy, 1970. Adaptation d’un conte de Charles Perrault.
Se servir du trucage de façon visible : le cinéaste dit qu’il truque en même temps qu’il utilise le trucage : le spectateur sait qu’on l’embobine, il peut dire à quel moment il y a eu un truc, un tour de passe passe, et non seulement il l’accepte, mais c’est ce qui lui plaît, comme de voir un magicien faire ses tours . Sorte de clin d’œil du réalisateur au spectateur : un plaisir de la connivence, un plaisir régressif de retourner en enfance et dans le merveilleux des contes, où tout est possible. En même temps ici, le réel est très présent dans le décor naturel de la forêt. Le monde réel est enchanté par certains éléments truqués, par les costumes, et par les chants.
On peut voir dans les deux exemples de Border et De rouille et d’os la trace persistante du réalisme, voire du naturalisme qui marque historiquement le cinéma européen. Goût pour les trucages discrets, pour une hybridation en faveur du réalisme et finalement une sorte de méfiance à l’égard des effets spéciaux numériques et autre CGI (computer Generated Image) qui recomposent totalement des univers fictifs. Peau d’âne peut aussi se lire comme un manifeste en faveur d’un cinéma artisanal, un artisanat d’art précis et soigné mais un artisanat avant tout.
Faut-il opposer les films européens aux films américains ? En tout cas, sur le plan économique : « Les films qui ont engrangé le plus de dollars depuis 2000 présentent tous une quantité imposante de plans truqués, de plusieurs centaines chacun »(1), des plans truqués qui ont recours aux nouveaux outils numériques.
Edge of Tomorrow, Doug Liman, 2014.
A propos des effets spéciaux dans Edge of Tomorrow (2) : quatre grands studios se sont unis, Sony Pictures Imageworks, Cinesite, MPC et Framestore. Innovation dans l’utilisation du logiciel d’animation Maya pour animer les tentacules des mimics aux mouvements aléatoires et brutaux.
Exosquelettes construits sur mesure pour les acteurs, déploiement des armes assuré en animation 3D. Pour Emily Blunt qui ne pouvait même pas bouger sous le poids de l’armure, un exosquelette plus léger a été construit et toutes les armes ont été animées en 3D. Pour réussir à imiter une course réaliste avec l’armure, les acteurs étaient tirés et suspendus par des câbles.
« Le tournage d'Edge of Tomorrow a eu lieu en Angleterre, principalement dans les studios Leavesden de Warner Bros. Le complexe offre neuf plateaux de tournage, plus un immense terrain à l’air libre. Les scènes de bataille du débarquement ont été filmées sur un décor de plage de 200 mètres de long sur 150 de large. Ce gigantesque plateau à l’air libre était fermé par un fond vert de 550 mètres de long. En postproduction, le paysage a été prolongé jusqu’à l’horizon, l’océan ajouté par une simulation de fluides Houdini, et des dizaines de vaisseaux et de soldats virtuels ont été intégrés dans la scène. Là-dessus venait s’ajouter l’animation furieuse des Mimics qui balaient les troupes terrestres. Suivant les plans, les projections de soldats étaient réalisées sur le plateau à l’aide de câbles, ou bien par une animation ». [voir site de Pixel Creation]
Le souci de réalisme est sans cesse mis en avant par les experts en effets spéciaux, comme dans les jeux videos en FPS (First Personn Shooters) qui sont pour la plupart 100 % numériques (en recourant toutefois à le Performance Capture pour certains). La proximité d’un film comme Edge of Tomorrow avec le jeu video est évidente : le personnage meurt à de multiples reprises et repart au combat en s’améliorant à chaque fois. L’esthétique du film rejoint l’esthétique du jeu vidéo. Dans les deux cas, film de science fiction et jeu video, il s’agit d’accrocher le joueur ou le spectateur aux enjeux d’une action décisive, dangereuse, sacrificielle et militaire.
Exemple avec le jeu Call of Duty : Modern Warfare 3
Dans une vidéo qui met en scène les différents créateurs du jeu (3) : « Notre objectif était de produire quelque chose d’aussi authentique que possible ». Des consultants ont été requis parmi les navy seals : « On essaie de reproduire chaque détail »
« Plus nous sommes précis, plus le joueur pourra s’investir dans le jeu »
extrait d’une démonstration du jeu https://youtu.be/VRO7TFyOukw?t=5
Le jeu video veut égaler la réalité, pour mieux la dépasser (4)? Toute puissance à l'oeuvre dans les jeux videos hyper réalistes, puisque le joueur a le sentiment de pouvoir agir sur le réel. L'utilisation de la motion capture pour un très grand nombre de jeux videos fait du réel le point de départ et la référence pour l'élaboration de l'esthétique du jeu.
Paradoxe d’un « réel » d’une « réalité » que le virtuel veut rejoindre à tout prix pour capter l’intérêt du spectateur qui devient ici un navy seal et qui peut agir. Le réalisme est comme le rêve à atteindre de l’univers virtuel comme la garantie de sa valeur, la légitimation de son existence et de sa puissance.
Blade Runner, Ridley Scott, 1982 puis en 1992 version « director’s cut » approuvée par Ridley Scott.
Atmosphère très spécifique au film, ambiance noire et cyberpunk. Le plan sur la licorne, au ralenti, l’ambiance lumineuse, vaporeuse, enfumée, la musique de Vangelys, tout contribue à constituer un univers unique. Importance du travail sur les décors (maquettes) sur le lumières, les effets visuels au service d’une esthétique très graphique. Les effets spéciaux participent d’un véritable geste artistique.
Conclusion
Les effets spéciaux représentent une très large palette de possibilités pour truquer la réalité, faire advenir le surnaturel, le rêve, l’étrange ou simplement permettre de donner une existence à ce qui n’existe pas. Chaque film se positionne de manière très spécifique par rapport à la réalité en recourant à l’utilisation des effets spéciaux, entre naturalisme et fantastique, la palette des possibles est très large. En connaître l’utilisation, la nature, permet de les rapporter au geste artistique de l’auteur, voire du studio qui a produit le film. L’omniprésence désormais des effets virtuels pour retravailler l’image de prise de vue réelle, la retoucher, même légèrement, nous interroge nous autres cinéphiles européens habitués du cinéma réaliste : le cinéma ne devient-il pas un art essentiellement graphique ? Et la revendication d’authenticité et d’ultra-réalisme dans certains blockbusters proches du jeu vidéo nous interpelle, faut-il y voir une volonté de recréer la réalité pour mieux la dominer et la contrôler ?
anne loiseau
niveau : Lycée tous niveaux
type pédagogique : article
public visé : enseignant
contexte d'usage :
référence aux programmes : 2de option : trucages et effets spéciaux de Méliès à la 3D ; le personnage de cinéma ; l'écriture du plan ; les métiers du cinéma ; rire, pleurer, avoir peur
1e option : cinéma et nouvelles écritures ; fiction et récits
1e spécialité : les studios ; être auteur, de l'écriture de scénario au final cut ; les genres cinématographiques, de la production à la réception ; une technique dans son histoire
terminale spécialité : réception et publics ; périodes et courants ; art et industrie ; transferts et circulations culturels
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