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engager des élèves d’un réseau d’éducation prioritaire renforcé dans un projet d’Éducation Artistique et Culturelle.

REP+ Alain-Fournier, Le Mans (72)

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Ce type de projet qui sollicite de nombreux acteurs et suscite une réorganisation des emplois du temps des classes est-il profitable aux élèves en termes d’apprentissages ? Qu’en est-il de l’ouverture culturelle visée à travers cette action ?


Tous les élèves de 3ème du collège Alain-Fournier ont bénéficié d’une action, dans le cadre du Parcours d’Éducation Artistique et Culturelle, intitulée « Théâtre et altérité » proposée par la Scène nationale du Mans, le théâtre Quinconces-Espal. Ainsi, deux classes ont pu assister à la répétition du spectacle L’endormi. Quelques jours plus tard, Marc Nammour, rappeur-auteur-interprète, est venu au collège pour mener des ateliers d’écriture et de mise en voix dans ces deux classes. Ces mêmes classes ont écouté une lecture du texte du spectacle par des élèves du conservatoire qui avaient travaillé avec Sylvain Levey, l’auteur de la pièce. Ce fut ensuite la représentation de L’endormi pour tous les élèves de 3ème. Les deux classes qui n’avaient pas bénéficié des actions précédentes ont participé à un « bord de scène » avec l’équipe artistique. Enfin, pour compléter le parcours, les élèves volontaires se sont rendus à un concert hors-temps scolaire pour écouter Kery James, un autre rappeur. Environ 70 % des élèves de 3ème étaient présents à ce concert le samedi 18 décembre 2021. Même si tous les élèves n’ont pas pu bénéficier de l’ensemble des propositions artistiques, tous ont pu rencontrer des artistes avant ou après le spectacle.

Ce type de projet qui sollicite de nombreux acteurs et suscite une réorganisation des emplois du temps des classes est-il profitable aux élèves en termes d’apprentissages ? Qu’en est-il de l’ouverture culturelle visée à travers cette action ?

Quand l’accès à la culture fait surgir des conflits de valeurs :

Si le PEAC a pour objectif de « favoriser l’égal accès de tous les élèves à l’art à travers l’acquisition d’une culture personnelle », il ne faudrait pas négliger les différentes pratiques culturelles dans lesquelles s’inscrivent les élèves des réseaux d’éducation prioritaire. Ainsi, dans ces réseaux, plus qu’ailleurs, la culture qui est « grille de lecture du monde » est plurielle. Au collège Alain-Fournier, une quarantaine de nationalités sont présentes. Se rendre au théâtre, rencontrer des artistes, jouer avec les mots, les donner à entendre aux autres sont des actions qui ne sont pas évidentes pour tous. Ces pratiques ne sont d’ailleurs pas toujours perçues comme ayant du sens. Par exemple, lorsque les élèves assistent à la répétition et rencontrent Marc Nammour, beaucoup ne savent pas comment se situer, comment se tenir sur les sièges rouges de la salle de spectacle. Certains tutoient l’artiste. On pourrait les penser particulièrement impolis. D’autres esquissent des pas de danse, font des gestes avec leurs bras, montrant comment ils se représentent ce domaine artistique. On pourrait en conclure qu’ils sont vraiment très agités. D’autres encore sont très gênés de se trouver dans cette salle, de voir un artiste leur adresser la parole. On pourrait là encore se décourager et se demander pourquoi l’on a organisé cette rencontre. De même, lors des ateliers d’écriture, de nombreux élèves peinent à s’autoriser une production qui les dévoilerait trop et en même temps, ils se refusent à « inventer », à écrire des choses qu’ils ne pensent pas. Quand il s’agit de déclamer voire de slamer les textes, pour beaucoup, « ça ne se fait pas », ce n’est pas « normal » de se faire remarquer ainsi. L’ouverture culturelle que nous visions peut nous sembler difficile à atteindre. Cependant, ces réactions sont la preuve que les cultures se rencontrent, celles diverses des élèves, celles des artistes, celles de l’École. En effet, les conflits de valeurs sont inévitables quand il y a rencontre entre différentes cultures et c’est ainsi qu’elles peuvent se transformer l’une l’autre et que des apprentissages peuvent en découler. La notion de « parcours » nous semble ici essentielle car, pour que des apprentissages s’élaborent, on ne peut se contenter d’une seule rencontre. Ainsi, les résistances, les réactions de rejet, les questions ont pu s’exprimer pendant la répétition du spectacle et lors des ateliers d’écriture, organisés en deux temps de deux heures chacun. Nous avons pu observer que cela laissait le temps d’un cheminement : les élèves ont adhéré peu à peu. Certains ont travaillé leur texte entre les séances, d’autres l’ont complètement réécrit. Des élèves, très réticents au départ, ont fait des propositions vocales remarquables. Enfin, les élèves des deux classes ayant bénéficié des ateliers ont assisté aux spectacles avec un appétit évident et un regard averti. Nous avons pu vérifier qu’en nous appuyant sur la Charte pour l’éducation artistique et culturelle (1) , nous avons combiné « éducation à l’art » par la « fréquentation d’œuvres, la rencontre d’artistes et la pratique artistique » et « éducation par l’art » en encourageant le développement de la sensibilité, de la créativité et de la sensibilité des élèves.  


Ouvrir des portes

Ce type de projet a également pour objectif de bousculer les « effets de seuil » décrits par P. Périer (2). En effet, si une des scènes théâtrales partenaire est située dans le quartier du collège, elle est très peu fréquentée par les habitants du quartier. Parents et élèves ne s’autorisent pas l’accès à ce lieu. C’est pourquoi faire entrer les élèves dans ce théâtre, accueillir les artistes au collège nous semblent des actions susceptibles de rapprocher ce public de cet espace culturel. Là encore, l’appui de la Charte pour l’éducation artistique et culturelle nous indique que « l’éducation artistique et culturelle prend en compte tous les temps de la vie des jeunes, dans le cadre d’un parcours cohérent impliquant leur environnement familial et amical ». C’est aussi en outillant les élèves, en leur donnant des clés de compréhension, des prises sur ce qu’ils voient que le temps du spectacle peut être réellement investi par eux. Il ne s’agit pas d’avoir aimé ou pas mais d’avoir à dire quelque chose sur ce qu’on a vu, de pouvoir échanger avec ses pairs à ce propos. Ainsi, lors de la représentation de L’endormi, les élèves ayant suivi l’atelier d’écriture disaient avec enthousiasme « On va voir Marc » : ce n’était plus un artiste lointain mais une vraie personne qu’ils avaient rencontrée, qu’ils avaient accueillie dans leur collège et avec qui ils avaient appris.

De plus, le choix de proposer un spectacle, celui de Kery James, dans un autre lieu de la Scène nationale au centre-ville du Mans, participe aussi de cette démarche d’ouverture culturelle. Sortir du quartier nous a semblé pertinent. De même, nous avons opté pour un concert en soirée et non sur temps scolaire de manière à se rapprocher des sorties culturelles de tout un chacun. Les élèves ont dû rentrer chez eux après le spectacle par leurs propres moyens. Notre idée était de progressivement moins les accompagner. Nous avons également découvert que certains élèves s’étaient autorisés à retourner par eux-mêmes dans certains lieux. Une jeune fille, par exemple, a assisté, pendant un week-end, à la lecture du texte du spectacle en présence de son auteur, Sylvain Levey.

Ce parcours a aussi été l’occasion de rendre visibles les liens entre disciplines. Ainsi les notions de composition musicale et d’écriture se sont mêlées et ont pris sens de manière plus incarnée pour les élèves. Certains ont notamment relevé les échos qu’il y avait entre la séquence de français sur l’écriture autobiographique et la posture d’auteur-compositeur décrite par l’artiste, Marc Nammour, développant ainsi des compétences du domaine 5 du socle commun (3).

Enfin, ce parcours a permis une ouverture au sens du spectacle : la compréhension du texte, les choix musicaux, les effets de la mise en scène. Il nous a semblé, en effet, que cette approche progressive du spectacle : répétition, atelier d’écriture, lecture et rencontres a été l’occasion d’une appropriation du sens par les élèves. Ils ont pu exprimer ce qu’ils comprenaient, ce qu’ils ressentaient, poser des questions. Après la représentation, certains élèves étaient touchés aux larmes et ont manifesté une compréhension fine de l’œuvre. Là encore, les compétences du socle commun ont été travaillées, notamment celles du domaine 3 (4).

Pour finir, ce projet a favorisé des « rencontres » entre élèves et avec les enseignants, notamment lors des ateliers d’écriture. En effet, livrer son texte aux autres membres de la classe provoque des réactions, des applaudissements, des surprises, des questions. Ces heures ont été des moments riches en échanges.


Des élèves acteurs de leurs apprentissages en devenant auteurs et interprètes.

Ce parcours présente enfin l’intérêt de faire expérimenter une pratique artistique même si ce n’est qu’une initiation.  Par exemple, les élèves avaient des représentations premières sur le rap : un style musical un peu basique, des paroles peu recherchées et une langue très familière. En s’essayant à l’écriture et à la mise en voix, ils ont pris conscience que cela demandait du travail. Nous avons pu repérer les différentes étapes de l’atelier d’écriture préconisées par les travaux de D. Bucheton (5) : le premier jet, la réécriture, les lectures croisées pour ensuite réviser le texte, la mise en valeur du texte. Ainsi, les élèves ont pu faire progresser leurs écrits, en « épaissir les significations ». En termes d’apprentissages, cet atelier a fait évoluer les représentations des élèves sur l’écriture : pourquoi choisir ce mot ? comment construire les phrases pour suggérer quelque chose ?. Ils ont également pris conscience qu’un texte s’élabore et peut être retravaillé maintes et maintes fois. Le domaine 1 du socle (6) est ainsi pleinement sollicité.

Du point de vue musical, les élèves ont pris conscience que la musique n’était pas seulement un fond sonore. Accompagnés par Marc Nammour, ils ont dû rapper une phrase en utilisant différents flows  et se sont initiés à la façon de garder une trace du flow choisi. C’était à la fois un travail musical, vocal et d’écriture. Ils ont revu en acte les notions de tempo, temps fort, temps faible et contretemps. Là encore, le rôle du travail s’est imposé. Marc Nammour a beaucoup insisté sur le fait que ce n’était pas une question de talent ou de don inné mais une activité qui se construisait par de nombreux essais et de la ténacité. Soulignons à nouveau le lien avec le socle commun, en particulier le domaine 1 et sa composante 4 (8).  



Au moment où nous cherchons à conclure cet article, nous avons le sentiment que ce projet a été marquant pour nos élèves et pas seulement parce qu’ils ont vécu des moments forts lors des spectacles et des rencontres avec les artistes. En effet, nous notons de véritables apprentissages, des représentations qui évoluent et se réorganisent. Nous gageons que, pour certains des élèves, l’analyse de ce parcours lors de l’oral de fin de 3ème sera l’occasion de mettre en valeur ces déplacements de pensée et ces nouvelles connaissances culturelles et artistiques.
 
Kenza Ben Bella, enseignante d’Éducation musicale.
Sophie Chevalier-Molinier, enseignante de Lettres Modernes et formatrice académique pour l’Éducation Prioritaire.


bibliographie :
(1)  https://www.education.gouv.fr/l-education-artistique-et-culturelle-7496
(2)  Périer, P., École et familles populaires : Sociologie d'un différend., Presses Universitaires de Rennes, 2005.
(3)  Domaine 5 : Les représentations du monde et l’activité humaine. Compétence : interpréter des textes et des œuvres.
(4)  Domaine 3 : La formation de la personne et du citoyen. Compétence : maîtriser l’expression de sa sensibilité et de ses opinions, respecter celles des autres.
(5)  Bucheton, D., Refonder l’enseignement de l’écriture, Retz, 2014.
(6)  Domaine 1 : Les langages pour penser et communiquer. Compétence : écrire.
(7)  Flow : flux, rythme avec lequel le rappeur débite les paroles.
(8)  Domaine 1 : Les langages pour penser et communiquer. Compétence : Pratiquer les arts en mobilisant divers langages artistiques et leurs ressources expressives.

 

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