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les usages numériques des élèves allophones issus de l'immigration récente

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Résumé d'un article intitulé "Les usages numériques éducatifs des élèves allophones issus de l’immigration récente : une étude exploratoire", rédigé par Simon Collin, Hamid Saffari, Jacob Kamta de l'université du Québec à Montréal, publié dans La Revue canadienne de l'apprentissage et de la technologie, volume 41, hiver 2015.

Contexte

Dans un effort de distanciation à l’égard du discours fortement idéologique des "natifs du numérique", figure idéalisée d’une jeunesse technophile, qui se serait départie des générations précédentes en se réinventant grâce au numérique, notamment dans leurs manières d’apprendre, ce qui a été démenti dans de nombreuses études empiriques, les trois auteurs positionnent leur étude dans une approche sociocritique du numérique qui repose sur deux points principaux :

  • elle consiste à situer l’objet d’étude dans son contexte social et historique, sur l'idée qu’aucun objet d’étude n'est neutre ;

  • elle vise à dévoiler les intérêts qui peuvent influencer la manière dont est appréhendé un objet d'étude, ainsi que les tensions qui peuvent survenir entre différents groupes d'individus, qu’ils soient politiques, économiques, sociaux ou autre, si leurs intérêts divergent.


Cette approche ne se limite pas aux usages numériques éducatifs formels, tels qu’ils sont proposés aux élèves en salle de classe et majoritairement étudiés par les approches didactique et psychopédagogique. Elle prend en considération les usages numériques éducatifs allant du formel à l’informel de manière transcontextuelle (c’est-à-dire à travers les contextes scolaire et extrascolaire) et en rapport avec les usages numériques non éducatifs (p. ex., les usages ludiques et relationnels, etc.). 

Pourquoi s’intéresser aux usages numériques éducatifs
des élèves allophones issus de l’immigration récente ?


  • Le premier argument évoqué renvoie à l’augmentation du phénomène migratoire sur le plan international, ce qui entraîne, par ricochet, un accroissement du nombre d’élèves issus de l’immigration récente dans les systèmes éducatifs nationaux. Ainsi, le nombre d’élèves n’ayant pas le français ou l’anglais comme langue première est en constante augmentation sur l’île de Montréal. En 2012 par exemple, la proportion de ce profil d’élèves était de 42,19%, comparativement à 36,90% et 20,91% pour les francophones et les anglophones, respectivement.


  • Corolairement à ce premier argument, le numérique est de plus en plus considéré comme partie prenante du processus migratoire (Diminescu, 2005), tant il facilite le maintien des contacts des migrants avec leur société d’origine et soutient leur intégration dans la société d’accueil. (Cf. schéma ci-dessous)

Objectif de cette étude exploratoire

Il ne s’agit pas de documenter la manière dont le numérique est intégré en classe (ce qui équivaudrait davantage à une approche didactique ou psychopédagogique du numérique), mais plutôt le rapport que les élèves allophones issus de l’immigration récente entretiennent à l’égard du numérique, et leur plus ou moins grande disposition à le mettre au service de leur intégration linguistique et scolaire.

Mieux comprendre les usages numériques éducatifs des élèves allophones issus de l’immigration récente représente une première étape exploratoire permettant de renseigner le rôle éventuel que le numérique est susceptible de jouer à l’égard de l’intégration linguistique et scolaire de ce profil d’élèves.


Méthodologie

L'échantillon est constitué de 12 classes d’accueil de l'île de Montréal. Au Québec, les classes d’accueil sont destinées aux élèves allophones qui ont récemment immigré. D’une durée de 8 mois environ, elles visent à développer chez les élèves des compétences en français afin de faciliter leur intégration en classe ordinaire. Au total, 236 élèves (104 au niveau primaire; 132 au niveau secondaire) ont été sondés.

Collecte des données

Les données ont été recueillies de mai à juin 2013 au moyen d’un laboratoire mobile composé de quatre ordinateurs portables équipés d’un logiciel de capture écran et d’une borne wifi. Le laboratoire mobile était installé par l’équipe de recherche dans un local des écoles participantes (habituellement la bibliothèque) et avait pour but de recueillir à la fois les pratiques déclarées (au moyen d’un questionnaire en ligne) et les pratiques effectives (au moyen d’une expérimentation sur ordinateur enregistrée par un logiciel de capture vidéo d’écran) des élèves au sujet de leurs usages et compétences numériques. Les élèves participants étaient retirés de leur classe par groupe de quatre de façon à disposer chacun d’un ordinateur portable lors de la collecte de données.

Résultats

Aperçu quantitatif
 

 
La majorité des élèves (67,3 %) rapporte se connecter à Internet tous les jours, principalement à partir de leur chambre (61,7 %). Dans des proportions relativement similaires, les élèves interrogés utilisent Internet depuis l’âge de 7 ans ou avant (32,6 %) ou depuis l’âge de 10 à 16 ans (38,4 %). Ces résultats dénotent une certaine disparité entre les élèves en termes d’expérience avec Internet. Cette disparité est également visible à travers le nombre de technologies utilisées hebdomadairement par les élèves, qui varie de 0 à 3 chez 23,7 % des élèves et de 6 à 8 chez 31,9 % des élèves. Toutefois, la majorité d’élèves, soit 74,8 %, ont rapporté avoir un bon sentiment de compétence numérique. 

Aperçu qualitatif

 
Trois types d’usages numériques ressortent : les usages ludiques, relationnels et éducatifs.

 
  • Usages ludiques. Les usages ludiques sont les plus représentés et occupent 46 % de la totalité des usages. Le visionnement des vidéos en ligne, principalement sur YouTube, et des chaînes de télévision en ligne, représente 48,2 % des usages ludiques. Les jeux en ligne viennent en second, avec 37,6 % des usages ludiques. L’écoute ou le téléchargement de la musique et le visionnage ou partage de photos viennent en troisième et quatrième position, respectivement avec 9,4 % et 4,7 % des usages. Sur le plan effectif, les apprenants font preuve d’un intérêt certain à l’égard des usages ludiques du numérique, ce qui transparaît notamment à travers le fait qu’ils profitent de la moindre occasion pour visionner une vidéo, jouer en ligne ou partager leurs vidéos ou jeux préférés avec leurs camarades et les chercheurs. 
 
  • Usages relationnels. Les usages relationnels constituent le deuxième type d’usage le plus représenté dans l’analyse de contenu, avec 29 % des usages numériques totaux des élèves. 
 
  • Usages éducatifs. Les usages éducatifs sont le troisième et dernier type d’usage rapporté par les élèves. Ils représentent 24 % des usages numériques totaux des élèves. Trois types d'usages éducatifs émergent de l’analyse de contenu :
  1. Usages numériques éducatifs en lien avec l’intégration linguistique. Ils représentent les usages qui soutiennent l’apprentissage du français par les élèves (rappelons que ces derniers sont allophones). À lui seul, le code « Vérifier l’orthographe ou chercher la définition des mots » représente à la fois la quasi-totalité de cette catégorie et une grande partie des usages numériques éducatifs totaux, avec 61,1 % des codes qui lui sont associés. Cet usage se matérialise dans les pratiques des élèves, soit en recourant à Google, dans lequel la suggestion prédictive des mots-clefs est mise à profit par les élèves pour identifier l’orthographe des mots, soit à l’aide d’outils spécialisés tels qu’un dictionnaire ou un traducteur en ligne. De façon exceptionnelle, 1% des élèves rapportent également utiliser Internet pour faire des exercices de français en ligne.
  2. Usages numériques éducatifs en lien avec l’intégration scolaire. Ils renvoient aux usages qui soutiennent les apprentissages scolaires. Ainsi, le code « faire des devoirs pour l’école » représente 28,2 % des codes totaux des usages numériques éducatifs. Plus précisément, les élèves rapportent faire des recherches en ligne ou bien utiliser des logiciels bureautiques (principalement la suite Microsoft Office) pour réaliser les exercices et les devoirs qui leur ont été donnés par l’enseignant ou bien pour préparer les présentations qu’ils doivent faire en classe. Il est intéressant de noter que, d’après les déclarations des élèves, cette catégorie d’usages numériques éducatifs est presque toujours réalisée à la demande des enseignants plutôt qu’à l’initiative des élèves.
  1. Usages numériques éducatifs informels. Ils renvoient aux usages que les élèves réalisent sans intention éducative à priori, mais qui peuvent potentiellement donner lieu à des apprentissages. Les usages éducatifs informels représentent 19,4 % des usages éducatifs totaux. Ils consistent essentiellement à chercher des informations factuelles par curiosité, par exemple dans une encyclopédie en ligne comme Wikipédia, à se tenir informé de ses centres d’intérêt personnel, par exemple dans un blogue, ou encore à lire les nouvelles ou les magazines en ligne.

Aperçu de la compétence numérique des élèves allophones
issus de l’immigration récente

La deuxième phase de l’expérimentation sur ordinateur a permis d’observer trois aspects de la compétence numérique des élèves :
  1. leur habileté à manipuler l’ordinateur,
  2. leur habileté à naviguer sur Internet,
  3. leur habileté à rechercher de l’information.
 
  1. Habileté à manipuler l’ordinateur. C'est l’aspect de la compétence numérique pour lequel a été constaté le plus de variation entre les élèves. À titre d’exemple, l’analyse de contenu a révélé que 9 % des élèves ne savent pas comment copier-coller, et que 11 % savent le faire, soit en utilisant le clic droit de la souris, en glissant et déposant (drag-and-drop) le contenu préalablement sélectionné ou en utilisant les raccourcis-clavier. Les élèves restants (80 % de notre échantillon) sont capables de copier-coller en utilisant uniquement le clic droit de la souris. 
  2. Habileté à naviguer sur Internet. L’analyse de contenu a révélé que 6 % des élèves semblent être peu familiers avec la navigation sur Internet, ce qui se manifeste par le fait qu’ils ouvrent systématiquement une nouvelle fenêtre pour lancer une nouvelle recherche, plutôt que d’ouvrir un nouvel onglet ou de revenir à la page précédente afin de ne pas multiplier les fenêtres. 94 % des élèves semblent avoir d’excellentes habiletés à naviguer en ligne, alors que 95 % semblent être à l’aise avec les moteurs de recherche et la navigation à l’intérieur des sites Web. Google est le moteur de recherche le plus utilisé pour naviguer sur Internet, et les élèves y sont visiblement familiers : ils sont 93 % à sélectionner les suggestions prédictives de cet outil lorsqu’ils tapent leurs mots-clefs, pour des gains de temps et d’exactitude.
  3. Habileté à rechercher de l’information. L’habileté à rechercher de l’information a principalement été analysée en rapport avec les informations que les élèves devaient trouver au sujet de la capoeira (voir section Instructions et déroulement de la collecte de données). D’une manière générale, 73 % des élèves réussissent à trouver les informations demandées, et ces dernières sont pertinentes dans la mesure où elles répondent effectivement aux besoins d’informations stipulés par les chercheurs. En revanche, le processus de recherche semble être imprécis ou hasardeux dans la majorité des cas, ce que nous expliquons par une cumulation de trois raisons possibles : 1) les mots-clefs utilisés pour la recherche sont imprécis pour 66,6 % des élèves. 2) en outre, l’aisance des élèves à rechercher de l’information semble se limiter à quelques sites Web (p. ex., YouTube) ou moteur de recherche (p. ex., Google) avec lesquels ils sont déjà familiers. En revanche, leur recherche devient nettement plus hasardeuse et approximative dès lors qu’ils doivent rechercher une information à l’intérieur d’un site Web inconnu. 3) l’analyse de contenu vidéo permet d’observer que le processus de recherche mené par les élèves n’est pas approfondi. À titre d’exemple, les pages Web visitées sont brièvement survolées mais peu lues, ce qui laisse peu le temps d’évaluer la pertinence du contenu pour l’information recherchée. De plus, 69 % des élèves cliquent systématiquement sur le premier résultat que propose Google, après quoi 98 % d’entre eux ne retournent pas à la page initiale des résultats présentée par Google. Le processus de recherche est donc à la fois court et linéaire, ce qui restreint l’exposition des élèves à des informations éventuellement pertinentes. 
 
Conclusion

 
On peut retenir de cette étude que les usages numériques éducatifs sont présents, mais qu’ils sont nettement secondaires par rapport aux usages non éducatifs (c’est-à-dire, ludiques et relationnels). À hauteur de 24 % du total des usages numériques des élèves observés, ils consistent essentiellement à vérifier l’orthographe ou la définition des mots ou à faire des devoirs, ce dernier usage étant, aux dires des élèves, majoritairement exigé par l’enseignant plutôt qu’à leur initiative. Il s’agit donc majoritairement d’usages éducatifs formels. Peuvent s’ajouter des usages éducatifs informels, tels que la recherche d’informations factuelles par curiosité ou la poursuite d’intérêts personnels, bien qu’il soit difficile de déterminer si (et jusqu’à quel degré) les élèves saisissent ce type d’usages numériques comme des opportunités d’apprentissage ou non. Les usages numériques éducatifs relevés dans cette étude se distinguent des usages non éducatifs en ceci qu’ils sont moins spontanément indiqués par les élèves. Par conséquent, ils apparaissent davantage dans les propos des élèves que dans leurs pratiques effectives sur les ordinateurs, et davantage à la demande des chercheurs, une fois que les usages numériques relationnels et ludiques ont été épuisés.

Il ressort également que parmi les trois habiletés identifiées lors du codage (manipuler l’ordinateur, naviguer sur Internet et rechercher de l’information), la manipulation de l’ordinateur est celle qui semble être le moins maîtrisée chez les élèves. À l’inverse, naviguer sur Internet est la compétence qui semble la mieux maîtrisée par les élèves. L’habileté à rechercher de l’information, pour sa part, apparaît inégalement maîtrisée : la pertinence des informations trouvées semble au moins autant attribuable, si ce n’est plus, à la performance des outils utilisés (en l’occurrence, Google), qu’à l’habileté des élèves à les exploiter correctement. Les élèves sondés démontrent donc une compétence numérique inégale.

Il est possible de penser que le potentiel du numérique pour soutenir l’intégration linguistique et scolaire des élèves allophones issus de l’immigration récente n’est que partiellement actualisé au travers de leurs usages et de leur compétence numérique.

Ces résultats amènent les auteurs de l'étude à conclure sur deux considérations générales concernant les usages numériques éducatifs des élèves allophones issus de l’immigration récente.
 
  • En premier lieu, les usages numériques des élèves allophones issus de l’immigration récente au Québec ne semblent pas se distinguer de ceux des élèves non-immigrants. Outre une similitude en termes d’usages numériques, la compétence numérique inégale des élèves allophones issus de l’immigration récente est également rapportée dans plusieurs autres études empiriques sur les jeunes non-immigrants. Ainsi, Fluckiger et Bruillard (2008) rapportent que l’aisance avec laquelle les adolescents manipulent les logiciels les plus courants, comme le navigateur Web ou les logiciels de messagerie instantanée ne doit cependant pas faire illusion. Cette dextérité se double fréquemment d’une faible autonomie des élèves, d’un manque de conceptualisation et de compréhension des mécanismes informatiques et d’une très faible verbalisation des pratiques. 
 
  • En deuxième lieu, les résultats invitent à penser qu’il existe un clivage entre, d’une part, le rapport quotidien des élèves au numérique, et d’autre part, leurs usages éducatifs du numérique. En effet, les usages éducatifs observés sont présents, mais relativement peu intégrés aux usages numériques quotidiens des élèves et s’en distinguent de différentes manières : usages secondaires, ils apparaissent dans les propos des élèves plus que dans leurs pratiques effectives et sont, au moins pour certains d’entre eux, initiés par l’enseignant plus que par les élèves. Ce clivage apparent entre les usages non éducatifs et éducatifs a déjà été soulevé dans la littérature scientifique. il pourrait s'expliquer en termes de degré d’agentivité : les élèves, dans leurs usages non éducatifs, disposent de beaucoup d’autonomie et d’initiative, alors que les usages éducatifs sont généralement plus contraignants et orienteraient par conséquent un autre rapport au numérique. Ce dernier point amène les auteurs à penser que le plein engagement des élèves dans le développement d’un rapport éducatif positif au numérique ne peut se faire sans repenser les modalités scolaires, notamment le peu d'autonomie qu’elles accordent aux élèves dans la gestion de leurs apprentissages.
 
 

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