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des maux pour le dire

mis à jour le 09/09/2014


echanger dossier 11

Au collège Léo-Delibes de Fresnay-sur-Sarthe, comme dans beaucoup de collèges de France, aujourd'hui comme hier, mais peut-être davantage qu'hier, le personnel adulte constate des problèmes d'incivilités et de violences diverses entre élèves. Soutenues dans leur démarche par la direction de l'établissement, une enseignante et une assistante d'éducation se sont penchées sur la question et ont mis en place un projet d'éducation à la citoyenneté faisant appel à la vidéo.

mots clés : échanger, 6e, heure de vie de classe citoyenneté, vidéo


chaque rentrée scolaire, le règlement intérieur est lu, mais cette lecture, certes utile, faite en classe par le professeur principal aux élèves ne résout en aucune façon les comportements qui ne respectent pas les règles de vie en communauté. C'est en tout cas le constat amer qu'Élise Lemarié, professeure d'éducation musicale au collège depuis huit ans, et une assistante d'éducation, Élodie Delille, font chaque année. Y a-t-il une fatalité à la permanence des violences et des incivilités au sein et aux abords de l'établissement, ou peut-on agir, en particulier auprès des collégiens les plus jeunes ? L'enseignante et l'assistante d'éducation ont décidé de prendre le problème à bras-le-corps et se sont entretenues à ce sujet avec le principal adjoint, Monsieur Gruau : le cœur de la discussion a porté sur ce qui se passait dans l'établissement, qui mettait à mal l'art de vivre ensemble. Le manque de respect que les élèves avaient entre eux, les insultes qu'ils proféraient à l'encontre de leurs camarades, des comportements et des paroles inadaptés ne pouvaient qu'interpeller les adultes. De cette rencontre à trois, une problématique a émergé : qu'est-ce qu'on pourrait faire concrètement avec les élèves pour leur faire prendre conscience de dérapages verbaux ou physiques dont ils ne sont pas toujours conscients, quand ils ne les estiment pas légitimes ? Qu'est-ce qu'on pourrait mettre en œuvre pour briser cette spirale des comportements inadéquats, pour, en d'autres termes, éduquer les élèves à la citoyenneté ? Un temps scolaire a été ciblé comme cadre propice à la mise en place d'une action : l'heure de vie en classe. Ce dispositif intégré à l'emploi du temps des élèves depuis la rentrée 2002, dont l'organisation revient au professeur principal de la classe, est utilisé, dans ce collège, à des fins diverses et variées : gestion de conflits, remédiation disciplinaire, aide au(x) devoir(s), distribution de documents administratifs... En sixième, et dans une moindre mesure en cinquième, Élise Lemarié estime que le professeur principal est assez libre des actions qu'il inscrit dans ce temps scolaire, une fois qu'il a appris aux élèves à ranger leur cartable et à organiser leur emploi du temps. À partir de la quatrième, les contraintes sont plus fortes et l'heure de vie de classe répond prioritairement aux interrogations des élèves et de leur famille sur la question de l'orientation. Il est donc apparu évident que le dispositif était idéal à la mise en place d'un projet d'éducation à la citoyenneté pour les classes des niveaux de sixième et de cinquième, dans le cadre d'un apprentissage de la vie en collectivité.

Un constat confirmé d'incivilités

L'objectif affiché des parties prenantes du projet Mieux vivre ensemble était d'aboutir à une réalisation concrète. Élise Lemarié était l'an dernier responsable d'une classe de sixième. Élodie Delille s'est chargée de faire le lien avec les autres professeurs principaux. L'assistante d'éducation a d'abord réfléchi à des productions possibles et est passée dans chaque classe de sixième et de cinquième pour présenter le projet et les idées de création qu'elle avait listées. Chaque professeur principal des classes concernées était libre de retenir l'une des propositions, d'imprimer une touche personnelle au projet, ou de le refuser. Élise Lemarié et la classe mixte de vingt-quatre élèves dont elle était le professeur principal sont partis sur l'écriture d'un court métrage. Avant d'en arriver à l'étape de la création, les premières séances ont été communes aux classes de sixième et de cinquième : les délégués ont été chargés d'observer et de relever sur un tableau pendant une semaine tout ce qui était incivilités, moqueries, insultes, bagarres et mises à l'écart ; dans leur classe, d'abord, et dans le collège ensuite. À l'issue de la semaine d'observation, devant leurs camarades de classe, avec l'aide de l'assistante d'éducation, les délégués ont restitué, projetés sur un tableau, les résultats de leur enquête (voir annexe). Une discussion collective s'est engagée à partir du constat que les moqueries et les insultes l'emportaient sur les bagarres et les mises à l'écart.
En fin de séance, l'infirmière, qui est intervenue sur les conséquences de ces comportements et de ces actes, a apporté son point de vue de professionnelle de la santé. L'idée de questionner les parents sur la nature et la fréquence des incivilités à l'époque où ils étaient au collège et de mettre en parallèle la réalité d'aujourd'hui et leurs réponses était intéressante, mais elle a été abandonnée. La violence ne concerne pas que les camarades. Aussi, après ce détour par l'autre, le retour au je s'est opéré avec la distribution à chaque collégien des classes concernées par le projet d'un questionnaire anonyme intitulé vivre ensemble au collège (voir annexe). Récupérés par l'infirmière, les documents complétés ont été remis à un professeur de mathématiques qui a utilisé le support du projet pour faire travailler ses élèves sur le calcul des pourcentages. Au-delà de l'identification des actes et des paroles répréhensibles, il s'agissait bien de faire s'interroger chaque élève sur son positionnement par rapport à la violence et aux incivilités. Le graphique des résultats a été affiché en salle d'étude, à la vue de tous les collégiens. Les résultats ne contredisaient en rien les observations faites par les délégués. Que faire alors pour mettre à profit le constat d'un problème de vie en société résultant du croisement d'une phase d'observation et de l'analyse des résultats d'une enquête ? Chaque professeur principal pouvait prolonger ce projet. Une idée de réalisation d'un diaporama a été abandonnée ; une classe a réalisé des affiches qui, exposées en salle de permanence, ont été présentées au public pour la visite du collège, au moment de la journée portes ouvertes. Élise Lemarié, de son côté, avait un déroulé de poursuite de séquence en tête, bâti autour de l'image animée : faire réfléchir les élèves et débattre à partir de films avant d'écrire et de tourner une vidéo. Tout s'est fait sur une dizaine d'heures, le plus souvent sur le créneau de l'heure de vie de classe, le lundi en dernière heure. Le projet de la classe de sixième a débuté en décembre et s'est achevé fin mai. La réflexion des élèves a été mise en œuvre, tout au long de la séquence, à partir d'éléments concrets. Pour sensibiliser les collégiens, Élise Lemarié s'était fixé une ligne de conduite : pas de leçon de morale, pas de discours théorique.

En amont du tournage

Les élèves ont travaillé sur deux extraits de La Guerre des boutons de Christophe Barratier et sur un témoignage mis en ligne en 2011 sur You Tube, L'histoire de Jade. Le choix des films ne résultait pas du hasard. Pour Élise Lemarié, c'était deux façons différentes d'aborder le thème de la violence, à travers une fiction et une histoire vraie. Avec La Guerre des boutons qui a servi de déclencheur à la réflexion, les élèves ont été amenés à repérer deux types de violences, physique et verbale, caractéristiques des relations interpersonnelles conflictuelles, et invités à réagir à une phrase extraite du film : "J'ai mal à mon honneur !". Avec L'histoire de Jade, un autre objectif était visé : celui d'émouvoir les élèves. Le but a été atteint : Jade a été victime de violence morale, un type de violence qui laisse la victime très souvent dans le silence. La jeune fille a posté une vidéo pour témoigner de son mal-être. Elle se serait suicidée trois jours après avoir mis son message sur la Toile. "On ne s'imagine pas qu'avec des moqueries, on peut aller jusque-là", souligne l'une des élèves de la classe, bouleversée par le geste de désespoir d'une lycéenne de 17 ans. Chacune des séances de vidéo était suivie d'une réflexion individuelle et collective. Les thèmes abordés ont permis de lancer la dernière étape du projet sous la forme d'une problématique : comment pourrait-on faire pour dénoncer ce qui nous choque au travers d'une création artistique ? Les films étudiés l'ont été surtout pour le sujet qu'ils permettaient de traiter. Toutefois, la transmission du message par le biais de cartons à la fin du film du collège s'est inspirée du mode opératoire de L'histoire de Jade, à qui la vidéo a emprunté également le procédé de l'apostrophe sans parole et une musique dramatique qui va crescendo.

Du scénario...

Munie des autorisations sur le droit à l'image signées par les parents, la professeure principale a pu se lancer dans l'aventure filmique. Il a été décidé collectivement que la vidéo se composerait d'une succession de scènes muettes. Le message devait passer par les seules images. Mais avant de s'attaquer à la phase du tournage, sous la contrainte formelle d'une figure d'énonciation qui était aussi un choix d'esthétique, les élèves ont travaillé en petits groupes à l'écriture de scènes : chaque groupe traitait le sujet de son choix (vol, violence...) en lien avec le thème, mais la classe avait pour mission de balayer toutes les marques d'irrespect que l'on peut trouver à l'école. Trois à quatre séances d'écriture ont été nécessaires. Un groupe prenait en charge une ou deux scènes qui devaient être écrites comme si le "narrateur" ou le scénariste avait été témoin de ce qui se passait. Dans un premier temps, les élèves ont présenté des propositions sans se préoccuper des impératifs techniques du tournage. Élise Lemarié a dû imposer un cadre commun aux groupes pour qu'ils y rangent leurs idées : titrer la scène, indiquer le lieu et le moment du tournage, expliquer le déroulement de l'action ; qui joue ? Quels acteurs ? Quels figurants ? Quelles contraintes (matérielles) pour le tournage ? Le plus souvent, quelques lignes suffisaient pour développer l'idée. Les scènes conservées ont été d'abord celles qui se déroulaient dans des lieux accessibles au tournage : les couloirs qui sont le théâtre d'incivilités nombreuses, la cour de récréation, la salle d'art plastique qui a fait office de salle de classe banalisée. Des scènes ont été écartées pour des raisons techniques, car elles réclamaient trop de moyens humains ou matériels dans des endroits comme le réfectoire ou l'autobus que prennent les élèves le soir pour retourner chez eux. D'autres scènes n'ont pas été retenues, car elles étaient redondantes. Par manque de temps, il n'y a pas eu de story-board. Les choix de cadrage étaient décidés sur le lieu même du tournage. La totalité du film a été réalisée dans l'établissement, sans l'apport d'un intervenant professionnel, le lundi en dernière heure de la journée, à l'exception de deux scènes tournées au moment de la récréation.
 

... au tournage

Avec l'appareil photographique du collège en mode caméra, la réalisation a été assurée par la professeure, qui s'est appuyée sur sa sensibilité artistique pour se lancer dans cette première expérience filmique. Tous les élèves ont joué un rôle de personnage ou de figurant. Élise Lemarié s'est occupée également du montage sur le logiciel gratuit du système d'exploitation Microsoft Windows et de la postproduction: l'ajout de la musique, des transitions avec des titres. "On avait imaginé de tourner les scènes d'irrespect d'abord, et de passer de l'autre côté du miroir ensuite (voir annexe), avec la résolution du problème : comment ça serait si le respect était présent. Dans une des scènes, qui n'a pas été tournée, un élève demandait au professeur d'intervenir en faveur d'un collégien mis à l'écart", explique l'enseignante. Élise Lemarié voulait que le film soit bouclé avant les grandes vacances, ce qui explique la réduction de l'ambition. "On a réfléchi au titre - le choix s'est arrêté sur Des maux pour le dire - et à ce qu'on pourrait mettre en avant à la fin du film et sous quelle forme. Il fallait amener le public à s'interroger après le générique de fin sur ce qu'est vivre ensemble, ne pas se contenter de filmer des scènes d'irrespect. Du film, devait se dégager une ouverture morale. À cet effet, le passage à la couleur, dans la dernière scène, est une marque d'espoir", ajoute Élise Lemarié. Pour les élèves, il s'est révélé plus difficile de jouer que d'écrire. Les plans ont d'ailleurs été retournés, après visionnage des premiers essais, pour un manque de concentration ou d'expressivité des acteurs, un jeu trop rapide qui parasitait le message, des erreurs de positionnement d'objets dans le décor. Le style muet imposait un jeu exagéré pour lequel il était difficile de garder son sérieux. La décision du plan à conserver était collective : les rushes tournés étaient proposés à l'appréciation de la classe et le meilleur plan gardé. Des choix de montage avec inversion de l'apparition d'un personnage ont été soumis aux élèves et se sont imposés après le tournage. Au fil de l'avancée du film, avec l'échéance de la fin de l'année scolaire, le jeu s'est amélioré, des automatismes ont été pris avec l'habitude. Le film en entier a été vu plusieurs fois, afin d'en gommer des défauts qui auraient été trop visibles, avant qu'une version définitive ne soit validée par la classe.



Et après ?

Élise Lemarié regrette de ne pas avoir organisé une projection du court métrage à l'intention des parents et de tous les élèves de l'établissement. Toutefois, elle envisage une diffusion du film à partir du site du collège, avec l'aide du responsable informatique, et de mettre en ligne le court métrage sur des sites web d'hébergement, de visionnage et de partage. Les enseignants et les membres du conseil d'administration ont vu le produit fini et il est laissé à la disposition des collègues d'Élise Lemarié comme outil pédagogique : la réflexion pourrait aujourd'hui s'engager avec les professeurs principaux à partir du court métrage. L'enseignante a d'abord mesuré la portée du projet sur la classe de sixième dont elle était professeure principale. La maturité était là. L'équipe pédagogique s'accordait pour parler d'un groupe autonome, seuls quelques collégiens se démarquant du portrait élogieux dressé pour la classe. Mais il n'y a pas un élève qui ne se soit pas senti concerné par le projet, les moins scolaires étant ceux qui se sont investis le plus dans la phase du tournage comme acteurs. Difficile cependant de mesurer l'impact sur le comportement d'une classe sans problèmes. Néanmoins, Élise Lemarié, qui a retrouvé les élèves cette année en cours d'éducation musicale, les trouve mûris, plus posés, et juge le climat du collège plus sain, impression que confirment les collégiens. La professeure s'est aussi interrogée sur la valeur ajoutée d'un projet faisant appel à la vidéo ; la réalisation du film a-t-elle été un élément de valorisation pour la classe, déconnecté de l'objectif initial, ou la dimension ludique de la production de fin de séquence a-t-elle rendu service au projet de "Mieux vivre ensemble ?" Selon Élise Lemarié, la capacité de réflexion des élèves a été aiguisée aussi bien par les activités d'analyse des films que de création : "D'un côté, l'interrogation porte sur ce qu'ils ont compris du film, sur les raisons qui font que ça les touche. D'un autre côté, ils réfléchissent aux moyens qui sont à leur disposition pour faire ressentir une émotion, pour que le message passe". Pour faire en sorte qu'on vive mieux dans le collège et responsabiliser les jeunes, les deux étapes de lecture et d'écriture ont été complémentaires. Élise Lemarié ne dissocie pas les deux phases, n'attribue pas la palme de l'efficacité à l'une davantage qu'à l'autre. Le dérushage des scènes tournées a permis de ne pas perdre le fil. Derrière l'outil ludique, la classe cherchait à être efficace pour transmettre le message. Le départ du collège de l'assistante d'éducation, la mutation du principal adjoint et le congé maternité à venir de l'enseignante font qu'il n'est pas prévu de réactiver l'expérience cette année, mais Élise Lemarié envisage de reprendre le projet dès son retour au collège, si les circonstances s'y prêtent, sous une forme artistique ou sous une autre forme. Si elle repart comme elle le souhaite sur un projet vidéo, elle a dans l'idée de consacrer davantage de temps au film, de tourner plus de scènes, devant le collège en particulier où il se passe beaucoup de choses. Elle parle d'un partenariat avec un intervenant professionnel, d'un travail scénaristique développé autour d'un film dialogué, d'une histoire complète à la place d'un film à sketches... Élise Lemarié présuppose que la professionnalisation du dispositif filmique rendra plus efficace son projet d'éducation au respect.
 
auteur(s) :

J. Jauze

contributeur(s) :

Mme Lemarié, Adèle, Lisa, Léa, Malaurie, Killian, Collège Léo-Delibes et école primaire, Fresnay-sur-Sarthe

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information(s) technique(s) : pdf

taille : 248 Ko ;

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