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feed the beast ou le roman de Mély-Mulot

mis à jour le 01/06/2012


echanger dossier 4

La mise en œuvre des EDE est une aventure inédite pour les élèves comme pour les enseignants. Comment croiser domaines et disciplines, en partant des connaissances des adolescents pour les emmener à comprendre le monde comme l'école ? Les Desperate Housewives n'étaient que la partie émergée d'un iceberg qui avait vaguement la forme d'un ice-cream...

mots clés : échanger, enseignement d'exploration, littérature et société, séries télé, feuilleton, français, histoire-géographie


Un beau matin de janvier 2011, en arrivant au lycée, toute la communauté découvre un bien mystérieux message sur les différents écrans de télévision qui servent à l'affichage des informations et des événements de la vie de l'établissement : "Il s'appelle Laurent Mulot. / Elle s'appelle Pascale Mély. / Entre eux, pas de doute, c'est un vrai Mély Mulot.../ à découvrir au plus vite dans le premier épisode de notre feuilleton". Mystère, mystère... L'effet de surprise est réussi, incontestablement. Mais, disons-le, les enseignants du lycée avaient quelques indices complémentaires (voir annexe). C'est ainsi qu'a commencé l'enquête d'Échanger : un vrai feuilleton, avec son lot d'inconnu, de suspense et de retournements de situation. Remontons à la source.

Retour en arrière

En juin 2010, comme beaucoup d'enseignants, Anne Laurens, professeure de français, et Stéphane Bonmariage, enseignant d'histoire-géographie, se sont trouvés face à une montagne de questions lorsqu'il leur a fallu concevoir le projet de leur EDE littérature et société. Doutes, questions, sentiment d'avancer à vue ; ce n'est pas simple de créer de toutes pièces. Mais c'est aussi très stimulant, notent-ils aujourd'hui tous deux, surtout quand on constate que les choses fonctionnent, que les élèves s'investissent, qu'ils apprennent... Impossible de dresser un bilan complet en ce mois de janvier 2011, mais quoi qu'il en soit, leur aventure ne manque déjà pas d'intérêt. Outre le cadrage des textes officiels, un certain nombre de préalables ont guidé dès l'origine la conception de leur projet. La volonté, d'abord, de partir du vécu des adolescents, pour ensuite dépasser ce fonds commun, par l'analyse, la mise en perspective et l'enrichissement. Cultures, culture 1... c'est donc sur un questionnement constructif de la notion de "sous-produit" culturel que se fonde leur réflexion, mais aussi sur une certaine conception de l'apprentissage et de l'école. Tout est étudiable, mais tout dépend de la manière dont on l'aborde et ce qu'on en fait. Cette éducation au regard développe un esprit critique d'autant plus nécessaire que les adolescents sont grands dévoreurs de ces séries télé, dont la consommation a été décuplée par internet. La thématique de l'image de la femme est retenue, histoire d'allier l'esprit critique et une réflexion citoyenne fondée sur une analyse sociohistorique concrète. Autre point essentiel pour les deux enseignants : trouver une problématique donnant une place équivalente à leurs deux disciplines pour que les apports de l'une éclairent l'autre en permettant de faire avancer la réflexion commune. Il fallait que chacun s'y retrouve vraiment dans cette aventure collective, qui allait également permettre aux élèves de s'initier tranquillement aux méthodes de travail pratiquées en TPE (Travaux personnels encadrés).

Première remontée dans le temps

Ce qui est le cas dans notre histoire, puisque l'histoire, la géographie, la littérature apportent leurs lumières respectives pour éclairer de manière bien inattendue (pour les élèves) les proprettes dames de Desperate Housewives et leur univers, qui serviront de base au projet. Au final, donc, la problématique retenue est ainsi formulée : "La série télé : un produit littéraire, miroir de la société, héritage du roman-feuilleton". Le projet croise trois des domaines proposés par les textes : "images et langages : donner à voir, se faire entendre" ; "médias, information et communication : enjeux et perspectives" et enfin "regards sur l'autre et sur l'ailleurs". Dans un premier temps, les deux enseignants présentent sommairement le projet aux élèves. Qu'est-ce qu'un feuilleton ? Pour tous, il n'en existe que de télévisuels. Le fonds commun est incontestablement là ; sur les vingt-six élèves, vingt-cinq ont vu un ou plusieurs épisodes de Desperate Housewives. Les premières séances sont prises en charge par le professeur d'histoire-géographie. Globalement, la question est simple : comment ça marche, une série télé ? Et pourquoi ça marche comme ça ? Première étape vers une compréhension du "produit" qui implique de dépasser la fascination de groupie, ou l'allergie viscérale... Les élèves se répartissent par groupes, chacun ayant en charge une question (voir annexe). Le produit fini qu'ils ont à construire est une affiche synthétisant chaque réponse, qui servira à la réalisation d'une exposition au lycée et lors de la journée porte ouverte. En ce tout début d'année de seconde, l'enseignant accompagne soigneusement la recherche de ses élèves. Les ouvrages et sites où ils pourront trouver des réponses leur sont donnés, le professeur aide au besoin ; il a précisé ce qu'il attend sur un petit document fourni à chaque groupe. Les réponses amènent les élèves à prendre conscience que tout se tient : la technologie, mais aussi les réalités médiatique et sociale ou la logique économique. Rien n'est dû au hasard, finalement. L'approche comparatiste permet aussi d'aborder les points communs et les différences entre les États-Unis et la France. Les élèves découvrent la télévision et leurs séries fétiches d'un œil neuf ; séries et publicités sont étroitement liées dans l'objectif commun de "nourrir la bête" 2. Une chose est sûre, n'est bête dans cette affaire que celui qui ne sait pas à quelle sauce il est mangé. Eux commencent à décrypter le mécanisme. Et ce n'est qu'un début...


Deuxième remontée dans le temps

C'est là qu'intervient l'enseignante de français, prenant pour un temps la relève de son collègue. Les élèves apprennent alors que la série télé n'a rien inventé. Remontant un peu plus loin dans le temps, ils se retrouvent au XIXe siècle et découvrent, grâce à un diaporama, l'aventure du roman-feuilleton qui sauva la presse et vous est racontée en annexe. Passons les détails, tout cela est passionnant... et passionne ! Lorsque la professeure propose ensuite à ses élèves de s'y mettre à leur tour, ils sont plus qu'enthousiastes. À tel point qu'Anne Laurens change son fusil d'épaule. Au départ, elle n'avait l'intention que de leur faire construire le canevas de leur roman-feuilleton. Ce sera finalement un vrai roman, publié en un feuilleton de sept épisodes, écrit dans les règles de l'art du travail en équipe, diffusé de manière quasi professionnelle, qui va voir le jour. Après bien des épisodes mouvementés ! L'objectif essentiel de l'enseignante est de faire découvrir à ses élèves l'écriture sous contraintes (ce qui permettra aussi de faire le lien avec l'écriture "scolaire"...). Ils sont ainsi amenés à comprendre que certaines contraintes s'imposent d'elles-mêmes et ont fini par s'en donner d'autres très naturellement. À aucun moment, elles ne sont venues du professeur. Inhérentes à l'écriture du feuilleton comme au choix du groupe, elles n'ôtent rien au plaisir qu'on peut prendre à l'écriture. La règle de conduite de l'enseignante est donc simple : les laisser se débrouiller !

Le roman de Mély-Mulot

Écrire un feuilleton ? Bonne idée, allez-y ! Elle leur apporte quelques textes 3 qui pourront les aider dans leur projet, mais pour le reste, elle les laisse avancer seuls. Les questions viennent au fur et à mesure : Quel sera le public, quelle taille, quel découpage, quel mode de diffusion, quelle périodicité ? Aux questions pratiques succèdent des problèmes plus littéraires : détermination des personnages principaux, caractérisation, intrigue, structure temporelle, lieux, schéma et points de vue narratifs, registres... C'est aussi l'occasion de réinvestir des notions vues en cours de français. Pour l'heure, c'est le pool au complet (la classe) qui travaille ensemble. Les élèves trouvent là l'occasion de réinvestir un certain nombre de règles qu'ils ont découvertes dans leur enquête sur le fonctionnement des séries télé, comme la double nécessité d'une clôture et d'une relance pour chaque épisode. La question des mœurs d'une société donnée n'est pas oubliée, et la jeune Pascale Mély est bien une jeune fille de son époque. Quant au lourd secret que porte Laurent Mulot, on laissera le soin au lecteur avide de se reporter à l'annexe pour le découvrir... Une fois tout cela posé en théorie, le pool se subdivise pour écrire chaque épisode, assorti de la fameuse petite phrase apéritive qui s'affichera sur les écrans pour l'annoncer (voir annexe). Toutes les étapes du "produit" - de la conception à la diffusion en passant par la réalisation - sont ainsi accomplies par les élèves. Tous se prennent au jeu et même les moins littéraires étonnent leurs enseignants. Forts de cette expérience, vécue de l'intérieur, en créateurs, ils vont maintenant pouvoir retourner aux séries télévisées, le regard nettement plus armé. Feedera bien qui feedera le dernier !
 

Où il est question de pomme (entre autres)

La troisième phase de l'opération commence, au moment où nous rédigeons cet article. Le décryptage des séries s'oriente dans trois directions : c'est d'un triple point de vue littéraire, historique et sociogéographique que les élèves vont autopsier différentes séries. On se fait d'abord la main ensemble sur un épisode de la fameuse série Desperate Housewives. L'analyse du générique ne manque pas d'enseignements, à condition de connaître les références culturelles et artistiques qui s'y rattachent (voir annexe). Une fiche d'identité de la série est réalisée : catégorisation, thème, personnages principaux, lieux et décors... De quelle société Desperate Housewives est-elle le reflet ? L'enquête se poursuit avec l'enseignante de français. Les élèves procèdent à une analyse de l'architecture narrative et du système des personnages. Leur expérience d'auteurs et les connaissances acquises facilitent l'analyse d'une construction dont ils maîtrisent maintenant les contraintes. Avec le professeur d'histoire-géographie, c'est l'observation de la banlieue, telle qu'elle est montrée dans la série, qui va permettre une analyse sociogéographique du petit monde housewivesien (voir annexe). Les élèves sont maintenant prêts à être jetés dans le grand bain. Ils vont devoir présenter un épisode d'une série à leurs camarades, à l'aide d'un diaporama. C'est cette phase qui sera évaluée, en fonction entre autres des compétences élaborées collectivement.

Dans le grand bain, mais en sachant nager

L'idée était au départ de sélectionner les séries par périodes historiques. Tout comme Desperate Housewives, Ma sorcière bien aimée, Happy Days ou Dallas sont nettement le reflet d'une époque aussi bien que d'un milieu, et l'image de la femme qui s'en dégage ne manque pas d'intérêt. Mais cela s'est avéré impossible, compte tenu du nombre de séries qu'il fallait trouver (neuf au total) et du chevauchement temporel qu'il y avait souvent. Les enseignants proposent donc une classification par genres. Chaque groupe choisit un des deux titres d'un même genre (voir annexe). Internet propose des épisodes de toutes ces séries, aussi diverses sur le plan thématique qu'historique. Un questionnaire guide les recherches qui permettront l'élaboration du diaporama (voir annexe). Présentation du contexte et de la vision de la société véhiculée, de la série (par l'analyse du générique en particulier) avec l'histoire, les principaux personnages, et enfin de l'épisode choisi ; tous les travaux préalables sont réinvestis dans cette analyse. Chaque groupe aura ensuite deux heures pour présenter aux autres son diaporama avant la diffusion intégrale de l'épisode retenu. Au final, les élèves auront découvert dix séries différentes et du coup, la perspective sociohistorique peut se dessiner à partir des jalons que constituent les épisodes d'une production qui va des années soixante à nos jours. Au-delà des différences, on retrouve les caractéristiques communes à ce type de réalisations. uvres ou "produits", elles sont quoi qu'il en soit le miroir d'une société en évolution. Le domaine de "l'autre et l'ailleurs" n'est pas oublié non plus ; la comparaison de la réception de ces séries aux États-Unis et en Europe, notamment en France, permet une analyse qui prolonge le travail comparatiste mené autour de la banlieue et de la représentation de la société américaine. Dans le but d'approfondir la spécificité française, il était prévu l'intervention du scénariste d'une série française actuellement en cours de tournage. Mais le prix demandé - deux cent vingt euros plus les frais de transport - compromet cette rencontre qui était pourtant essentielle dans le projet des deux enseignants.

Mély-Mulot fait des petits

Pendant ce temps-là, la parution des épisodes du roman continue son petit bonhomme de chemin. Et l'urne présente au CDI se remplit (voir annexe). Les élèves lisent, à la bonne heure ! Ils prennent le temps de répondre, et se répandent en conseils de tous poils, ce qui ne manque pas d'amuser Anne Laurens : "C'est étonnant de lire tous les conseils d'écriture que les lecteurs nous donnent ! On dirait qu'on a des lecteurs avisés, exigeants et intransigeants... surtout avec le style. Une chose est certaine, ils ne sont pas dans mes classes "!. Quoi qu'il en soit, voilà un bien beau signe de la réussite de la diffusion du roman, qui rencontre un vrai lectorat, attentif et réactif. Voilà des élèves, souvent peu enclins à la lecture, qui deviennent, sans qu'on le leur demande, critiques littéraires d'un jour ! L'enseignante a saisi les remarques et a choisi de distribuer aux auteurs le document brut de décoffrage. L'interactivité se poursuit; les auteurs sont en train de peaufiner les réponses aux lecteurs, qui seront bientôt publiées... De la conception à la réception de l'œuvre, ils ont ainsi la vision de l'ensemble de la chaîne littéraire, effleurant ainsi un autre domaine de cet enseignement d'exploration : l'aventure du livre et de l'écrit. La dernière étape du projet permettra de mettre en perspective l'ensemble des activités menées en reprenant la problématique initiale : quel miroir de la société (et de son évolution) les séries offrent-elles ? déformant ou réaliste ? Et l'objet lui-même, au-delà de son contenu fictionnel, que nous apprend-il ? Quelle articulation entre le feuilleton papier et le feuilleton télé ? Et puis, ces séries ne sont-elles que des produits à caractère indirectement commercial ou bien ont-elles d'autres valeurs ?...

De la boulimie à la dégustation gastronomique...

Même s'il est encore trop tôt pour dresser un bilan complet, on aura compris, au regard de ce qui précède, la richesse d'un tel projet. Les deux enseignants restent attentifs et pragmatiques. L'adhésion est incontestablement là, les élèves ont acquis des connaissances et des compétences, mais certains aspects seront à améliorer, notamment pour ce qui concerne la trace écrite régulière. Outre l'énorme concertation qu'un tel projet demande, la question des intervenants extérieurs est loin d'être réglée. La mise en place des enseignements d'exploration ne s'est pas accompagnée du budget qui aurait permis de réaliser ce que préconisent les textes. Les professeurs aimeraient également développer une collaboration avec l'atelier vidéo-cinéma. Quoi qu'il en soit, si l'on reprend les compétences listées dans les textes officiels, on ne peut que constater leur mise en œuvre dans les différentes activités proposées : capacité à rechercher, à hiérarchiser et à exploiter les informations, à les synthétiser, à les traduire d'un langage à un autre pour les communiquer ; capacité à créer des analogies et à établir des liens ; capacité à argumenter et à convaincre ; capacité à porter une appréciation et à la justifier ; capacité à resituer un débat dans un contexte historique ou culturel ; capacité à négocier et à conduire un projet en équipe ; capacité à composer et à exposer des travaux, à inventer des formes originales pour les mettre en valeur... Si elles sont propres aux études littéraires, elles les dépassent dans la mesure où elles sont essentielles au développement d'un esprit critique appliqué aussi bien au monde dans lequel vivent les adolescents qu'à des domaines plus littéraires ou historicogéographiques. Quant aux séries télé, on peut sans trop s'engager parier que les auteurs de Mély-Mulot les dégusteront à l'avenir autrement que dans une aveugle boulimie, en consommateurs éclairés !

1. On pourra se reporter au numéro 2 hors série d'Échanger : Cultures, Culture, entièrement consacré à cette approche, comme on peut le lire dans l'éditorial : "L'idée de mettre l'élève au centre des apprentissages est parfois décriée dans le milieu éducatif, car elle est interprétée comme l'acceptation d'une certaine médiocrité et d'une limitation des savoirs et de la culture. Il n'en est rien. [...] La Culture se transmet coûte que coûte à travers tous les médias, et même à travers la télévision ou le MP3, car Elle est vivante, et si elle se nourrit d'un présent sans cesse renouvelé, encore faut-il qu'il résiste à l'aune de l'intemporel. Alors, l'enseignant ne se doit-il pas d'accoster aux deux rives s'il veut inviter ses élèves au voyage ?..."
2. Pour ce qui concerne la réflexion sur la culture de masse et sa diffusion, on pourra se reporter aux travaux de J.-F. Sirinelli.
3. Notamment un extrait de Saga, roman de Tonino Benacquista, et du Scénario, d'Anne Huet, Cahiers du cinéma-scérén.
 
auteur(s) :

D. Grégoire

contributeur(s) :

S. Bonmariage, A. Laurens, Lycée François-Truffaut, Challans [85]

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information(s) technique(s) : pdf

taille : 566 Ko ;

ressource(s) principale(s)

echanger dossier 4 enseignements d'exploration 14/05/2012
Depuis la rentrée 2010, les élèves de seconde choisissent, parmi ceux proposés par l'établissement, deux enseignements d'exploration d'un volume horaire total de trois heures hebdomadaires. Ceux-ci on ...
échanger, culture, orientation, enseignements d'exploration, autoévaluation

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