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l'histoire des arts investit le patrimoine local

mis à jour le 21/04/2011


echanger dossier 5

La coordination territoriale d'éducation au patrimoine de la Mayenne a pour mission d'aider les enseignants à exploiter au mieux les sites historiques remarquables du département. Sollicités par leur inspection, les professeurs, membres de cette petite unité, ont fait le choix de s'appuyer sur des documents et des démarches déjà finalisés pour proposer à leurs collègues des pistes pédagogiques correspondant aux exigences de l'enseignement de l'histoire des arts.

mots clés : échanger, histoire des arts, patrimoine local, théâtre gallo-romain, pratique théâtrale, peinture murale, Moyen Âge, Jublains (Mayenne), Neau (Mayenne), art religieux


Alain Viot et Élisabeth Poisson, professeurs d'histoire-géographie, respectivement au lycée Ambroise-Paré de Laval et au collège Volney de Craon, constituent à eux deux la coordination territoriale d'éducation au patrimoine. Cette structure, créée en 2004, est le résultat d'une convention passée entre le conseil général et l'inspection académique de la Mayenne. Elle a pour mission d'intervenir sur le pays d'art et d'histoire Coëvrons-Mayenne et aussi sur l'ensemble du département. La Mayenne est riche de nombreux sites qui permettent une approche historique qui va de la préhistoire à l'histoire contemporaine, en passant par l'époque gallo-romaine, le Moyen Âge ou le dix-neuvième siècle, et le développement des techniques industrielles.

Le théâtre antique de Jublains et les programmes d'enseignement

Alain Viot qui, depuis longtemps déjà, travaille sur le site gallo-romain de Jublains, a naturellement choisi de suggérer un éventail de pistes s'appuyant sur un riche corpus de documentation pédagogique, disponible pour tout enseignant ou élève sur le site du conseil général de la Mayenne. Élisabeth Poisson propose, elle, une problématique autour de l'église de Neau et ses peintures murales.
Pour le site de Jublains, Alain Viot propose de travailler autour du théâtre antique, en évitant de "monter une usine à gaz", et en mettant plutôt "en harmonie et en cohérence des démarches parallèles". Pour rappel, la cité gallo-romaine de Jublains (Noviodunum) a été fondée par les Romains, au début de notre ère, à l'emplacement d'un ancien sanctuaire gaulois, sur le territoire de la tribu gauloise des Diablintes. Le site conserve des ruines importantes de ses principaux monuments publics qui illustrent les divers aspects de la vie d'un chef-lieu de la Gaule romaine : théâtre, temple et thermes, ainsi qu'une énigmatique forteresse dont la fonction fait encore l'objet de débats. Dans la seconde moitié du premier siècle, un notable diablinte, Orgétorix, offre à sa cité un théâtre, édifié sur les pentes du plateau où s'étend la ville. Il sera remanié au deuxième siècle. C'est autour de ce théâtre antique que se développe un travail d'histoire des arts, en ciblant comme niveau d'enseignement la classe de sixième. En effet, le programme d'histoire de sixième invite à étudier le monde antique, notamment l'empire romain et les processus de romanisation, avec l'exemple de la Gaule. En français, c'est la sensibilisation aux langues anciennes, aux littératures et aux civilisations antiques, ainsi que l'approche théâtrale qui fait partie intégrante de l'enseignement. Si on y ajoute les trois axes majeurs du travail en arts plastiques (l'objet, l'image et l'espace) et l'éventualité d'une pratique théâtrale ou de mise en voix de textes, il n'est pas étonnant que le théâtre antique de Jublains devienne un point de cristallisation pour l'enseignement de l'histoire des arts en Mayenne. De plus, la proximité du site permet, avec un peu d'organisation, de favoriser une rencontre sensible des élèves avec une œuvre du patrimoine local.

Des textes latins dans un cadre et des costumes d'époque

Le cadre général de ce projet en histoire des arts est bien posé (voir annexe) en accord avec les instructions officielles des programmes 1. Pour l'instant, plusieurs problématiques cohabitent, portées par les différentes disciplines. Alain Viot préfère proposer des pistes. Mais c'est aux professeurs, dans chaque établissement, de choisir et de nouer une problématique générale. Par exemple, en histoire, une des propositions est "le mécénat, la romanisation et ses limites". En effet, le théâtre de Jublains est représentatif du goût des populations locales pour un mode de vie à la romaine (jeux, spectacles). De même, Orgetorix, le riche notable qui a financé la construction du théâtre (bel exemple de mécénat individuel), a veillé à faire connaître son nom et sa générosité en inscrivant une dédicace à plusieurs endroits du théâtre. Des fragments ont été retrouvés et sont exposés au musée archéologique du site. Toutefois, il sera intéressant de faire découvrir aux élèves que, plus d'un siècle après la conquête romaine, le mécène a conservé un nom de type gaulois, au lieu d'adopter le système des trois noms à la mode romaine. En français, ce théâtre peut être le lieu de mise en scène d'un texte théâtral en profitant du prêt, par le musée archéologique, de masques et de costumes réalisés à partir de modèles antiques. En arts plastiques, le professeur pourra alimenter un travail sur l'objet : fabrication, invention, détournement d'un objet, comme un masque ou un costume, ou une réflexion sur le musée lui-même : l'objet et son environnement au musée, sa présentation (voir annexe).

La "Journée théâtre à Jublains" : une opportunité

Annick Salinesi est professeur de français au collège Jules-Renard de Laval. Cette enseignante participe depuis des années à la "Journée théâtre à Jublains". Cette activité se déroule au printemps et s'adresse aux collégiens ou lycéens qui étudient le latin et/ou le grec. Chaque professeur participant prépare avec ses élèves une intervention théâtrale d'une dizaine de minutes, qui est jouée sur le site. La langue française est autorisée pour les débutants en langues anciennes. Le conseil général prend en charge les déplacements des élèves. S'y ajoutent des conférences, des expositions, des ateliers proposés par des intervenants extérieurs. C'est sa classe de sixième qu'Annick Salinesi emmène cette année à Jublains, dans le cadre d'une mise en œuvre de l'histoire des arts, en collaboration avec deux collègues d'histoire-géographie et d'EPS (éducation physique et sportive). Sa séquence "Drôles de jeux en scène : découvrir le théâtre, un spectacle vivant" propose d'étudier plusieurs textes théâtraux contemporains, de les mettre en scène, et d'adapter sous forme théâtrale Le Jugement de Paris d'Odile Gandon 2 en jouant notamment sur l'aspect parodique. Elle traite aussi l'espace théâtral, y compris dans ses aspects historiques (du théâtre antique, avec l'exemple de Jublains, au théâtre à l'italienne). Deux œuvres d'Annick Salinesi seront jouées par les élèves : l'adaptation théâtrale du Jugement de Paris, ainsi qu'un texte de Roland Dubillard, Les voisins. C'est pour la mise en scène de ce dernier qu'intervient le professeur d'EPS : en effet, il faut trouver une façon de matérialiser la présence d'un mur imaginaire entre deux groupes de personnages (par l'occupation de l'espace, par des postures corporelles ou gestuelles...). Ainsi, comme le soulignent les programmes du collège, l'EPS "contribue à sensibiliser les élèves à l'histoire des arts, principalement dans le domaine des arts du spectacle vivant". Au besoin, des masques seront réutilisés : ceux fabriqués une précédente année, à partir de modèles antiques, et mis à disposition par le musée archéologique. "Cette année, on expérimente, l'année prochaine on finalisera", reconnaît Annick Salinesi en pointant quelques difficultés : "il est difficile de trouver le temps de se concerter, de faire coïncider les progressions de chacun, de formaliser une problématique commune... Il nous faut aussi organiser le travail des élèves sur quatre années. Leur propose-t-on un classeur qu'ils garderont d'une année sur l'autre ? Comment éviter qu'ils perdent leurs documents ? Heureusement, on peut s'appuyer sur des projets qu'on avait déjà l'habitude de mener".
 
Représentation au théâtre antique

Représentation au théâtre antique
Masques réalisés par les élèves

Masques réalisés par les élèves
 

En cinquième : l'histoire de saint Vigor et du comte Bertulf, chevalier cupide

C'est à une autre rencontre sensible avec une œuvre du patrimoine local qu'invite Élisabeth Poisson dans le cadre d'un projet en histoire des arts dont la thématique générale est : "Que nous apprennent les peintures murales de Neau sur le sentiment religieux, la place de l'Église et l'art au treizième siècle ?". La démarche s'appuie sur trois types de supports : une église dont la construction débute au douzième siècle avec des remaniements jusqu'au dix-neuvième siècle ; des peintures murales du treizième siècle représentant le cycle de saint Vigor, évêque de Bayeux au sixième siècle, ainsi qu'une scène de résurrection des morts. Et enfin un texte : des extraits de la Vita Vigoris (Vie de Saint-Vigor), écrite au onzième siècle, et disponible dans le Bulletin de la société des antiquaires de Normandie. Comme son collègue de la coordination territoriale d'éducation au patrimoine, Élisabeth Poisson a choisi de "ne pas ajouter des contenus à ceux abordés habituellement en histoire en classe de cinquième, et de ne pas bouleverser la progression habituelle des enseignants". Il s'agit donc, là aussi, de traiter le programme tout en abordant l'histoire des arts (voir annexe). En accord avec les instructions officielles, les trois piliers sur lesquels doit s'appuyer une démarche d'histoire des arts sont placés. La période historique abordée est, naturellement, celle du programme de cinquième : du neuvième siècle à la fin du dix-septième. Les domaines artistiques traités sont, dans les arts de l'espace, l'architecture ; dans les arts du langage : la littérature écrite ; dans les arts du visuel : la peinture. Et enfin, la thématique retenue est : "art, mythe et religion" et plus particulièrement "L'œuvre d'art et le sacré : les sources religieuses de l'inspiration artistique".


Mettre l'accent sur la symbolique des images

En histoire, Élisabeth Poisson se propose de mettre particulièrement l'accent sur la charge symbolique de ces peintures murales. Plusieurs scènes représentent la lutte entre le bien et le mal : saint Vigor contre Bertulf, incarnation de la cupidité, ou saint Vigor triomphant du dragon, symbole du mal. D'autres évoquent les moyens d'obtenir le salut : prédication de saint Vigor, baptême, scène de résurrection des morts présidée par un Christ en gloire. En réponse à la problématique posée, il s'agira de faire découvrir aux élèves que ces fresques démontrent que le christianisme est bien une religion du salut. Sous la responsabilité du professeur d'arts plastiques, Petra Doittée-Platzer, la symbolique des couleurs, des attributs, sera étudiée, ainsi que la gestuelle des personnages représentés (voir annexe). En français, plusieurs scénarii pédagogiques sont possibles. Par exemple, s'appuyer sur le texte racontant la vie de saint Vigor pour faire relever aux élèves les extraits dans les textes qui permettront de construire les dialogues entre les personnages des peintures murales. L'objectif est d'écrire les bulles correspondant aux différentes images sélectionnées. Ou bien, s'appuyer sur la scène de la chasse au dragon pour étudier les étapes d'un récit, et écrire un autre récit extraordinaire, situé au Moyen Âge, en respectant les étapes repérées en cours. En arts plastiques, les pistes sont nombreuses, aussi : travail sur la fonction narrative des fresques (le côté bande dessinée), sur l'archétype et ses déclinaisons (le dragon), sur la question de la technique de couverture d'une surface... En ce moment, dans le collège où travaille Élisabeth Poisson (collège Volney de Craon), l'heure est à l'organisation du déplacement des élèves vers l'œuvre, car, contrairement au site de Jublains, il n'y a pas pour Neau de prise en charge du transport... Or, pour ce projet, pas question de se passer d'un contact direct avec l'œuvre. L'équipe est aussi confrontée aux questions d'organisation du travail des élèves sur plusieurs années et dans plusieurs disciplines. Pour l'instant, c'est une gommette rouge placée en face des contenus, dans le cahier ou le classeur, qui signalise, dans chaque matière concernée, l'approche "histoire des arts"...

Et le socle commun ?

Les deux démarches décrites ci-dessus contribuent aussi à la validation du socle commun de connaissances et de compétences, notamment la compétence cinq : la culture humaniste qui repose sur la fréquentation des œuvres et des musées. Parmi les attendus de cette compétence : la capacité des élèves à situer, à la fois dans l'espace et dans le temps, une œuvre artistique ou patrimoniale, et à analyser et interpréter cette œuvre, notamment en la mettant en relation avec la situation politique, culturelle et sociale de l'époque de sa création. Autant d'objectifs qui sont au cœur des démarches proposées autour du théâtre gallo-romain de Jublains ou des peintures murales de l'église de Neau. Reste à peaufiner le cadre pédagogique, notamment par la concertation entre collègues des différentes disciplines concernées et en anticipant sur les progressions de chacun. Enfin, on voit bien comment l'existence de personnes-ressources, d'une documentation pédagogique riche, et la familiarité déjà acquise des professeurs avec les lieux ou les œuvres, favorisent la mise en place de l'enseignement de l'histoire des arts, en s'appuyant sur des pratiques existantes.

1. Bulletin officiel, n° 32 du 28 août 2008 : organisation de l'enseignement de l'histoire des arts à l'école primaire, au collège et au lycée.
2. Gandon (Odile), Dieux et Héros de l'Antiquité, Le Livre de poche jeunesse, 2004.
 
auteur(s) :

F. Lemarchant

contributeur(s) :

A. Viot, É. Poisson, A. Salinesi, Coordination territoriale d’éducation au patrimoine de la Mayenne [53]

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information(s) technique(s) : pdf

taille : 488 Ko ;

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