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la médiation par les pairs, une réponse aux conflits

mis à jour le 20/02/2014


echanger dossier 11

Depuis de nombreuses années (année scolaire 2006/2007), l'école du Val de Bootz de Laval a mis en place la médiation scolaire entre pairs pour améliorer les relations entre les élèves au sein de l'établissement. Formation des adultes, formation des élèves, organisation et outils spécifiques... comment tout cela fonctionne-t-il ?

mots clés : échanger, école primaire, conflit, citoyenneté, médiation, langage


omme tout établissement scolaire, cette école primaire a été confrontée aux difficultés à faire vivre ensemble tous ses élèves. Les violences physiques et verbales sont en effet insupportables dans tous les espaces scolaires, mais aussi gestes d'incivilité, tensions, malaises qui perturbent et empêchent d'être disponible aux apprentissages. Une réflexion a été menée et l'école a mis en place un conseil d'école enfants, des articulations entre le scolaire et le périscolaire. Mais lors de la rédaction du nouveau projet d'établissement en 2006 et à partir du bilan des années précédentes, les enseignants ont ressenti le besoin d'aller plus loin, d'approfondir leur réflexion et d'expérimenter des dispositifs plus efficaces. En tant qu'école d'application, recevant de nombreux stagiaires, l'équipe se trouve naturellement questionnée par de futurs enseignants sur la gestion des élèves perturbateurs. Il n'est pas toujours facile pour les adultes de comprendre ce qui se passe réellement quand il y a conflit, on ne voit souvent que le geste violent qui a parfois été instillé de façon moins visible par des élèves apparemment au-delà de tout soupçon... Les sanctions, si elles sont nécessaires, ne sont pas toujours adaptées ni efficaces. Et la gravité accordée aux problèmes n'est pas ressentie de la même façon par un adulte et par un jeune. Comment affronter toutes ces situations ?

Une formation pour tous

En 2006, l'occasion se présente sous la forme d'un appel à projet sur la prévention de la violence émanant du GRSP (Groupe régional de la santé publique) qui propose de financer des projets qui seront acceptés après validation. La direction de la médecine scolaire de l'inspection académique, contactée par la directrice, lui propose la médiation par les pairs et la met en contact avec l'association "Génération médiateurs". Les objectifs et les méthodes de cette association semblent correspondre aux attentes de l'équipe, alors un dossier est monté pour financer d'abord une formation. Celle-ci est inscrite au plan départemental pour que l'établissement puisse bénéficier d'enseignants remplaçants. La mairie accepte également de remplacer ses personnels, car c'est toute l'équipe éducative qui est concernée : enseignants, animateurs périscolaires, Atsem, EVS... On y inclura même quelques parents, membres du conseil d'école. Ces trois jours de "Formation à la régulation positive des conflits et médiation par les pairs" sont assurés par l'association (voir annexe). Les adultes découvrent alors et expérimentent les outils de formation qu'ils utiliseront ensuite pour former les élèves qui deviendront médiateurs. Ils sont mis en situation de vivre à leur niveau ce qu'ils exigeront ensuite des élèves : connaissance de soi, communication, capacités d'écoute, compréhension des mécanismes des conflits... Il s'agira ensuite de mettre en œuvre ces acquis.

La mise en œuvre

La première année, on expérimente la démarche qui sera reconduite les années suivantes. Chaque enseignant de CE2 propose à ses élèves un "parcours citoyen" qui comprend environ quinze séances qui s'étendent du mois d'octobre au mois de mars. À l'aide d'exercices ludiques et d'outils concrets, les enseignants communiquent à leurs élèves le contenu des trois premiers points de leur formation : la connaissance de soi, la communication et l'écoute, puis la compréhension des mécanismes du conflit (voir annexe). Maintenant, les élèves ont même un cahier Mieux vivre ensemble, ainsi les familles peuvent mieux comprendre le travail qui est fait et même le poursuivre avec leurs enfants. La maîtrise de tous ces éléments est indispensable aux médiateurs pour résoudre les situations de conflit auxquelles ils seront confrontés. À la fin de ce parcours, on fait appel à des élèves volontaires pour assumer les fonctions de médiateurs sur la cour de récréation. Comme les candidats sont nombreux, certaines conditions sont alors édictées, comme la parité et le "non-cumul des mandats", déjà ! C'est-à-dire qu'on ne peut être à la fois médiateur, chargé de régler les problèmes entre élèves et délégué de classe, chargé des relations entre élèves et adultes. Les médiateurs doivent s'engager à assumer la fonction au moins sur une année. C'est d'ailleurs pour cette raison que ce parcours a lieu en CE2 et non en CM2. C'est une formation qui va être utilisée dans l'école pendant les deux années qui suivent. Les élèves retenus vont alors suivre une formation spécifique à l'apprentissage de la technique de la médiation pendant quatre à six séances. Ces séances ont lieu sur une heure de temps de cours. La directrice encadre les futurs médiateurs pendant que le reste de la classe suit un cours d'éducation civique.

Formation des médiateurs

La gestion de séances de médiation nécessite en effet l'apprentissage de techniques particulières. Lorsque deux élèves en conflit demandent une séance de médiation ou acceptent la proposition d'une intervention des médiateurs, alors seulement celle-ci peut avoir lieu, car elle ne peut pas être imposée. La séance se déroule selon un protocole précis, travaillé par les médiateurs. On commence par le rappel des règles inscrites dans la charte de la médiation (voir annexe), puis on travaille les quatre étapes de la médiation :
  1. Chacun des "médiés" est appelé à raconter les faits de son point de vue. Chacun est invité ensuite à exprimer ce qu'il a ressenti dans la situation difficile qu'il a vécue et à formuler les valeurs en jeu. "Que s'est-il passé ?... Comment t'es-tu senti ?".
  2. Un médiateur reformule les faits et les émotions ressenties pour que les deux parties s'y reconnaissent. "Si j'ai bien compris, il s'est passé... et tu as ressenti...".
  3. Les médiateurs leur demandent de dire de quoi ils auraient besoin pour retrouver la paix. Puis ils les invitent à proposer une solution, celle qui convient aux deux sans faire de perdants. Les médiateurs ne le feront qu'en cas de besoin. "Que souhaitez-vous ? De quoi avez-vous besoin ? Que proposez-vous ?".
  4. Une conclusion qui convient aux deux parties est retenue et un geste symbolique peut clore l'entretien : poignée de mains , excuses... "Est-ce que cette solution vous convient ? Merci pour cette rencontre et bravo !".
En résumé : "Je parle de moi, je parle de mes émotions et j'écoute l'autre. Je dis mes besoins. J'imagine des solutions, car il y a toujours des solutions".
On le voit, gérer de telles séances nécessite non seulement un apprentissage technique, mais aussi un accompagnement pour essayer de résoudre les différents conflits rencontrés ou les confrontations entre individus. Les médiateurs prennent leurs fonctions dès le mois de juin de la première année. Des séances de régulation leur permettront de perfectionner leur apprentissage.

La logistique

Pour que le projet puisse fonctionner, il faut mettre en place toute une organisation et un certain nombre d'outils. D'abord, comment savoir qui sont les médiateurs ? Comment les reconnaître sur la cour ? Sur un panneau d'affichage, on trouve la liste et la photo de tous les médiateurs ainsi que les jours et les lieux où ils sont en fonction. Et sur la cour, ils sont vite reconnaissables, car ils ont choisi d'arborer un gilet de sécurité fluo, plus visible qu'un simple brassard. Un lieu leur est aussi attribué pour exercer au calme leurs médiations, une salle proche de la salle des maîtres. La porte est ouverte, mais ils assument leur responsabilité en toute indépendance. Chaque année, on reprend la charte, rappelée au début de chaque séance de médiation, et on apporte les modifications nécessaires. Parfois, il y en a même eu deux, l'une pour les médiateurs, une autre pour les "médiés" ! Toutes les classes en ont connaissance en début d'année. À la fin de chaque séance, les médiateurs remplissent une fiche et la rangent dans un dossier différent selon que l'affaire est classée ou encore en cours (voir annexe). Ces fiches peuvent être utilisées lors des réunions de régulation au cours desquelles le groupe de médiateurs encadré par un adulte réfléchit aux difficultés rencontrées. Les adultes répondent aux questions, mais surtout, des jeux de rôles, mettant en scène les médiateurs et "médiés", sont fréquemment utilisés pour mieux comprendre les situations et trouver les démarches appropriées. Une grille d'observation de séance aide à juger de l'efficacité des médiateurs (voir annexe). Chacun propose sa solution. Des séances d'analyse de pratiques, en quelque sorte ! On peut même obtenir un diplôme de médiateur !
 

Les mots pour le dire

C'est précisément lors de ces séances de réflexions collectives que certains ont soulevé le problème du langage. En effet, au cours de la séance de médiation, les médiateurs demandent aux "médiés" d'exprimer leur ressenti. Or il n'est pas évident de trouver les mots pour exprimer ce qui relève d'un vécu très personnel, de l'émotion ou encore de trouver les mots un peu abstraits pour parler des valeurs en cause. Cette difficulté est d'autant plus grande que les élèves sont jeunes et relèvent parfois du CP. Un apprentissage s'impose donc. Dans chaque classe, on travaille le lexique des émotions, à l'aide du "Comment chat va ?" régulièrement pratiqué en classe. Les réponses étant si réduites, les élèves se sont peu à peu aidés du tableau des "têtes de chats", chacune exprimant une expression particulière illustrant le mot pour la dire (voir annexe). Si le tableau entier exprime trente-six émotions, en maternelle, les élèves commencent par choisir entre les sept "frimousses" affichées : joyeuse, effrayée, inquiète, fâchée, vilaine, étonnée, triste. Mais il faut toujours justifier son choix. "Moi, c'est la vilaine, parce que je préfère rester à la maison" ou "Je suis heureux parce que j'aime bien le travail qu'on fait !". Cet apprentissage est approfondi à l'aide d'albums comme Parfois je me sens... (Anthony Browne, éditions Kaléïdoscope). Chaque année, les médiateurs sélectionnent quelques mots de la liste et les collent sur quatre affiches : peur, colère, joie, tristesse (voir ci-dessous). Ils seront utiles pour aider les plus jeunes à exprimer leurs émotions ou pour leur proposer des reformulations. Lors des rencontres entre établissements, ces tableaux seront des sources d'échanges. Pendant le "parcours citoyen" les mots ne sont pas seulement répartis selon les quatre catégories mentionnées, mais aussi classés dans un ordre progressif du plus faible au plus fort pour chaque émotion. Cet outil, appelé "humeuromètre", permet à chacun d'évaluer son degré d'émotion par le mot qui convient (voir annexe). La connaissance de soi passe par la maîtrise de la langue, on se connaît et on se contrôle d'autant mieux qu'on peut mettre des mots sur ce qu'on ressent. Un autre travail est aussi mené sur le vocabulaire des qualités. Pour apprendre à regarder les camarades avec un œil positif, on demande de dire ce qu'ils ont de bien. Chacun choisit d'abord son camarade puis, dans un second temps... il est tiré au sort ! Les réponses se limitent, au début, à deux mots : joli, gentil. À l'aide d'une fiche (voir annexe), ils enrichissent leur vocabulaire. Pour le maîtriser, ils réalisent, par exemple, des acrostiches sur le nom du camarade à partir de cette liste... Ces divers apprentissages sont d'ailleurs tout l'enjeu de l'axe pédagogique du projet d'école autour de la maîtrise du langage de la petite section de maternelle au CM2.

 

L'investissement des adultes

Un tel projet ne peut aboutir que s'il est porté par toute une équipe et si un travail patient et continu est mené dans les différentes situations où se trouvent les élèves. Tous les membres de l'équipe éducative sont concernés, tous ont suivi le stage de formation, quel que soit leur statut, et participent à l'action. Car il ne suffit pas de désigner quelques élèves médiateurs pour voir aussitôt les comportements se modifier sur la cour ! Dans toutes les classes, une réflexion est menée et les élèves participent régulièrement à des exercices ritualisés sur le mieux vivre ensemble à partir des outils que propose l'association "Génération médiateurs" les adultes ont aussi leurs réunions de régulation régulières. L'équipe éducative consacre plusieurs jours par an à des temps d'analyse de pratiques. Les problèmes ou les difficultés rencontrées sont présentées sous la forme de cas concrets analysés selon le dispositif des GEASE (Groupe d'entraînement à l'analyse de situations éducatives).

Mise en réseau

Depuis plusieurs années, cette gestion des conflits par les pairs fonctionne dans l'école, mais qu'en est-il lorsque les élèves la quittent pour le collège ? Le problème s'est évidemment posé, car il serait dommage que tout le travail entrepris se perde ensuite. Un contact a été établi avec le collège du secteur, le collège Jules-Renard, à la demande de ce dernier qui avait eu écho du travail mené dans l'école. L'an dernier, une formation commune a regroupé des personnels du collège et de l'école. Dix professeurs du collège l'ont suivie ainsi que les nouveaux membres de l'école qui n'avaient pas pu participer à la formation précédente. Ainsi, dans l'école, tous sont actuellement formés. Le collège a mis en place un parcours citoyen au mieux vivre ensemble. Une réflexion est en cours pour former des élèves médiateurs au collège. En juin 2012, les médiateurs de l'école de Bootz et du collège Jules-Renard ont rencontré ceux d'une école et d'un collège du Mans pour échanger leurs expériences, se présenter leurs outils, participer à différents exercices de mise en confiance, d'entraide. Ils ont aussi analysé des situations de conflits entre élèves, situations fictives sous forme de jeux de rôles. Les élèves de CE2 du Val de Bootz n'étaient nullement intimidés par ceux de quatrième et prenaient la parole sans difficulté. Ils pratiquent depuis des années la prise de parole en public, notamment lors des conseils d'école d'enfants.

Des effets sur les comportements

Mais le projet va bien au-delà de la recherche de résolution de situations de conflit. La gestion de conflit est le point de départ du travail et la partie visible de l'iceberg. On constate que les élèves peuvent désamorcer un certain nombre de situations en trouvant des méthodes plus efficaces que des adultes. Ils usent de la même langue, du même vocabulaire, ils ont une compréhension plus précise des embrouilles et une idée différente des solutions. Mais cet apaisement de la vie collective ne peut s'expliquer seulement par ces interventions salutaires. C'est la construction même de toute une personnalité qui est en jeu, et l'acquisition des compétences citoyennes inscrites dans le socle commun. Les médiateurs apprennent ainsi le sens de la responsabilité, de l'aide et de l'engagement par la pratique et la réflexion sur cette pratique. Dans le cadre de la gestion des séances de remédiation, les élèves font aussi l'apprentissage de la communication et du respect nécessaire des règles, égalité du temps de parole accordé à chacun, écoute de l'autre sans l'interrompre... Enfin, chaque élève est entraîné à effectuer un travail sur soi à travers les exercices qui portent sur la connaissance de soi, son ressenti, ses besoins, grâce à la mise en mots. Cette connaissance permet la maîtrise et le contrôle de soi et donc de différer au moins l'acte violent dans une situation de tension. "Surseoir à la violence est le fondement de la société civile" (P. Meirieu).

Mais comment évaluer ?

De telles compétences, on le sait, sont difficiles à évaluer ; et que dire de l'évaluation d'un tel projet ? Si évaluer, c'est saisir des informations en vue d'une prise de décision, quelles informations prendre pour décider des modifications ou améliorations à apporter ? Quels sont les indicateurs fiables, repérables, capables de mesurer les acquis des élèves dans ces domaines si complexes ? Et les pratiques enseignantes ? Comment savoir ce qui est efficace dans le dispositif et qu'il serait bon de conserver ou de modifier ? Autant de questions que se pose l'équipe après ces quelques années d'expériences. Elle souhaiterait pouvoir bénéficier d'un regard extérieur compétent, celui d'un enseignant chercheur en sciences de l'Éducation, par exemple. Il trouverait dans cette école un champ d'observation riche, de nombreuses traces des travaux menés, et une équipe prête à collaborer.
 
auteur(s) :

M. Le Bihan

contributeur(s) :

V. Gérolami, École primaire Val de Bootz, Laval [53]

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