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le déploiement de la parole dans les classes multi-âges

mis à jour le 02/04/2014


echanger dossier 3

Depuis la rentrée de septembre 2011, les trois classes de l'école maternelle Maryse-Bastié, au Mans, sont multi-âges. Un choix pédagogique mûrement préparé, une équipe enseignante engagée pour sécuriser les jeunes élèves dans ce cycle fondateur qu'est la maternelle et, corollairement, pour les soutenir dans l'apprentissage de la langue.

mots clés : échanger, maternelle, classes multi-âges, langage, hétérogénéité


ette petite école accueille cette année soixante-six enfants. Implantée dans la circonscription Le Mans Sud, en réseau Éclair (Écoles, collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite), elle accueille vingt-deux élèves dans chacune des trois classes, dont sept enfants environ pour chaque section de maternelle (petits, moyens, grands). Suivie par C. Pilon, inspectrice de l'Éducation nationale de la circonscription Le Mans Sud, et Marie-Hélène Oger, inspectrice de l'Éducation nationale chargée de mission préélémentaire, l'équipe enseignante a décidé de mettre en place cette structure nouvelle pour aider les jeunes élèves qui, majoritairement, rencontrent de grandes difficultés dans l'apprentissage de la langue. Pour certains, le lexique dont ils disposent est très pauvre et la syntaxe simple n'est pas acquise. Pour d'autres, la langue d'origine n'est pas le français. Ces enfants qui s'expriment difficilement sont encore plus inhibés dans la relation verbale avec leur enseignante. La répartition des classes par niveau limite aussi les échanges verbaux entre ces petits parleurs. Or, le langage se construit dans l'action, il est favorisé par la multiplication des échanges. C'est donc pour développer les interactions verbales entre les enfants que S. Harbach, directrice de l'école, a proposé à son équipe la création des classes multi-âges. Un projet fondé sur une connaissance individualisée des élèves et sur un réel enjeu : créer une émulation langagière grâce à la différence de niveaux entre petits, moyens et grands. Mais les enfants de grande section seraient-ils suffisamment mis en situation de progresser ? Oui, à condition d'adapter l'emploi du temps quotidien. Comment se préparer pour mettre en place ce nouveau fonctionnement de l'école ? Quel impact effectif sur les enfants ? Comment les parents ont-ils réagi ? Pour Échanger, S. Harbach apporte un témoignage éclairant.

Développer les échanges entre les élèves

L'apprentissage du langage et celui de la vie collective selon le rythme quotidien qu'elle impose sont essentiels et intrinsèquement liés, en maternelle. La directrice de l'école constate que tous les moments de vie, hors de la classe, sont ceux où les enfants parlent le plus et le mieux, sans retenue et avec des interlocuteurs variés. Ils sont dans l'action, ils sont concernés par ce qui se passe. Les enfants ont par exemple des conflits qu'ils règlent entre eux : dans les rangs, quand ils se lavent les mains... Dans ces moments, le fonctionnement en multi-âges a un effet immédiat sur les petits. Stimulés par les plus grands qu'ils considèrent comme des modèles, ils prennent la parole plus souvent, plus facilement. L'hétérogénéité facilite aussi la socialisation et l'échange, puisque les plus petits, qui découvrent au début l'emploi du temps de la journée, imitent les grands et s'adaptent plus vite. Dans une classe homogène, l'acquisition des rituels de la journée est très longue. Avec cette nouvelle organisation, le travail de socialisation et de développement du langage a donc lieu à tous les moments de la journée, inattendus et spontanés, et deviennent aussi des moments d'observation précieux, pour les enseignantes. Cette année, un grand frère et sa petite sœur allophones ont été placés dans la même classe. Ils auraient pu se contenter de rester ensemble, de ne parler qu'entre eux. L'effet inverse s'est produit. Ils se sont sentis sécurisés et se sont ouverts aux autres. Dès le début du second trimestre, ils ont commencé à parler français. Si, dans la cour de récréation, les groupes d'âges ont tendance à se reformer, les jeux des grands n'étant pas ceux des petits, dans les couloirs, en revanche, au moment de l'entrée dans la salle de classe, les groupes hétérogènes sont recréés. On observe aussitôt l'entraide qu'ils favorisent. Les grands sont très fiers de donner des explications aux petits. À la sortie de la classe, ils sont toujours prêts à les aider à mettre leur manteau ou à les accompagner aux toilettes, par exemple. Dans ces classes multi-âges, les déplacements sont plus fréquents, car à certains moments de la journée, la répartition s'opère par groupes de niveaux. Ce rythme quotidien implique des rituels nouveaux : changer de salle et d'enseignante silencieusement pour les uns, rester avec le même professeur et commencer une activité différente pour les autres. Cela met un certain temps à se mettre en place en début d'année scolaire. "Une fois le rythme acquis, les déplacements se font calmement et l'ambiance dans toutes les classes est sereine", explique S. Harbach.

Un emploi du temps quotidien adapté

Le fonctionnement en classes multi-âges est donc interrompu à certains moments de la journée. Les enseignantes regroupent les enfants de grande section une heure le matin et une heure l'après-midi : ce sont des heures de passerelle vers le cours préparatoire où sont travaillés des apprentissages spécifiques à la grande section. Pendant ces deux heures, les élèves sont encadrés par la même enseignante tout au long de l'année afin de ne pas les désorienter. Ils travaillent le matin le langage oral, l'écrit, la dictée à l'adulte, la phonologie. L'heure de l'après-midi est plutôt réservée aux activités d'encodage. Pendant ce temps, le matin, les petits et les moyens, répartis en deux groupes, sont pris en charge par les deux autres enseignantes qui travaillent notamment les pôles de découverte du monde et de numération sous la forme d'ateliers. L'après-midi, les activités sont décloisonnées. Le personnel Atsem (Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles) prend en charge tous les petits pour le moment de la sieste. De 13 heures 30 à 15 heures, seuls les enfants de grande section et quelques-uns de moyenne section sont en classe. Les trois enseignantes proposent alors un travail spécifique : théâtre, arts plastiques, jeu de société ou chorale, motricité, cuisine... Ces activités fonctionnent comme des modules de quatre séances à l'issue desquelles les groupes tournent.

Une connaissance personnalisée de chaque élève

Ces activités décloisonnées permettent de travailler des compétences multiples, très variées, et de poser un regard sur l'enfant, enrichi par les angles de travail différents des trois enseignantes. C'est un apport précieux pour accompagner les élèves de manière personnalisée. Des moments de concertation sont planifiés, en général au moment de la pause méridienne, pour échanger sur le travail et l'évolution des jeunes élèves. Il y a quelques mois, l'un d'eux, par exemple, s'exprimait difficilement, rarement, en classe. Il s'est pourtant totalement désinhibé lors de l'activité théâtre : la maîtresse l'a su et en a profité pour l'aider et l'inciter à s'exprimer aussi en classe. Ce fonctionnement apporte donc une connaissance très personnalisée des élèves et permet de valoriser leurs expériences positives pour les sécuriser et les faire évoluer plus rapidement. L'observation individualisée facilite aussi la mise en place d'activités de remédiation. Dans un module sur les jeux de société, l'enseignante constate une difficulté d'un élève dans l'acquisition de la numération. De retour dans sa classe, son professeur peut mettre en place pour lui une activité de remédiation spécifique, individuelle. Et dans le cadre de la classe multi-âges, il peut aussi décider de le placer dans un groupe de niveau adapté sur le temps des activités de numération, afin de pallier rapidement cette lacune. La directrice de l'école insiste sur cet aspect souple, modulable de la classe multi-âges : on peut faire des groupes de niveaux très facilement sans que petits et grands soient heurtés par le fait d'être placés ensemble, puisque c'est une habitude. "L'élève est conscient que le regard de l'enseignante est toujours bienveillant et en même temps il ne peut pas l'esquiver ; il sait aussi qu'elle est au courant de sa difficulté, même si elle n'était pas présente lors de l'atelier jeu de société".
 

Une expérimentation solidement préparée

Pour mener ce projet, toute l'équipe enseignante s'est engagée. S. Harbach, forte d'une expérience fructueuse avec des grandes sections, CP et CE1 dans une autre école, a su mobiliser ses collègues. Au départ, il y avait quelques craintes, légitimes. Comment enseigner à des enfants de trois niveaux différents ? Comment faire progresser les grands tout en enseignant le monde de l'école aux plus petits ? Quand placer les multiples et nécessaires temps de concertation ? L'organisation quotidienne peut tâtonner, au début ; c'est quand même une petite révolution qui ébranle toute la structure. Mais l'équipe était vraiment prête à s'investir tant la question de l'acquisition du langage nécessitait la mise en place d'un dispositif spécifique. Et puis les enseignantes avaient envie d'harmoniser, de mutualiser leurs pratiques ; une nécessité, en fonctionnement multi-âges, mais qui n'empêche pas les approches spécifiques de chacune dans le choix des thèmes et des supports de travail. L'avantage immédiat est que la répartition s'effectue très sereinement puisque les classes sont hétérogènes. Et puis, finalement, il est plus aisé de gérer un groupe de sept enfants de petite section au sein d'une classe multi-âges plutôt qu'une classe entière de petits : les consignes sont plus faciles à donner. Tel est le bilan actuel des trois enseignantes. Les peurs se sont donc aujourd'hui envolées. Pour préparer le projet, l'équipe a suivi une formation d'un an, au cours de l'année 2010-2011, sur le langage, priorité académique comme départementale et axe central du dispositif. Il s'agissait aussi de réfléchir aux modalités d'accueil des enfants en classes multi-âges. Cette formation a permis de mobiliser et de rassurer les enseignantes. Elle s'est articulée autour d'une double perspective : un axe théorique et une analyse de pratiques. Suivie par M.-H. Oger, inspectrice préélémentaire, l'équipe enseignante a assisté à plusieurs conférences sur le thème du développement du langage, mais aussi sur l'organisation des espaces dans la classe et dans l'école. Des visites dans d'autres établissements, l'observation de collègues dans leurs classes, suivie d'échanges, ont permis d'engager une réflexion sur la pratique de chacune.

Développer une pédagogie du langage autour du jeu

Au moment de la mise en place des classes multi-âges en septembre 2011, l'inspectrice maternelle et son équipe composée d'un psychologue scolaire et d'une chargée de mission maternelle PEMF (professeure des écoles, maîtresse formatrice) 1 ont continué à accompagner les enseignantes. Avec eux, elles ont réfléchi aux activités pédagogiques qui suscitent des échanges verbaux tout en permettant d'ancrer les acquis et de s'adapter aux niveaux respectifs des enfants en présence. Comment créer des situations qui donnent du sens aux acquisitions langagières ? Comment associer les élèves à l'identification de leurs acquis et de leurs progrès ? Pour partir du vécu des enfants, l'utilisation des coins-jeux, jusque-là réservés à la période de l'accueil du matin, a été revue 2. Leur aménagement pour en faire de petits coins sécurisants pour les jeunes enfants, les modalités de leur usage (nombre d'enfants autorisés, rangement) ont été retravaillés. Cela a mené à une évolution de leur utilisation ; ils sont devenus supports pédagogiques. Comment utiliser les interactions verbales qui ont lieu dans les coins-jeux pour travailler ensuite la langue ? La mise en activité commence par le jeu et son observation par l'enseignante. Il constitue la première étape du travail des apprentissages en classe. Pour réactiver les mots ou structures syntaxiques utilisées en jouant, l'enseignante peut utiliser des photos prises sur le vif ou un album travaillé avec les objets représentés. Par exemple, le travail sur l'apprentissage des couleurs ou des nombres se fait dans un premier temps lors d'une activité au cours d'un jeu de société, d'un jeu symbolique... Et l'enseignante apporte le lexique dans l'action ou suscite le développement du langage par des questionnements, des demandes de reformulation qui favorisent la mémorisation. Cette observation des enfants en train de jouer peut servir, selon les objectifs pédagogiques, aussi bien à identifier les besoins des élèves qu'à s'assurer qu'ils maîtrisent ce qui a été vu précédemment. On peut par exemple observer l'acquisition de la complexification de la phrase. L'enfant utilise-t-il le COD (complément d'objet direct) ? Sait-il expliquer et justifier l'ordre de ses actions ? Cette formation a permis aux enseignantes de travailler ensemble, de réfléchir autrement et d'adopter une pédagogie partagée et adaptée à leurs élèves 3. En général, les parents mettent des mots sur les objets, les sensations. Ce n'est pas le cas pour les enfants accueillis ici. Il est donc essentiel d'expérimenter pour ensuite nommer, explique S. Harbach.

Une structure sécurisante qui favorise l'autonomie

La multiplication des moments de vie et de langage, la mixité petits, moyens et grands devenue la norme permettent de proposer un milieu sécurisant, favorable aux échanges horizontaux, où chacun est valorisé et écoute l'autre. Les grands aident les petits. Ils développent leur langage, car il leur faut théoriser ces actions quotidiennes pour les verbaliser afin de les expliquer aux plus petits. Ces derniers, en observant leurs camarades plus grands, deviennent par effet d'imitation plus rapidement autonomes et ils en sont fiers. Les actions ritualisées sont aussi plus vite acquises. Ces moments de vie ont leur impact dans le cadre de la classe. Pour certains domaines d'activité, quand l'enseignante a évalué les grands, elle peut leur demander d'expliquer aux petits. On peut former un groupe de besoin et un grand explique, prenant en charge quelques minutes ce petit groupe. Là encore, l'observation de l'élève au travail est féconde, pour l'enseignante. Cette souplesse permet au professeur d'amener les élèves à surmonter progressivement leurs difficultés. Cette année, la première cohorte d'enfants de grande section issus de la classe multi-âges est au cours préparatoire. Le retour des enseignants d'élémentaire est intéressant : ils constatent que les élèves issus de la classe multi-âges se mettent au travail plus rapidement, par rapport aux enfants qui viennent d'autres écoles. Les élèves ont bel et bien acquis une autonomie, moteur pour les apprentissages. Chez les petits, les progrès langagiers sont décuplés. "À leur entrée dans notre école maternelle, ils sont tous des petits parleurs, précise la directrice, ils utilisent la parole uniquement en cas de nécessité, quelques enfants ne parlent pas du tout. Maintenant, au bout de trois mois, tous s'expriment". Un premier bilan encourageant.

Des parents rassurés

À l'école Maryse-Bastié, les parents répondent peu présents aux réunions, aux questions concernant l'activité scolaire en général. "Ils pensent pour la plupart que l'école relève uniquement du domaine des enseignants", explique S. Harbach. Pour favoriser les échanges et faire participer au maximum les familles à la vie de l'école, les enseignantes leur proposent depuis longtemps, aussi souvent que possible, d'entrer dans les classes, de venir un petit moment observer ce qui s'y passe. Quand la nouvelle structure en classes multi-âges a été annoncée, les parents ont été surpris. "Ma fille de grande section va faire du coloriage toute l'année, comme les petits ? Mon fils de petite section va être mis de côté, vous n'allez vous occuper que des grands...". Telles étaient les réflexions et craintes adressées aux enseignantes. Une maman s'est vraiment manifestée et a menacé d'enlever sa fille de l'école. La directrice lui a alors proposé de venir dans la classe, de voir comment s'organisaient la journée, les groupes de travail, les ateliers. La maman a été convaincue. L'accueil personnalisé des parents, c'est la culture de cette petite école, c'est aussi ce qui a permis de montrer aux parents, par des explications individuelles, l'intérêt de ce nouveau dispositif pour la réussite et le bien-être scolaire de leurs enfants. Le cheminement vers la création des classes multi-âges a pris du temps de formation, de réflexion, de concertation. La mobilisation de tous, y compris du personnel Atsem, a permis de mettre en place cette nouvelle structure. L'enjeu était de taille, le pari est réussi.

1. Voir l'interview de S. Harbach et de S. Vaumorron, psychologue scolaire de l'équipe de la mission maternelle, sur le site de l'inspection académique de la Sarthe.
2. Sur le thème du jeu à l'école maternelle, de nombreuses ressources sont disponibles sur le site de l'inspection académique de la Sarthe - voir lien ci-dessus.
3. Sur la pédagogie du langage oral à l'école maternelle, voir les travaux de :
  • Philippe Boisseau, inspecteur honoraire de l'Éducation nationale, conférencier sur le thème de l'apprentissage de l'oral à l'école maternelle et animateur de groupes de recherche.
  • Pierre Péroz, maître de conférence à l'ESPE de Lorraine en sciences du langage, spécialiste de la didactique de l'oral à l'école maternelle.
 
auteur(s) :

N. Le Rouge

contributeur(s) :

S. Harbach, M.-H. Oger, École maternelle Maryse-Bastié, Le Mans [72]

fichier joint

information(s) technique(s) : pdf

taille : 220 Ko ;

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