Contenu

innovation pédagogique

Recherche simple Vous recherchez ...

espace pédagogique > actions éducatives > innovation pédagogique > échanger

mémorables traversées du miroir

mis à jour le 29/02/2012


echanger dossier 5

Voir n'est pas regarder... Comment faire en sorte que les élèves de primaire dépassent la réaction affective face à des œuvres artistiques ? Quelle aide peuvent apporter les nouvelles technologies dans la constitution d'une culture artistique qui commence par une essentielle éducation du regard ? Quand la modernité donne la main à la tradition pour une "mise en mémoire" vive et vivante...

mots clés : HDA, arts visuels, image, TUIC, portfolio numérique


Stéphane Guihard, professeur des écoles, est aujourd'hui formateur à l'IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres) de Nantes, à l'école interne de la Roche-sur-Yon. Spécialisé dans les nouvelles technologies, il assure entre autres des stages de formation continue auprès des professeurs des écoles. C'est en particulier dans ce cadre qu'il s'est plus spécifiquement intéressé à l'histoire des arts 1 (HDA), en se posant la question suivante : que peuvent apporter les TUIC (Techniques usuelles de l'information et de la communication) dans l'enseignement de l'histoire des arts ? Le terme "enseignement" n'est pas le plus approprié, sans doute, note-t-il, puisqu'il s'agit de mettre en œuvre les conditions d'une démarche d'apprentissage où c'est l'élève qui doit construire le sens d'une œuvre en apprenant d'abord à la regarder vraiment. Aussi bien dans sa pratique en tant que professeur des écoles que dans les formations qu'il encadre, il a mené cette réflexion sur les modalités d'une éducation à l'histoire des arts qui, pour être efficace, doit dépasser le simple survol des œuvres. Comment faire en sorte que l'élève puisse construire cette capacité à regarder et lire une œuvre ? Comment lui permettre de s'approprier en profondeur ces œuvres et de les garder vivantes dans une mémoire vite oublieuse ? Ou, pour le dire autrement, comment construire une réelle culture qui soit autre chose qu'un vernis superficiel ?

Voir ou regarder ?

La question du regard est centrale. Et c'est dans la parole de ses élèves que l'enseignant peut mesurer ce qu'ils voient d'une œuvre. Les réactions relèvent souvent de l'affectif, de l'impression, de la sensation. Le personnage représenté est méchant, l'image est triste ou joyeuse... Comment dépasser ces premières impressions qui, nécessaires, ne sont pas suffisantes pour entrer plus en profondeur dans une œuvre dont la richesse échappe, à ce premier stade de la subjectivité affective, sans entrer non plus dans une analyse a priori trop froidement techniciste ? L'une des réponses possibles est de faire en sorte que les élèves découvrent par eux-mêmes les choses. Et d'abord, qu'ils ne regardent pas ! C'est tout simple. L'enseignant montre une reproduction de l'œuvre, laisse les élèves la regarder pendant deux ou trois minutes, puis la cache. Qu'ont-ils vu ? Ça semble évident, n'est-ce pas ? C'est loin de l'être, fait remarquer le formateur, et ça marche aussi bien avec des enfants qu'avec des adultes. Difficile de se mettre d'accord, souvent : Combien de personnages ? Où sont-ils ? Que font-ils ? (voir annexe)... Le maître reste en retrait, il laisse s'exprimer ce qui a été vu, et on échange ses impressions. Les opinions divergent et la conclusion des discussions est évidente : personne n'a vu exactement la même chose ! Le groupe en entier arrive en général à reconstituer une réalité objective à peu près complète, mais chaque individu n'en a perçu qu'une petite partie, souvent assez éloignée du tout, et parfois peu conforme à la réalité. Bien, alors si on regardait maintenant ?

Du spectateur à l'acteur : passage à l'acte

Retour à l'œuvre, à nouveau dévoilée aux élèves. Leur acuité est cette fois-ci plus grande, conscients qu'ils sont que la première fois, ils n'avaient pas vraiment regardé. Cette alternance entre l'observation et la confrontation de ce qui a été observé, une fois l'œuvre cachée, peut être multipliée. Il est capital que les deux soient distincts, sinon on fausse le jeu : c'est la condition sine qua non pour que les élèves comprennent réellement comment leur regard fonctionne. L'analyse se fonde sur la formulation d'hypothèses qui sont infirmées ou confirmées, soit par la discussion, soit, quand on n'arrive pas à se mettre d'accord, par un nouveau retour à l'œuvre. Prenons l'exemple du tricheur à l'as de carreau 2. Si on parvient aisément à se mettre d'accord sur le nombre de personnages, l'identification sexuelle est déjà nettement plus problématique. Ne parlons pas des statuts socioprofessionnels, pour parler un langage complètement anachronique, des différents protagonistes. Il reste encore bien des zones d'ombre, d'autant plus obscures pour les élèves, qu'ils n'ont pas toujours conscience de leur existence. Quid de la lumière, du cadrage, des positions et regards qui racontent une histoire... L'enseignant n'en parle même pas. Il propose juste à ses élèves de passer à l'acte.

La main à la pâte du regard

Comment ? Tout simplement en refaisant le tableau avec un appareil photo numérique. Par groupes de cinq (quatre feront les personnages tandis que le cinquième prendra le cliché), les enfants refont le tableau de mémoire, avec les moyens du bord. Il ne s'agit pas de faire une œuvre plastique, mais d'éduquer le regard, et donc ici de restituer le plus exactement ce qu'on a vu, par la réalisation d'un tableau vivant. Chaque petit groupe fonctionne en autonomie pour faire sa photo, pendant que les autres travaillent à d'autres activités. Certains ont déjà le souci de la lumière, utilisant celle des fenêtres, ou carrément celle du rétroprojecteur dont ils détournent l'usage pour l'occasion. D'autres n'y pensent pas. Certains soignent les costumes : ils métamorphosent leur écharpe en turban, ou prennent un gros pinceau pour en faire une plume de chapeau. Tout le monde ne place pas la caméra au même endroit... Puis on se retrouve tous ensemble autour des clichés avec, pour maître-étalon, la reproduction du tableau. Avant toute chose, mettons-nous d'accord : les critères de réussite sont collectivement définis. Après avoir mis la main à la pâte, les élèves ont le regard plus aiguisé. Avec leurs mots, ils nomment des critères précis : le cadrage, le point de vue, la lumière, le placement des personnages, leurs regards... La comparaison des différents clichés est éloquente (voir ci-dessous) et ramène invariablement à l'œuvre originale, observée et analysée d'un regard nettement plus précis. Finalement, on comprend que les premières impressions affectives ne naissent pas "par hasard", mais sont en partie liées à une image dont le sens est savamment construit par l'artiste.
 
  

Médusés...

Ceci dit, comme Rome, l'éducation du regard ne se construit pas en un jour. C'est dans la répétition, avec des œuvres différentes, que se développent progressivement les compétences visées par l'HDA. L'acuité du regard se fonde sur une analyse précise et objective qui ne nie pas la sensibilité subjective, mais l'augmente. Pour ce qui est de la constitution d'une culture artistique qui implique la connaissance d'un certain nombre d'œuvres patrimoniales, elle se fait en profondeur. Ainsi appréhendées par les allers-retours de cette traversée du miroir, les œuvres sont définitivement gravées dans la mémoire des enfants, fait remarquer le formateur. Et c'est encore plus fort, évidemment, lorsque la rencontre réelle peut avoir lieu. D'où l'intérêt de choisir une partie des œuvres dans les collections des lieux culturels locaux, ou même nationaux lorsqu'une classe-patrimoine peut être organisée. Ainsi de cette mémorable rencontre des élèves avec Le radeau de la Méduse 3, se souvient l'enseignant... Le choc n'était pas dû uniquement aux dimensions magistrales de la toile de Géricault. Le travail en amont, et notamment la reconstitution photographique de la scène par tous les élèves de la classe - qui n'avait pas été, on s'en doute, une mince affaire ! - y était aussi pour quelque chose... Une telle approche fonctionne très bien avec des arts variés : outre la peinture, la photographie, ou même la sculpture, peuvent donner lieu à cette traversée du miroir qui permet d'aller à la rencontre d'une œuvre de l'intérieur, d'une certaine manière.

Médusant, décidément

La démarche adoptée dans ces exemples, plus centrée sur les arts visuels, peut se compléter par une approche pluridisciplinaire. Un stagiaire a par exemple exploité la séquence sur Le tricheur à l'as de carreau dans une perspective différente, en mettant l'accent sur la narration dans la mesure où l'œuvre est aussi une dramaturgie. Un tableau, et particulièrement celui-là, raconte une histoire qu'on peut mettre en mots, oralement et par écrit. En guise d'application et de prolongement, les élèves ont ensuite imaginé puis réalisé une photographie qui devait à elle seule raconter une histoire. De l'histoire à l'Histoire, le lien que constitue l'œuvre d'art est évident. La comparaison peut éclairer un personnage historique, si l'on confronte par un exemple le Bonaparte franchissant le Grand Saint-bernard 4 et le Napoléon premier sur le trône impérial 5. L'analyse des images offre des hypothèses que l'histoire confirmera ou non, et l'histoire apportera des compléments aux images. Dans ce va-et-vient, c'est le parcours historique d'un homme et d'un règne qui se dessine au final, tandis que s'affine la capacité à analyser et comprendre les œuvres artistiques. Et puis, acquérir une culture, c'est aussi comprendre que tout se tient. L'observation d'une esquisse préparatoire a déjà fait comprendre aux enfants vers quoi se tendent les naufragés sur leur radeau (le bateau y apparaît bien plus nettement). Quelle n'est pas leur surprise lorsque leur maître leur montre une vignette d'Astérix 6 parodiant la célèbre toile ! Le commentaire du chef des malheureux pirates : "Je suis médusé !" prend alors tout son sens...


Une "madeleine" électronique

Les exemples ne manquent pas, et s'il est certain que les élèves n'oublieront pas de sitôt ce qu'ils ont ainsi exploré, il faut quand même garder trace de ces œuvres qui, au fil de l'année, constituent une véritable collection. Quel support adopter pour pouvoir réactiver leur souvenir, d'une manière plus consciente et volontaire que la réminiscence proustienne ? Dans la même perspective, Stéphane Guihard a réfléchi à l'aide que pouvaient apporter les nouvelles technologies. Il a ainsi animé un stage de formation autour de la constitution d'un cahier d'histoire des arts, préconisé dans les textes officiels dans le but de "matérialiser de façon claire, continue et personnelle, le parcours suivi en HDA tout au long de la scolarité". Le logiciel libre Didapages 7 a été le support d'une réflexion concrétisée par la réalisation de portfolios dédiés à l'HDA. L'un des intérêts de cet outil est de pouvoir insérer des médias différents : photos, textes, vidéos, son. Le stage, d'une durée de trois semaines, a permis un travail en profondeur, et les stagiaires ont été mis en situation. De la confrontation aux œuvres du patrimoine local à la réalisation du portfolio, ils ont été amenés, au cours de leur parcours, à se poser des questions essentielles concernant la mise en place de ces cahiers de la mémoire (voir annexe). Si l'utilisation technique du logiciel est simple, il semble cependant difficile, au moins dans un premier temps, de faire réaliser un livret par élève ; en primaire, tout au moins. Les élèves de CM2 sont tout à fait en mesure de fabriquer eux-mêmes leurs pages, souligne le formateur : il faut pour cela que tous les documents soient à disposition dans un dossier. Mais comment organiser tout ça ?

De liens en liens...

L'objectif d'un tel livret est de garder en mémoire les œuvres rencontrées au cours du parcours scolaire. Quelle organisation adopter ? Les stagiaires ont majoritairement opté pour une entrée chronologique, plutôt que par disciplines ou par catégories artistiques, reprenant les textes officiels qui organisent l'HDA par périodes historiques. La transdisciplinarité y est plus clairement apparente, tout comme les différentes formes artistiques. Certains groupes, pour faire apparaître la réaction subjective personnelle aussi bien que l'analyse plus objective réalisée collectivement, ont choisi une structuration en doubles pages. Les deux approches sont ainsi mises en écho, l'une à côté de l'autre. Les nombreuses fonctionnalités du logiciel rendent possibles des activités diverses. Interactif, le livre permet de faire participer le lecteur. Le système de liens fait voyager d'art en art, dans la logique transdisciplinaire de l'HDA. Une visite dans un lieu culturel fait l'objet d'un reportage qui présente des photographies, des textes, des reproductions d'œuvres... On mesure l'intérêt de cet outil qui peut s'enrichir d'une année sur l'autre par les apports successifs. Les voies à explorer sont nombreuses et riches. Le tout est d'anticiper pour savoir ce qu'on veut en faire, et de se questionner sur la place que l'élève peut avoir dans sa réalisation. La question de la transmission, d'une classe à l'autre, mais surtout d'un établissement à l'autre, de l'école au collège, puis du collège au lycée, se posera, et la réponse devra alors être collective. Bref, le livret informatique est une mine d'or, mais son usage au quotidien appelle une réflexion préalable. Et l'outil ne remplace pas le travail réalisé en amont. On ne réactive une mémoire que lorsque l'événement y a laissé des traces durables. Et ça, c'est une affaire de pédagogie.

1. Pour plus de précisions concernant les textes officiels qui définissent l'HDA, du primaire au lycée, on pourra se reporter à l'article d'Échanger : L'HDA : un point de convergence pour une culture humaniste, publié dans ce dossier.
2. Georges de La Tour, 1635, huile sur toile, 106 × 146 cm, musée du Louvre, Paris.
3. Théodore Géricault, 1819, huile sur toile, 491 × 716 cm, musée du Louvre, Paris.
4. Jacques-Louis David, 1800, huile sur toile, 260 cm × 221 cm, château de Malmaison, Rueil-Malmaison.
5. Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1806, huile sur toile, 252 × 169 cm, musée de l'Armée, Paris.
6. Uderzo et Goscinny, tome 10, Astérix légionnaire, page 35, case 3, Hachette.
7. Didapages est un logiciel entièrement gratuit, destiné aux auteurs de cours et d'outils pédagogiques. Il permet de créer très simplement des livres multimédia et interactifs.
 
auteur(s) :

D. Grégoire

contributeur(s) :

S. Guihard, Université de Nantes [44], IUFM de La Roche-sur-Yon [85]

fichier joint

information(s) technique(s) : pdf

taille : 758 Ko ;

ressource(s) principale(s)

echanger dossier 5 enseigner l'histoire des arts 13/01/2011
Depuis 2008 pour le primaire, 2009 pour le secondaire, l'enseignement de l'histoire des arts est au programme. Si les champs d'enseignement sont souvent liés à l'histoire, au français, aux arts plasti ...
histoire des arts, interdisciplinarité, carnet de bord, arts, HDA

haut de page

innovation pédagogique - Rectorat de l'Académie de Nantes