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petits pas et grands pas avancent ensemble

mis à jour le 17/06/2010


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Que faire à l'arrivée au collège pour les élèves en réelle difficulté, ces élèves qui avancent à petits pas ? Surtout, ne pas les laisser se noyer dans la masse. Plutôt les regrouper et les associer à des élèves en réussite et autonomes, ceux qui vont à grands pas, pour créer une classe à deux niveaux, sur le modèle de l'école élémentaire : c'est l'expérience qui a été tentée au collège Le Marin.

mots clés : liaison école/collège, liaison cm2/6e, tutorat, différenciation pédagogique, alternative au redoublement


Des classes hétérogènes ? Oui, mais... au collège Le Marin, les élèves qui arrivent en sixième pourraient, comme presque partout, être regroupés en classes hétérogènes en répartissant le plus équitablement possible, d'après les informations disponibles, les très bons, les bons, les moyens, les faibles, les très faibles, les filles, les garçons, les perturbateurs dans chacune des classes... Mais pour aider les élèves en grande difficulté, les dispositifs restent alors marginaux, restreints à quelques heures par semaine : aide au travail personnel, remise à niveau... Dans une classe hétérogène, la différenciation pédagogique est évidemment la réponse la plus adaptée, mais sa mise en œuvre reste souvent très difficile, donc limitée. Dans des classes où l'hétérogénéité est maximale, aussi bien par le niveau scolaire, le degré d'autonomie et la rapidité que dans la relation à l'école, c'est souvent mission impossible. Dans les faits, cela se résume le plus souvent à quelques exercices supplémentaires pour les plus rapides ou quelques activités aménagées en fonction du profil d'élèves plus lents ou faibles. Comment différencier quand il y a tant de variables en jeu ? La difficulté est en effet de définir la ou les cibles visées, puisque la différenciation ne peut pas se faire à l'infini. Dans un groupe où chaque élève est un cas à part ou presque, l'enseignant est souvent amené à concevoir ses cours pour un élève type, totalement virtuel, une sorte de moyenne imaginaire de toutes les variables. Et seuls quelques élèves moyens ou bons se sentent concernés et travaillent vraiment. Les élèves brillants et rapides s'ennuient un peu ou beaucoup, au moins une partie du temps, les élèves faibles s'arrangent pour se faire oublier et travaillent de moins en moins, alors que quelques-uns des deux groupes font tout pour qu'on ne les oublie surtout pas...

Une classe, deux niveaux

Ces observations répétées sur la réalité des classes hétérogènes ont amené un professeur de français, Pascal Forget, qui a enseigné plusieurs années à l'école élémentaire, à proposer d'introduire au collège un dispositif qui a fait ses preuves à l'école et qu'il a pratiqué : la classe à niveaux multiples. Pas une classe de niveau, non, une classe deux niveaux. L'idée est donc de rassembler dans la même classe deux groupes homogènes, deux niveaux très différents : une petite dizaine d'élèves en grande difficulté (mais sans problème grave de comportement) et une douzaine d'élèves en réussite, à l'aise et plutôt autonomes. Une telle composition, dans un effectif global qui doit se limiter à une vingtaine d'élèves, impose de fait - rend possible pour l'enseignant et légitime pour l'élève et les parents - une pédagogie différenciée. Un enseignement sur deux niveaux clairement identifiés : CE2-CM pour les plus faibles et sixième pour les autres, avec des objectifs, des contenus et des évaluations différents. Mais l'intérêt du dispositif (qui fait toute la différence avec la classe de niveau), c'est de promouvoir, de créer un esprit de solidarité entre les deux groupes, en instituant des moments de coopération. Ce sera l'objectif prioritaire de la "classe transplantée" de début d'année. D'une manière générale, pour éviter la compartimentation de la classe en deux groupes, des moments d'enseignement indifférencié sont conservés. Les arts plastiques, l'éducation musicale, l'EPS (éducation physique et sportive), où les objectifs et les évaluations, bien individualisés, sont enseignés au groupe-classe. Dans d'autres disciplines, la différenciation pourra n'intervenir qu'en cours d'année. Même dans les autres disciplines directement concernées, comme le français, la différenciation ne sera pas systématique: elle n'interviendra que pour certaines séquences ou même quelques séances d'une séquence. La règle est la souplesse, la flexibilité, pour articuler le fonctionnement des groupes et celui de la classe entière.

Les préalables à l'expérimentation

Une équipe s'est constituée autour du projet au fur et à mesure qu'il se formalisait, et qu'elle le formalisait, lors de réunions ouvertes à tous les professeurs intéressés. Des peurs, des réticences se sont exprimées, même si tous étaient convaincus de l'intérêt de l'expérience proposée. Des enseignants, inquiets devant une situation inédite, ont demandé à aller assister à des cours en classe à niveaux multiples dans les écoles du secteur. Mais la question cruciale, le véritable problème récurrent, a été l'évaluation. Si tout le monde était d'accord sur le principe qu'enseignement différent implique évaluation différente, le problème restait entier sur la coexistence dans une même classe de deux systèmes de notation avec des notes qui pourraient être identiques pour des élèves des deux groupes et donc ne pas correspondre du tout aux mêmes performances... Une autre difficulté a été repérée par les volontaires : comment présenter le projet pour obtenir l'adhésion des parents des élèves les plus à l'aise, "les grands pas", ceux qui avancent vite ? Ce soutien parental est en effet vital pour la mise en route de la classe à deux niveaux. L'aspect strictement matériel a aussi été travaillé. Le projet n'est pas très exigeant, mais il lui faut malgré tout un espace de travail adapté : une grande salle dévolue à cette classe - ce sont les professeurs de mathématiques, français, histoire-géographie et anglais qui se déplacent - avec deux "aires" distinctes dotées, chacune, d'un tableau et un lieu d'autonomie avec des manuels, des ordinateurs en nombre suffisant... L'autre exigence concerne les horaires : dans tous les cas où cela est possible, les enseignants demandent des séquences d'une heure et demie, voire deux heures : en cinquante-cinq minutes, il est impossible d'accueillir la classe et de mettre en place des travaux différents dans les groupes. Une heure de concertation a aussi été demandée.

Créer un esprit de classe

À la rentrée 2004, l'équipe prend en charge la classe formée selon les critères établis, avec l'aide des enseignants de CM2 du secteur. Dans un souci de sérénité, les enseignants décident de démarrer l'année comme avec les autres classes et de surseoir à toute différenciation jusqu'à la réunion prévue le 20septembre pour communiquer avec les parents et les élèves sur la particularité de la classe et présenter le projet. L'équipe, outre les tests d'évaluation - y compris en histoire-géographie - concentre son attention sur la préparation de la classe transplantée prévue du 12 au 15octobre. En effet, cette dernière revêt une importance particulière dans le projet : son objectif essentiel est de donner le ton, de faire naître un état d'esprit qui devra être celui de la classe tout au long de l'année. Celui-ci repose sur deux principes : l'échec n'est pas une fatalité (et personne n'est mauvais ou bon partout) et mieux vaut la coopération et la mutualisation que la compétition et la rivalité. Pour atteindre cet objectif, le choix s'oriente vers des activités physiques et en groupes. Le soutien de la municipalité, à travers l'aide efficace de son service jeunesse, permet d'envisager des activités comme le canoë, le tir à l'arc, le VTT (vélo tout terrain), l'accrobranche. Mais les deux principes de base seront aussi construits dans les activités de découverte du patrimoine et dans les moments plus informels de la vie quotidienne, comme les repas, les veillées... Ils sont au centre de toutes les préparations.

La mise en route : l'heure des choix

Bien que l'heure de concertation n'ait pas été inscrite dans les emplois du temps, les réunions se succèdent. Au bout de deux semaines, les professeurs savent que la classe correspond bien à leur demande : deux groupes homogènes et de niveaux très différents, des élèves plutôt calmes. La différenciation n'est mise en place par personne, mais déjà deux options différentes ont été prises pour placer les élèves. En français, l'enseignant a organisé des tables de proximité de trois à quatre élèves en mélangeant écoles d'origine, sexes et niveaux et le projet reste de faire, à certains moments, travailler deux groupes de niveaux séparément pour acquérir des notions identiques par des chemins différents. En maths, l'enseignant a choisi le travail en binômes, associant un grand pas à un petit pas... La question de l'évaluation est à nouveau abordée : n'évaluer que les progressions ? Mais n'y a-t-il pas un risque, alors, de leurrer élèves et parents des petits pas ? Associer évaluations adaptées au niveau des élèves et évaluations sommatives communes ? Pour démarrer vraiment l'expérience, après la classe transplantée, l'équipe disposera de deux heures libérées pour faire le point, échanger sur les pratiques envisagées ou déjà testées et revenir sur l'évaluation... La classe verte a effectivement permis la constitution du groupe, condition sine qua non de l'expérimentation. La notion "d'élève en difficulté" a bien été relativisée : de très bons élèves ont été en difficulté en VTT ou en canoë où des élèves plutôt faibles scolairement se sont tirés d'affaire sans problèmes. Et, même si l'effet s'est un peu estompé au fil de l'année, l'esprit de solidarité construit lors de ces activités s'est en partie maintenu grâce à un groupe d'élèves issus de la même école, qui l'a cultivé.

En français, une classe et deux groupes

La difficulté, pour Pascal Forget, le professeur de français, est de trouver un équilibre entre, d'un côté, l'unité du groupe classe et de l'autre, l'intérêt individuel de l'élève : comment aider un élève sans pour autant sacrifier le groupe ou les autres élèves ? Après une première phase de constitution de la classe en début d'année, l'enseignant a introduit ponctuellement, à l'intérieur de séquences communes, des séances différenciées pour chacun des deux groupes de niveau. Les objectifs spécifiques de ces séances étaient alors différents et les activités proposées aussi, même si globalement, l'apprentissage visé était le même, à des niveaux de maîtrise différents (voir annexe). Mais la séquence poésie, elle, a été menée de manière commune, pour l'essentiel. Dans cette séquence, seule la séance consacrée à la maîtrise de la langue a été proposée selon deux parcours différents. La classe a fonctionné sans difficulté : le principe de deux parcours différenciés, avec des évaluations différentes, a été bien compris et accepté. Le groupe des "grands pas" a joué le jeu de l'autonomie quand l'enseignant avait construit sa séance de manière à pouvoir se consacrer aux "petits pas". L'utilisation de logiciels de lecture et, d'une manière générale, celle de l'informatique, a été précieuse à la fois pour l'individualisation des parcours et le travail autonome. Un rituel s'est institué : au début de chaque séance, le moment d'accueil et de mise en route ou de lancement de l'activité se fait en classe entière, souvent par un travail sur une image ou un texte découvert en commun. Puis le travail se fait dans les deux groupes distincts, avec ou sans l'intervention du professeur.

"La main dans le dos"

Pour les activités de recherche, notamment en mathématiques, mais aussi d'écriture, en français, c'est le travail en tandem - un grand pas avec un petit pas - qui a été privilégié. En mathématiques, ce dispositif a été utilisé au moins une heure par semaine. Le principe est que l'élève en difficulté bénéficie des explications, du tutorat d'un élève en réussite, à qui l'enseignant demande explicitement "un effort pédagogique" : il s'agit de réexpliquer, de reformuler le cours, de guider, de suggérer une méthode de travail, une autre manière de s'y prendre... Les petits pas travaillent ainsi guidés, alors que les grands pas gardent la main dans le dos : ils ne doivent surtout pas faire à la place... C'est en géométrie que l'enseignant de mathématiques a le plus souvent différencié les parcours. Comme son collègue de français, il a aussi fait travailler - à chaque fois que cela lui a paru utile - chacun des groupes en parallèle, en autonomie, avec des objectifs adaptés. Les autres heures, la progression et les exigences sont les mêmes pour tous les élèves de la classe qui travaillent alors en un seul groupe. En anglais, la différenciation reste limitée. L'essentiel des apprentissages se fait à l'oral, en sixième et, de fait, les activités orales sont difficiles à différencier quelle que soit la discipline. Néanmoins, certaines activités de compréhension orale ou écrite permettent de proposer un repérage d'informations à difficulté progressive et l'expression écrite est parfois guidée plus précisément pour les élèves "petits pas", avec des aides que les autres n'ont pas. Mais des évaluations sommatives identiques sont faites par toute la classe : l'évaluation est ainsi "panachée" ; un premier pas prometteur. À la fin de la première année, aucun élève n'avait décroché. L'objectif était atteint. Aucun élève n'avait été oublié, comme cela aurait pu être le cas si ces élèves en grande difficulté s'étaient retrouvés à deux ou trois dans une classe hétérogène "classique". Intégré dans ce petit groupe de huit élèves, chacun des petits pas avait été mis en situation de travailler régulièrement et - sans que les progrès soient fulgurants pour autant - de progresser. Et ce constat était partagé par les "grands pas". Eux aussi avaient le sentiment que les enseignants avaient été au plus près d'eux, les avaient aidés à tirer le meilleur d'eux-mêmes. Ils ont eu le sentiment d'être stimulés par des enseignants exigeants, dans une saine émulation avec les autres "grands pas". Les parents ont eux aussi validé le dispositif. Même les parents réticents au début ont reconnu que leur enfant avait tiré profit de l'expérimentation. Les enseignants aussi, via le questionnaire d'utilité pédagogique (sic), tout en reconnaissant la surcharge de travail et une différenciation parfois limitée, ont considéré que cette classe à deux niveaux avait été efficace pour les élèves, et intéressante, enrichissante pour eux. En atteignant son objectif prioritaire : enseigner au niveau réel des élèves les plus faibles, sans les enfermer dans un ghetto, mais en les faisant dans le même temps profiter de la dynamique d'une classe avec un demi-groupe très performant. Ce dispositif a ouvert une voie nouvelle, exigeante, mais prometteuse.

Un pas suspendu ?

Depuis, le dispositif a été reconduit, mais peut-être avec moins de rigueur, ou moins de chance dans le choix initial des élèves, avec des enseignants nécessairement moins engagés que la première année, dans une sorte de routine, déjà... Néanmoins, l'expérience positive de la première année a laissé des traces et des envies, des projets, même. Si les conditions sont réunies en 2009-2010 - effectifs, moyens humains et matériels, l'expérience pourrait être relancée dans toute sa rigueur initiale: le casting est en effet déterminant pour éviter de retomber dans le schéma classique de la classe totalement hétérogène, pour lequel le dispositif n'est pas du tout adapté. Heureusement, l'établissement, situé en éducation prioritaire, bénéficie encore d'une certaine mixité sociale, ce qui devrait permettre à l'expérience de se renouveler. La principale et Pascal Forget, qui va retrouver une certaine disponibilité et serait volontaire pour prendre en charge une "sixième deux niveaux" à la rentrée, sont prêts à remettre petits pas et grands pas en ordre de marche à la prochaine rentrée.
 
auteur(s) :

M. Coupry

contributeur(s) :

P. Forget, Collège Le Marin, Allonnes [72]

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information(s) technique(s) : pdf

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