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syllogismes sans amertume

mis à jour le 13/06/2012


echanger dossier 1

En quoi la maîtrise d'une forme de raisonnement logique constitue-t-elle une compétence incontournable pour aborder le droit ? Une séquence de soutien, qui vise à construire l'acquisition de la technique argumentative du syllogisme, démontre à l'envi l'importance et les enjeux de cette compétence qui peut être considérée comme une clé de la démarche logique et juridique.

mots clés : échanger, droit, soutien, qualification juridique, argumentation, syllogisme


À l'heure où l'on apprend que l'accompagnement personnalisé en lycée doit être conçu en termes de compétences, il n'est pas si fréquent de rencontrer des ateliers de soutien qui fonctionnent sur ce principe, dans l'enseignement supérieur. En classe de BTS 1re année, un petit groupe d'étudiants des deux sections de Négociation relation client et assistant de gestion en petites et moyennes entreprises ou petites et moyennes industries se penche sur les arcanes retorses du syllogisme, chaque lundi soir depuis le début de l'année 2011. S'agit-il d'études philosophiques, logiques, littéraires ou juridiques ? Il est difficile d'en juger, puisque la séquence mêle indistinctement la pensée aristotélicienne, les syllogismes et les sophismes, un extrait d'une pièce d'Eugène Ionesco ainsi qu'un refus de priorité routière et des menus gastronomiques. Rappels théoriques et culturels, références littéraires, analyses de cas à traiter se succèdent.

Mise au point

Un pourcentage croissant d'étudiants qui arrivent en BTS sont titulaires d'un baccalauréat professionnel. C'est d'ailleurs l'effet d'une impulsion institutionnelle qui, de manière à augmenter le degré de qualification d'une cohorte, préconise de réserver un certain nombre de places aux élèves issus de lycées professionnels. Or, ceux-ci, qui n'ont pas reçu d'enseignement de philosophie, ont été moins préparés, de ce fait, à la conceptualisation. Il n'en reste pas moins qu'ils réussissent le plus souvent à obtenir le diplôme du BTS. De même, des étudiants insatisfaits des études dans lesquelles ils se sont engagés peuvent, dorénavant, intégrer une formation en BTS en cours d'année, à partir du second semestre. Cette réorientation, qui vise à éviter aux étudiants une perte de temps, oblige à prévoir à leur intention une remise à niveau afin de compenser leur non-présence lors du premier semestre. Cette configuration nécessite de plus en plus d'organiser des cours de soutien afin de franchir la marche, parfois haute pour certains, qui les sépare du niveau de cette formation. L'approche adoptée peut sembler spécieuse, originale, voire minimaliste. Elle part pourtant d'un diagnostic. L'exercice de qualification juridique consiste à partir du droit pour examiner des cas précis (voir annexe). Le code de la route se compose par exemple d'articles de loi qui trouvent leur application dans telle ou telle situation. Or les étudiants ont souvent tendance à passer directement du texte juridique à la conclusion sans tenir compte d'une étape intermédiaire qui constitue pourtant un élément indispensable de la démonstration. Le raisonnement en trois temps est donc incontournable. Afin d'améliorer la démarche argumentative, il convient de revenir sur certains prérequis logiques.

Une exposition absurde

Les étudiants découvrent d'abord un extrait de Rhinocéros écrit en 1959 par Ionesco. Satire du totalitarisme, cette pièce de théâtre met en scène, dans une ville imaginaire, un groupe de petits fonctionnaires progressivement atteints, telles les victimes d'une épidémie, par une vague d'endoctrinement. Pour dénoncer le fanatisme et la brutalité aveugle de la bête immonde des régimes autoritaires, Ionesco a imaginé que les personnages se métamorphosent tour à tour en rhinocéros. Parmi eux se trouve un logicien. Bérenger, un marginal alcoolique qui incarne, aux yeux du dramaturge, la conscience universelle, fait de la résistance. Dans l'extrait distribué, Jean tente de démontrer à celui-ci comment lutter contre son alcoolisme. Au cours d'un dialogue absurde interférant avec le précédent, le pseudo-logicien énonce des syllogismes tels que : "Tous les chats sont mortels. Socrate est mortel. Donc Socrate est un chat". Ce à quoi le vieux monsieur auquel il s'adresse lui répond : "C'est vrai, j'ai un chat qui s'appelle Socrate !". C'est l'occasion d'aborder les sophismes, soit les raisonnements fallacieux destinés à induire en erreur. Apparemment rigoureux et logique, le sophisme, qui imite le schéma du syllogisme, n'est en réalité pas valide, ce qu'il convient de ne pas confondre avec vrai. Pourquoi le philosophe Socrate n'est-il pas un félin ? Dans la réplique dramatique, la logique fallacieuse provient de l'insuffisance des prémisses. Le grand terme "mortel" n'est pas utilisé à bon escient, puisque le schéma strict du syllogisme exige que celui-ci se retrouve dans la conclusion, ce qui n'est pas le cas. Le caractère absurde de la pièce de Ionesco conduit à malmener la logique à des fins humoristiques. Mais l'inférence formelle, soit l'opération par laquelle on admet la vérité d'une proposition en vertu de sa liaison avec d'autres propositions tenues pour vraies, doit tenir compte de la construction rigoureuse des prémisses. L'analyse de ce sophisme est l'occasion de revenir sur la logique du véritable syllogisme, dont l'étude fait appel à de réelles compétences conceptuelles.

Avocat d'Aristote

Un petit rappel de logique formelle s'impose. On appelle syllogisme tout raisonnement déductif rigoureux tel que, de deux propositions premières nommées prémisses, on tire la conclusion qui s'y trouvait implicitement. Un syllogisme simple ne doit avoir que trois termes : le grand, le moyen et le petit terme. Chacun d'eux étant employé deux fois, il en résulte trois propositions. Dans la prémisse majeure, entrent les moyen et grand termes ; dans la prémisse mineure, les moyen et petit termes, dans la conclusion, le petit et le grand terme. Considérons l'exemple le plus connu sans doute de syllogisme : "Tous les hommes sont mortels. Or Socrate est un homme. Donc Socrate est mortel". La première proposition, soit la prémisse majeure, contient le grand terme : "mortel". Il s'agit d'une affirmation universelle. La seconde, prémisse mineure, contient le moyen terme : "homme". Le sujet "Socrate" est pris dans la totalité de l'extension du précédent énoncé. Dans la conclusion, dans laquelle le moyen terme "homme" n'apparaît pas, le petit terme "Socrate" est sujet tandis que le grand terme "mortel" est prédicat, soit attribut. Le moyen terme doit être présent dans chacune des prémisses afin de relier les deux autres termes, selon un schéma qui peut être modélisé de la manière suivante :



Le syllogisme permet donc de mettre en rapport deux termes au moyen d'un troisième. Comme le signale Renouvier dans son Traité, il s'agit d'"un rapport de rapports". Une biographie succincte d'Aristote est alors distribuée afin de rappeler que le philosophe grec est l'"inventeur" de la logique au sujet de laquelle il a écrit des traités réunis sous le titre Organon. Celui-ci a notamment systématisé l'usage des syllogismes et abordé l'argumentation éristique, soit spécieuse, dans ses Réfutations sophistiques.

Accident et gastronomie

Après ces prolégomènes littéraires et philosophiques, deux travaux dirigés sont enfin proposés, qui concernent plus directement le droit. Le premier cas pratique porte sur un accident de la circulation. À une intersection, un automobiliste arrivant à votre gauche, qui a percuté votre véhicule, refuse de signer le constat amiable, considérant qu'il est dans son droit. Comment démontrer à votre compagnie d'assurance que vous êtes dans votre droit en utilisant un raisonnement syllogistique ? Des articles du code de la route accompagnent l'exercice (voir annexe). Le second cas consiste à analyser une situation juridique à dominante culinaire. Un serveur d'une grande brasserie parisienne reçoit quotidiennement dans son appartement des inconnus auxquels il sert des menus gastronomiques moyennant finances. Peut-on considérer qu'il dirige une entreprise ? De même, des éléments de jurisprudence sont fournis afin de traiter ce cas (voir annexe). Ces exercices juridiques nécessitent de recourir au syllogisme pour argumenter.

La logique juridique

La pratique du droit implique donc l'exercice de la logique. L'argumentation que l'on y développe repose sur une démarche déductive. En effet, la loi expose un cadre général abstrait qui doit ensuite concerner des cas particuliers et concrets. En droit, des situations concrètes sont examinées. Comment les apprécier ? À quel texte de loi faut-il se référer pour statuer sur tel cas de figure précis ? Comment, à partir de celui-ci, raisonner sur une situation donnée afin d'aboutir à une conclusion pertinente ? Le savoir juridique s'allie au savoir-faire logique. C'est là que le syllogisme intervient. Toute situation de la vie sociale est susceptible d'être concernée par le droit. L'exercice de qualification juridique vise à découvrir la règle générale, à appliquer celle-ci au cas particulier pour lequel on cherche une situation juridique. Qualifier une situation consiste à déterminer la règle de droit applicable (ou prémisse majeure), à l'appliquer au cas étudié (prémisse mineure) afin d'en déduire une décision de justice. Maîtriser le syllogisme est donc indispensable pour mener une analyse juridique. L'évaluation des devoirs tient compte de la mise en œuvre rigoureuse de toutes les étapes de ce type de raisonnement. Comme en géométrie, la qualité de la démonstration importe au moins autant que le résultat, fut-il exact. D'ailleurs, les compétences analytiques et argumentatives s'appliquent tout autant, en BTS, dans d'autres disciplines telles que le marketing ou la culture générale et l'expression. En première et terminale, le français, les mathématiques et la philosophie recourent, de même, au syllogisme Tous les génies sont immortels. Or Ionesco fut académicien. Donc Ionesco a immortalisé le rhinocéros pour aider à l'étude du droit !
 
auteur(s) :

J. Perru

contributeur(s) :

D. Covin, Lycée La Herdrie, Vertou [44]

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information(s) technique(s) : pdf

taille : 242 Ko ;

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