Des points d’appui pour réussir l’expérimentationLe collège a déjà le vécu de la démarche d’expérimentation : de 2017 à 2020, le collège a expérimenté une nouvelle organisation de l’année avec la mise en place de la semestrialisation. Cette expérimentation était accompagnée par la Cardie. Il y a donc une culture de l’expérimentation au sein de l’équipe pédagogique : les acteurs ont l’habitude d’agir collectivement, s’autorisent à tester, à se tromper. Toute la communauté éducative est associée à la démarche : le dossier d’expérimentation déposé auprès de la Cardie a d’ailleurs été travaillé en équipe puis présenté et voté en conseil d’administration.
D’autres expérimentations ont été menées sur le thème de l’accessibilité, par exemple une classe “6e pour tous” avec une première réflexion d’équipe sur la différenciation et l’adaptation.
- Un contexte favorable : un nouveau coordonnateur Ulis et un nouveau principal arrivent. Ils partagent le même constat et des références communes. Le coordonnateur est titulaire d’un Capa-SH (Certificat d’aptitude professionnelle pour les aides spécialisées, les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en Situation de handicap) et prépare un Master Mash(Métiers de l’adaptation et de la scolarisation des élèves handicapés).
- L’accompagnement de l’expérimentation par Marie Toullec-Théry, maître de conférence à l’Inspé de Nantes, chargée de mission “école inclusive”, responsable du master Mash. Elle dirige le mémoire de master du coordonnateur Ulis. Elle permet au collège de bénéficier d’un regard extérieur et de l’éclairage de la recherche.
Sous l’impulsion du chef d’établissement et du coordonnateur Ulis, une expérimentation qui se déploie à trois niveaux
Une dimension organisationnelle• Les élèves Ulis et MDPH sont répartis dans les classes, à raison de 2 à 3 élèves par classe pour concilier deux impératifs : d’un côté, ne pas concentrer tous les élèves concernés dans une seule et même classe, pour éviter la stigmatisation ; d’un autre côté, rationaliser l’utilisation des moyens (1 AESH pour 2 ou 3 élèves).
• Les emplois du temps sont adaptés et modulés pour ces élèves, pour permettre :
- de répartir les temps d’évaluation afin qu’un AESH puisse être disponible pour les accompagner,
- de permettre des temps de “repos cognitif ” pour ces élèves qui en ont besoin.
Une mutualisation des moyensLes moyens “attachés” à tel dispositif (Ulis) ou tel type d’élève (notification MDPH) sont reversés dans un “pot commun”, qu’il s’agisse des AESH (collectif ou individuel) ou du coordonnateur Ulis, déchargé de l’essentiel de son temps de cours.
Ces moyens sont utilisés de trois manières :
• accompagnement des élèves en classe par les AESH ou le coordonnateur Ulis,
• co-intervention du coordonnateur Ulis en classe au côté des enseignants,
• prise en charge, par le coordonnateur Ulis ou des AESH, de petits groupes d’élèves (Ulis, MDPH et autres) en dehors de la classe pour un temps ciblé de remédiation, en accord avec les équipes.
Des valeurs et une philosophie clairement explicitée• L’inclusion : tous les élèves présentent des particularités (le genre, l’apparence physique, la langue maternelle, le handicap…) ; elles ne doivent pas être un obstacle à la scolarisation. L’école doit donc s’adapter à ces différences pour qu’elles ne deviennent pas des sources de difficulté voire d’échec scolaire.
• L’éducabilité de tous les élèves : tous les élèves peuvent réussir. Le handicap ou la difficulté ne sont pas propres à l’élève, mais résultent de la rencontre entre l’élève et la situation scolaire qui a été pensée pour lui. C’est donc bien la tâche qui met en difficulté l’élève “en situation de handicap”. C’est en adaptant la tâche, en rendant le savoir accessible, qu’on peut permettre à l’élève de faire lui-même et tout seul.
• La dimension sociale de l’apprentissage : quelles que soient les difficultés rencontrées par un élève, c’est au sein de son groupe de pair, de sa classe d’âge, que l’élève progresse le mieux, même si on ne le perçoit pas nécessairement de suite.
Ces valeurs sont explicitées et partagées au sein de l’équipe, notamment au moment des différents temps de concertation. Elles sont aussi appuyées par la recherche, grâce à accompagnement de Mme Toullec-Théry. La chercheuse présente notamment le constat établi par la recherche d’une plus grande efficacité de l'aide apportée par l'AESH lorsqu'elle n'est pas circonscrite à un individu mais élargie à l'ensemble des élèves qui en ont besoin, quels que soient leurs statuts (PAP, PPRE, notifiés Ulis). Cela réduit non seulement la stigmatisation perçue par l'élève aidé mais aussi les difficultés de posture pour l'AESH vis à vis des autres élèves. Les AESH ne sont alors plus perçus comme attachés à un ou quelques élèves prédéfinis, mais comme une ressource à disposition de tous les élèves.
Enfin, ces valeurs sont inscrites dans le règlement intérieur de l’établissement qui s’ouvre sur cette phrase : “le service public d’éducation est inclusif et vise la scolarisation de tous les élèves, quels que soient leurs besoins particuliers, en partenariat avec tous les acteurs internes ou externes qui les soutiennent”.
Une institutionnalisation de la concertationRelever collectivement le défi d’un collège inclusif passe par des temps de concertation institutionnalisés :
• lors de la prérentrée, une demi-journée de travail avec les enseignants et les AESH, pour reposer les principes de l’école inclusive, expliciter les critères de réussite d’une co-intervention réussie, lister les questions à se poser pour rendre accessibles les situations d’apprentissage…
• sur un créneau libéré le mardi midi, des réunions d’”ingénierie coopérative” regroupent régulièrement les enseignants par discipline pour échanger sur les obstacles et construire des remédiations (un exemple de production est proposé dans la rubrique “boîte à outils”). La 3e année, les créneaux d’ingénierie pédagogique ont été gardés mais les réunions ne sont plus institutionnalisées : on introduit de la souplesse en s’appuyant sur les habitudes de travail prises dans les équipes),
• la mi-semestre et en fin de semestre : des réunions d'équipe pour faire le point sur les progrès des élèves.
Ces temps de rencontre institutionnalisés se doublent de tout un travail “invisible” et “informel” : des échanges de mail et des discussions impromptues autour de la machine à café, qui donnent l’agilité nécessaire : transmettre les informations en temps réel, ajuster les interventions au plus près des besoins, trouver des solutions de dernière minute…
Une démarche de recherche actionLes temps de travail institutionnalisés permettent une prise en charge collective des défis professionnels rencontrés, dans une démarche de recherche-action : il s’agit de partir du “réel” (ex : observations en classe), d’identifier les nœuds de difficulté, de se nourrir de la recherche pour construire des séquences, des outils…
Parmi les exemples de questions travaillées lors des concertations, on peut citer :
La fatigue cognitive
Elle concerne tout particulièrement ces élèves, qui peuvent facilement se retrouver en surrégime. Cela peut se traduire par des difficultés d’attention, de la fatigabilité. Une phase d’observation menée par les AESH, qui sont au plus près des élèves, a permis de repérer les activités (tâches complexes notamment) et les moments (fin de demi-journée, fin de semaine) qui conduisent à cette fatigue cognitive. L’équipe s’attelle à identifier les étayages (voir dans la rubrique “Plus loin”) les plus efficaces, à mieux gérer les programmations et à ménager des moments de “repos cognitif” pour les élèves concernés : des temps où ils sont dans la classe mais effectuent des opérations simples (auditeur libre, tâches plus faciles liées à des automatismes…). Des craintes sont exprimées quant au regard des autres élèves et à la perception de l’élève lui-même à qui l’on confie une tâche différente de ses camarades. Marie Toullec-Théry s’est montrée rassurante sur ce point en affirmant que c’est plus une crainte d’adultes car les élèves ont désormais l’habitude de la différence au sein de leur groupe de pairs.
Les difficultés de la transposition
Certains thèmes apparaissent très compliqués à adapter, tout particulièrement à partir du niveau 4e, identifié par les enseignants comme un moment “critique” où, dans plusieurs disciplines, on bascule vers le théorique, l’abstraction et des concepts difficiles. Cela se manifeste par exemple avec l’étude de la génétique en SVT ou des textes des philosophes des Lumières en histoire. Les échanges portent sur le juste positionnement de l’étayage (voir dans la rubrique “Plus loin”), qui doit soutenir la compréhension (vocabulaire, questions-guides) mais laisser l’élève chercher lui-même le sens général du texte et son intérêt historique, au regard de la problématique de la séquence. Car c’est bien cela, finalement, le cœur de l’activité. On navigue donc entre deux écueils avec les élèves : leur demander trop / leur demander trop peu. C’est l’expertise de l’enseignant qui permet de déterminer la “zone proximale de développement” de l’élève. Les échanges entre collègues se sont révélés très utiles sur ce point.
De façon plus générale, il y a toujours le risque, pour mettre coûte que coûte l’élève en réussite, de parcelliser les tâches scolaires et d’en faire perdre le sens aux élèves : ils “font” mais sans savoir ce qu’ils font (sans “réflexion”) et, au final, ils n’apprennent pas vraiment.
L’enseignant est enfin vigilant à la dimension sociale et psychologique de l’apprentissage : redescendre à des tâches trop peu ambitieuses par rapport aux possibilités des élèves est très démobilisateur voire humiliant lorsqu’ils s’en aperçoivent.
Ces deux exemples montrent comment, grâce à l’institutionnalisation de la concertation et à cette dynamique de (co)formation, les professionnels de l’établissement montent progressivement en compétence, au bénéfice de tous les élèves.