En quoi le projet consiste-t-il ?Pour la troisième année

consécutive, je fais "équipe" avec la conteuse Claire Guillermin. Nous apprenons aux élèves à raconter des histoires et à se les approprier. Ça n’a l’air de rien, dit comme ça, mais c’est plus riche que ça n’en a l’air…
Chaque semaine, je profite des heures d’accompagnement personnalisé en demi-groupe pour faire découvrir des contes (que je lis ou que je raconte, sans donner le texte aux enfants), en lien avec la thématique de la séquence travaillée. Nous sommes installés en rond, sans tables ; je suis également dans le cercle. Après ma lecture, on peut préciser certains mots entendus, certaines idées peu claires, poser des questions ou pas. Puis, un élève prend la parole pour raconter le début du conte, un autre élève doit continuer et ainsi de suite. C’est un temps d’échanges et de co-construction : on n’attend pas un travail parfait. On discute quand les souvenirs d’un camarade-conteur ne sont pas justes ; on enrichit et on affine ensemble le vocabulaire ; on précise la façon de dire ; on cherche des détails pertinents pour le récit ; on travaille la logique de l’histoire, les paroles rapportées par rapport à la narration, l’expressivité, la dimension artistique de la parole ; on s’interroge sur le contenu du conte. Le tout se déroule dans une ambiance de coopération et de respect mutuel, du moins c'est ce qu'on apprend à faire !
Quand Claire Guillermin vient, à raison de deux fois une heure trente entre chaque période de vacances, la classe est au complet (28 élèves), elle conte, et nourrit ensuite la classe de ses connaissances, en fonction des réactions et questionnements des élèves.
Plusieurs fois dans l’année, je crée des occasions pour les élèves de raconter à d’autres personnes : des conteurs amateurs, des enfants de primaire, des parents. Cette année, il y aura en plus une rencontre inter collèges.
Nous sommes aussi en partenariat avec la bibliothèque municipale de Beaufort-en-Anjou, qui nous reçoit et nous prête des livres à volonté, que les jeunes peuvent choisir sur place.
Le projet s’est aussi enrichi depuis septembre 2018 de deux rencontres avec une autre conteuse, Typhaine Levaillant et de la création d’un webdocumentaire. Nous accueillons régulièrement Samuel Lebrun, journaliste et réalisateur. L’arrivée de la matière vidéo dans la classe est l’occasion d’une variété de propositions pédagogiques très créatives, originales et nourrissantes.
Pourquoi le projet m’intéresse-t-il ?
Petite, je ne lisais que des contes : une vraie passion. Je retrouve avec grand plaisir mes livres et ces histoires, que je suis heureuse de partager. Je trouve que c’est une très belle entrée dans la lecture, dans la littérature, accessible aux élèves sans être simpliste. C’est aussi un bel outil pour leur faire gagner en compétences sans qu’ils ne s’en rendent compte…
Par ce projet, j’expérimente, j’explore de nouveaux chemins, de nouvelles démarches pédagogiques. La classe est un laboratoire. Cette nécessaire créativité fonde mon plaisir à enseigner.
Je co-anime ainsi avec une artiste, qui a une formation et une culture bien différentes des miennes : j’en tire un enrichissement permanent. Réciproquement, je lui suis utile quand je peux transférer ses outils de conteuse et les rendre accessibles aux plus jeunes. Nous nous sentons vraiment complémentaires.
J’ai longtemps eu peur de travailler l’oral avec les élèves, et me voilà pourvue d’une expérience qui me libère de cette peur et me donne une vraie aisance par rapport à la parole de l’élève, une aisance qui se diffuse non seulement sur les autres activités, mais aussi sur les autres classes.
Au commencement du projetJe connaissais la conteuse et j’ai mené un atelier de pratiques artistiques en poésie pendant sept ans, qui a confirmé mon goût pour le travail avec des artistes. L’envie de toucher un autre art, et une conversation autour d’un thé (ou sur le parking glacial du collège, je ne me souviens plus !) a dû faire le reste.
Les bénéfices observés, pour l’enseignantePour aller à l’essentiel avant de détailler, je dois dire que le travail sur le conte a profondément modifié ma posture d’enseignante, et ma conception du métier. La matière des contes m’a amenée à me déplacer mentalement, comme les héros qui partent à l’aventure et progressent dans leur vie.
La compétence de Claire Guillermin, professionnelle de la parole, m’a donné de la confiance vis-à-vis des activités d’oral. Elle me transmet des savoirs sur le conte, des savoir-faire propres à l’oralité, et des savoir-être qui me permettent indirectement de mieux gérer la parole des élèves : je me sens plus précise dans mes observations et mes conseils.
Les valeurs qu’elle amène en classe rayonnent maintenant dans mes pratiques en général, et me semblent être capitales pour apprendre aux jeunes à grandir : la bienveillance et la coopération, qui sont le fondement du travail que nous proposons.
Nos discussions sur les activités, nos analyses qui croisent deux sensibilités, m’ont ouvert les yeux sur les enjeux de l’oralité, et sur ce que j’en fais en classe. Ces échanges affinent sans cesse ma compréhension de ce qu’est une histoire, sa réception et sa production ; j’explicite mieux les méthodes à utiliser et mes attentes.
La co-construction des séances ouvre des perspectives d’activités dont je n’aurais jamais eu l’idée, et qui varient le quotidien pour le plaisir de tous : faire cours sans table, assis sur les tables, debout, en rond…
Ma posture a été doucement bouleversée : mon "moi professionnel" s’est rapproché de mon "moi humain". Je sens mes gestes d’enseignante plus en harmonie avec les valeurs que je désire transmettre. Mon regard et mon attitude quant aux évaluations ont évolué aussi : je cherche davantage ce qui fonctionne, et je formule davantage de commentaires positifs et de conseils que de critiques. C’est ainsi que nous fonctionnons dans les "cours de contes".
Enfin, je comprends concrètement la place du corps, la place des émotions dans les apprentissages. Nous travaillons le français de façon "moins intellectuelle" et plus incarnée.
Il va de soi que ma relation avec l’élève est forcément différente d’avant ce projet : je considère davantage "l’être humain en construction" qui est en face de moi que l’élève. Les jeunes, je crois, le sentent et la relation, dans un sens comme dans l’autre, est vécue plus "humainement".
Les bénéfices observés, pour les jeunesIls semblent heureux de venir en français, ça me semble déjà beaucoup. Et quand la conteuse vient passer une heure avec eux, ils courent pour arriver. Assez rare pour le souligner…
Ils développent leur culture du conte de tradition orale, leur envie d’en lire, leurs compétences langagières (vocabulaire, syntaxe, conjugaison, ah ! le passé simple !!!) leurs compétences littéraires (l’intelligence et la logique de l’histoire, le narrateur, les paroles rapportées…), leurs compétences sociales (bienveillance, coopération, écoute, capacité à exprimer ses opinions). Et par les contes, ils comprennent que la vie est faite d’épreuves, qu’il faut surmonter et qu’on peut surmonter : ils grandissent.
Le projet leur donne un espace où ils peuvent dire qui ils sont : par les choix des contes qu’ils proposent, par leur façon de donner chair aux histoires. Leur investissement personnel s’accroît (si ce n’est à chaque cours, au moins une heure par semaine !)
Ce projet leur permet de mieux intégrer leur classe et le collège ; il me semble une bonne transition avec la primaire. Concernant l’intégration en classe, chacun apprend à se connaître plus vite, puisque chacun est obligé, dès la première semaine de cours, de prendre la parole devant les autres, et de se montrer tel qu’il est. La classe, d’ailleurs, semble être vite soudée, profiter des valeurs portant le projet contes.
La confiance en soi semble grandir au fil de l’année : à différents moments, les élèves content à d’autres personnes, des plus petits, des adultes inconnus, des 6e inconnus, puis leurs parents en fin d’année. Tous ces auditeurs, curieux et contents d’entendre des histoires, apportent leur regard valorisant sur les efforts du jeune.
A la fin de l’année, ma foi… les élèves savent tous (à peu près) raconter. Certains mieux que d’autres, c’est vrai, mais nous n’avons pas encore rencontré d’échec, même avec les enfants, justement, en échec scolaire. On aime à penser qu’ils le sont donc un peu moins grâce à ce projet contes…