Contenu

Lettres

Recherche simple Vous recherchez ...

espace pédagogique > disciplines du second degré > Lettres > enseignement

Prolonger l'étude d'"Une Charogne" de Baudelaire : analyse d'une vanité

mis à jour le 18/11/2021


v2.JPG

·         Le poème de Baudelaire "Une charogne" ne manque jamais de faire réagir les élèves. En effet, dans son renouvellement du memento mori en manifeste esthétique, la charogne y est paradoxalement présentée comme une source de vie, de création... mais à travers des mouches, des vers ! Voilà de quoi faire grimacer les élèves. Et pourtant, cette pensée, Baudelaire n'est pas le seul à la partager. Tentons de faire dialoguer les œuvres pour construire ou asseoir la culture artistique des élèves.

 


mots clés : écriture, poésie, Baudelaire, lycée, HDA, EAF


Analyse d'une Vanité exposée au musée de Remiremont

en lien avec l'étude d'Une Charogne de Baudelaire



I-Description générale de la ressource

Informations générales

·         Bourgeon Marie / Lycée Nelson Mandela à Nantes

·         Séance intégrée à la séquence sur l'étude des Fleurs du Mal de Baudelaire (Parcours associé : "Alchimie poétique : la boue et l'or")

·         Durée : 1h

·         Classe de 1ère

·         Le poème de Baudelaire "Une charogne" ne manque jamais de faire réagir les élèves. En effet, dans son renouvellement du memento mori en manifeste esthétique, la charogne y est paradoxalement présentée comme une source de vie, de création... mais à travers des mouches, des vers ! Voilà de quoi faire grimacer les élèves. Et pourtant, cette pensée, Baudelaire n'est pas le seul à la partager. Tentons de faire dialoguer les œuvres pour construire ou asseoir la culture artistique des élèves.

 

Présentation du contexte

·         Le constat de départ a été la réaction forte des élèves pendant l'étude d'Une charogne de Baudelaire et leur difficulté à réfléchir sur le genre de la vanité. Pour consolider leur réflexion, la mise en relation avec une autre forme artistique (la peinture) est donc apparue comme judicieuse.

 

II- Description de la démarche (cœur de la ressource)

La ressource ici proposée constitue une séance qui se situe après l'étude du poème Une Charogne de Baudelaire.

Les élèves ont donc été familiarisés avec la notion de vanité, mais dans une approche exclusivement littéraire.

 

La séance prend appui sur la représentation d'une vanité exposée au musée Charles Friry situé à Remiremont dans les Vosges. Pour information, une autre vanité, cette fois-ci attribuée à Adrian Verdoel, (peintre hollandais du XVII°) est présentée dans le deuxième musée d'art de la ville (Le musée Charles de Bruyères).

La Vanité proposée est attribuée à Juan de Valdès Leal, peintre espagnol qui vécut à Séville de 1622 à 1690. Il est rattaché au courant baroque et fut également sculpteur, doreur ou encore architecte. Il est considéré comme l'un des plus grands peintres de l'école andalouse et compta, parmi ses élèves les plus prestigieux, Marie de Médicis (épouse d'Henri IV). Malheureusement, la plupart de ses œuvres ont disparu. Son œuvre la plus connue est sans aucun doute "In ictu oculi" une immense vanité de plus de deux mètres de haut.

 

 

Petit rappel du genre de la vanité :

Les vanités picturales sont des tableaux qui interpellent le spectateur et lui donnent à voir les choses du monde qui lui procurent du plaisir ou qu’il admire comme des divertissements éphémères, voués à la mort.

 La vogue de ces tableaux au XVIIe siècle dans le nord de l’Europe peut s’expliquer par les événements historiques de l'époque : guerre de Trente ans (1618-1648), épidémies de peste, famines qui se succèdent au cours du siècle. Les États européens se trouvent dans des conditions économiques désastreuses, en raison de la crise grave qui a touché le continent et des lourds investissements militaires engagés par les gouvernements. La finitude de l’homme, la fragilité de son existence et de ses biens apparaissent alors comme des thèmes de prédilection.

Car là est le but de la vanité : suggérer que l'existence terrestre est vide, vaine, que la vie humaine est précaire et sans valeur. L'aspect spirituel et philosophique l'emporte ici sur les conditions historiques et matérielles. Par le choix des éléments représentés, la symbolique rappelle la fragilité et la brièveté de la vie, du temps qui passe, de la mort, le fameux "memento mori" ("souviens-toi que tu vas mourir") qui s'appuie sur le texte de l'Ecclésiaste, en particulier le verset 2e.

Sa représentation peut aussi bien figurer des personnages vivants (comme Les Ambassadeurs d'Holbein) que des objets (sablier, fleurs...) ou encore des crânes (symbole de la mort, c’est l'un des plus couramment utilisés).

 

Petit rappel de cette notion dans le poème de Baudelaire :

Baudelaire dans son poème renouvelle, à travers cette évocation de la charogne, le motif du "memento mori" en en faisant un manifeste esthétique. 

Si le poème commence par un récit marqué par la douceur (« Ce beau matin d’été si doux / Au détour d’un sentier » ), l'effet de chute a une dimension brutale : « - Et pourtant vous serez semblable à cette ordure ». Il y a donc apparition de la mort dans un endroit bucolique, comme une vanité : même les plus belles choses sont vouées à la pourriture. En effet, on ne constate aucune atténuation dans l’évocation du corps de la femme aimée qui va « moisir », promise à la mort qui la menace à l'image de cette chienne cachée derrière le rocher. La description de cette charogne semble cependant redonner vie au corps en décomposition : « pétillant », « vivait en se multipliant », « vivants haillons », « rendre au centuple à la grande Nature ». Elle grouille de vie : de la dépouille naissent des organismes vivants par centaines : « bataillons/De larves », « mouches », « vermine ».

Le lien avec une œuvre picturale est d'autant plus intéressant que l'évocation de la charogne entraîne celle d’une nouvelle forme d’art. Ce poème est un manifeste esthétique (il est en effet question de peinture et de musique dans le corps du poème : « et ce monde rendait une étrange musique », « mouvement rythmique » ; « Une ébauche lente à venir / Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève / Seulement par le souvenir. »). Il s’agit ici de faire œuvre d’art à partir d’autre chose que la beauté traditionnelle, idéale. Ainsi la charogne est paradoxalement présentée comme une source de vie, de création ! Par la transfiguration de la charogne, Baudelaire transforme la boue en or, opère son travail alchimique.

 

Le choix du tableau attribué à Juan de Valdés Leal :

 

L'art pictural de la vanité se divise en deux temps, deux périodes :

- Vers 1620-1630, la représentation dominante est le « déjeuner monochrome » : un nombre restreint d'éléments rassemblés sous un éclairage diagonal est présenté dans une harmonie brune ou grise (comme cette vanité de Simon Renard).

- Puis, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, le souci de composition et de couleur se développe chez les artistes.

 

L'originalité du tableau choisi est double :

- Représenter non pas un crâne ou un personnage vivant mais une tête en décomposition, dans la transformation de son état, tout comme dans le poème de Baudelaire.

- Mêler les deux tendances de la vanité en peinture : la première étant présente dans la sobriété du fond et le petit nombre d'éléments convoqués, la seconde dans le choix de la composition du tableau.

 

Attirance-répulsion, tels sont les deux sentiments suscités par le tableau et ses assemblages improbables : frayeur et répulsion pour la mort crûment signifiée par la tête et attirance par le livre, marqueur de la connaissance.

Tout le paradoxe de la peinture de vanité consiste en ce que le peintre, par toutes les techniques de son art, capte et même immortalise la beauté du monde, tout en contribuant à le dénigrer en montrant sa fugacité. Baudelaire et Juan Valdès de Leal nous le montrent tous deux ici.

 

Description de la séance

Les élèves sont amenés à découvrir la vanité et à en repérer les éléments marquants. Il leur est d'abord demandé de lister ces objets et de rechercher les métaphores évoquées.

 

Chacun de ces éléments sera ensuite travaillé pour lui-même, puis en relation avec le texte de Baudelaire. Ces deux phases sont présentées simultanément dans la suite du document pour plus de clarté, mais en réalité la connaissance du texte de Baudelaire a nourri la compréhension du tableau étudié : tel était un des enjeux de cette séance.

1 - Les élèves sont tout d'abord invités à regarder le tableau et à noter les différents éléments qu'ils repèrent.

2 - En classe entière, les élève sont invités à commenter le tableau : dirent les éléments repérés et analyser en semble leur symbolique

3 - Un troisième temps est donné pour qu'ils tentent de faire le lien, pour chaque élément, avec le texte de Baudelaire et son analyse réalisée au cours précédent.

4 - Le cours se termine par une mise en commun

Eléments analysés du tableau avec mise en commun avec l'oeuvre de Baudelaire.

- La tête : c'est là la particularité de la représentation. Il ne s'agit pas d'un crâne mais d'une tête en état de décomposition. Plusieurs éléments nous le montrent :

* La tête est posée, comme tranchée, sur un livre. Ainsi, elle marque le spectateur et impose dès l'abord l'idée de mort,


* les dents qui se déchaussent ou sont manquantes,

* Les yeux marqués par la disparition (il en manque un et l’autre est en partie décomposé),

* Le nez et la mâchoire qui tendent à perdre leur forme cela participe à  donner un aspect paradoxalement dynamique à l’image fixe et montre la decomposition comme un processus. 

 

* Les cheveux épars.

L'importance de la décomposition et le dégoût qui y est associé sont également caractéristiques de l'œuvre de Baudelaire. Nous pouvons en effet lire dans le poème : "Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve, / Une ébauche lente à venir," " La puanteur était si forte, que sur l'herbe / Vous crûtes vous évanouir." Sans aller jusqu'à l'évanouissement face au tableau, le rejet est sensible chez le spectateur de la vanité. De fait, les deux artistes jouent sur l'esthétique du choc pour interpeller le lecteur / spectateur et mieux mettre en valeur le message qu'ils veulent faire passer : la magie (alchimie) du travail artistique face à la condition mortelle de l'Homme.

 

 

- Cependant, des éléments plus subtils marquent l'idée de vie dans le tableau :


* de la bouche sortent des vers. Certes, ils sont liés à la décomposition des chairs mais ils sont surtout le signe que paradocalement la vie nait de cette tête coupée.

* Une mouche est posée sur le front : se nourrissant ou pondant ses œufs ? Elle témoigne elle aussi de la vie naissant de la mort.

Ce même motif est présent dans l'œuvre de Baudelaire pour mettre en valeur l'idée que de la mort nait la vie. La précision du peintre est la même que chez le poète : mouches et vers à profusion. ("Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride, / D'où sortaient de noirs bataillons /De larves, qui coulaient comme un épais liquide /Le long de ces vivants haillons. / Tout cela descendait, montait comme une vague, /Ou s'élançait en pétillant ; /On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague, /Vivait en se multipliant." et "Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine / Qui vous mangera de baisers, / Que j'ai gardé la forme et l'essence divine /De mes amours décomposés !")

 

- Autre élément marquant de l'œuvre : le livre. On peut supposer qu'il s'agit de la Bible (notamment par la citation insérée en bas du tableau et qui est issue du texte biblique). Le contraste entre le crâne et le texte religieux rappelle que tous les biens terrestres sont éphémères et futiles, comparés à la mort et à la parole divine.

La notion divine est convoquée par Baudelaire, même si elle est plus complexe : il s'agit plutôt chez le poète de la Nature Divine. Cependant, dans les deux cas, un regard supérieur qui rappelle à l'Homme sa petitesse est présent ("Et le ciel regardait la carcasse superbe")

 

- La citation latine en bas du tableau «Quae prius anima mea tongere nol[e] bat / nunc cibi mei sunt" (Job, C:VI:V:7) ("Ce que je voudrais ne pas toucher c'est justement ma nourriture si dégoûtante soit-elle !"). Elle est issue du Livre de Job. L'interprétation reste libre mais à la vue du tableau, celle d'une dénonciation de la chair et de ses plaisirs est à privilégier : de la beauté des corps, il ne reste plus que les os. Le dégoût de la mort est ce que nous « toucherons » donc tous, métaphoriquement d’abord puis concrètement. De plus, nous sommes le terreau de la vie future.

Cette idée est présente dans le texte de Baudelaire avec la compagne qui se promène à ses côtés. C'est elle qui a les réactions que l'on peut supposer être également celles du spectateur. Elle a sans doute dû oublier sa condition de mortelle avec la fin qui l'attend et Baudelaire, tout comme le peintre ici vis-à-vis du spectateur, le lui rappelle. ("La puanteur était si forte, que sur l'herbe / Vous crûtes vous évanouir.")

 

- Le fond du tableau et sa taille permettent d'aborder deux questions : Pourquoi peindre une vanité ? A qui s’adresse-t-elle ? Le tableau est marqué par les couleurs sombres. Bien sûr, cela participe au climat mortifère du tableau mais surtout, le peintre a voulu mettre en valeur le crâne présenté. En effet, la taille du tableau, présentant un crâne en taille réelle, met le spectateur face à lui-même, face à son futur. Tel un miroir, la toile le renvoie à sa propre condition, sa vulnérabilité, son statut de mortel.

Là encore, les artistes se font les sages qui rappellent au lecteur / spectateur sa condition. La réflexion sur la mort est présente aussi bien dans la vie et l'œuvre de Juan de Valdès Leal que dans celles de Baudelaire, elle est un support à la création artistique. ("Et pourtant vous serez semblable à cette ordure, / A cette horrible infection, /Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces, /Après les derniers sacrements, /Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses, /Moisir parmi les ossements.")

La vanité est souvent assimilée à tort à un type particulier de Nature morte. Cette séance montre aux élèves qu'elle n’est pas un genre pictural, mais plutôt un sujet de méditation puisque peintre et poète sont habités par sa portée réflexive, c'est à dire par sa dimension introspective, existentielle et l'utilisent comme source d'inspiration et comme objet de (re)création. Elle traverse les siècles et les arts sous des formes diverses, qui vont de la composition d’objets au portrait, en passant par le trompe-l’œil et la scène de genre ou encore les poèmes.

Les élèves ont pu mettre en perspective et recontextualiser les notions abordées en cours sur Baudelaire. Ils se sont constitué une culture littéraire et artistique par le dialogue entre deux œuvres de genres et époques différents.

 

 

Prolongements possibles :

 

- Lister à partir de métaphores des objets contemporains propres à illustrer des vanités, représenter ces objets et les agencer de façon à composer une vanité.

- Prolonger des vanités et natures mortes dont les élèves ne reçoivent qu’un fragment, par le rajout de dessins, tracés, collages.

 

- Allégorie de la vie humaine de Philippe de Champaigne : séance proposée sur page artistique de l'académie de Nantes

Nous remercions la ville de Remiremont (88) de nous avoir autorisé à reproduire la Vanité du musée Charles Friry

Image : Vanité     Auteur : Adrian Verdoel    Lieu : Musée Friry de Remiremont Licence : domaine public (CC0)

 
auteur(s) :

Bourgeon Marie, Enseignante au lycée Mandela de Nantes

information(s) pédagogique(s)

niveau : Lycée tous niveaux, --- LYCÉE ---

type pédagogique : scénario, séquence

public visé : enseignant

contexte d'usage : classe, atelier, AP

référence aux programmes :

haut de page

D'autres ressources pouvant être utilisées pour Baudelaire :
>La synesthésie : exemple de correspondances SVT/ Lettres
>
Intégrer la pratique de la danse contemporaine en cours de français
>
Rimbaud en rap : dire, écrire et faire vivre la poésie (applicable à plusieurs auteurs)

Et encore plus de ressources pur le lien ici

Lettres - Rectorat de l'Académie de Nantes