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Jouer sérieux ou jouer tout court en classe ? Quels problèmes cela pose-t-il pour l’enseignant ? Le cas d’Assassin’s Creed Unity

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L’introduction en classe de jeux étiquetés grand public et qui n’ont pas été initialement conçus à des fins pédagogiques – ce que l’on nomme « jeux sérieux » - pose des problèmes nouveaux. Cette courte analyse prend comme point de départ la polémique autour de l’utilisation, en histoire, du jeu de la société Ubisoft Assassin’s Creed Unity.


Un discours historique qui n’est pas neutre


L’utilisation publicisée du jeu Assassin’s Creed Unity en cours d’histoire de 4ème, dans le cadre d’un chapitre difficile intitulé « Les temps forts de la Révolution française », a fait naître un vif débat autour de ce que le jeu offre à voir et à comprendre sur la Révolution.

En effet, pour ses détracteurs, le jeu proposerait la vision d’une époque où la violence serait omniprésente, perpétrée par le commun dans un Paris peu sûr… C’est là un vieux leitmotiv de l’historiographie où la capacité révolutionnaire du petit peuple parisien est montrée sous l’angle de la sauvagerie, de la barbarie.

Cette vive controverse autour des partis pris du jeu a amené les historiens Jean-Clément Martin et Laurent Turcot (qui ont travaillé comme consultants à Ubisoft, éditeur du jeu [sic]) à sortir un livre (1) qui éclaire sur l’impossible neutralité qu’engagerait toute réappropriation de l’objet d’étude Révolution française. Cette évacuation du politique (alors que la controverse le fut) et des responsabilités remet donc l’enseignant face au jeu et à l’état de fait de son existence et de son discours.



Un discours historique au service du jeu


Cette violence du Paris révolutionnaire, qu’elle soit assumée ou critiquée, n’est en rien une vision historiographique orientée et défendue. Elle sert juste un jeu qui s’en nourrit pour son scénario qui n’aurait que faire d’un contexte paisible. La violence historique est ici au service de la violence du jeu. Elle en est même une nécessité et un élément constitutif de son succès. L’extraction, à des fins pédagogiques, d’un simple visuel ou – plus ambitieux – d’un gameplay afin d’insérer l’élève dans l’ambiance du Paris révolutionnaire, ne peut donc se soustraire à cette violence qui donne corps au jeu.

Se pose donc une question importante pour les enseignants utilisateurs : comment poser une démarche pédagogique, critique, sur cette vision de l’histoire sans se soustraire d’une critique sur le jeu et les règles qu’il impose au joueur ?



Jouer sérieusement ?

Les tenants du gameplay (soit jouer pleinement au jeu afin d’accéder à des savoirs) attendent donc des capacités (être capable de jouer) et une attitude (se mettre dans la position du joueur) qui conditionnent l’accès au savoir visé et le détermine.

Une professeure d’histoire-géographie, qui a utilisé, il y a quelques années, un autre épisode d’Assassin’s Creed pour une étude de la Renaissance, racontait sur son blog (2) : « […] Je crois de mon côté que si on veut utiliser les jeux en classe, il faut d'abord faire jouer et prendre du plaisir, et ensuite voir ce qu'on en retire pour les apprentissages. Le problème avec les jeux vidéo c'est qu'ils n'ont tellement pas leur place dans la classe qu'on est obligé de justifier auprès des élèves leur usage en expliquant l'objectif "sérieux" qui est derrière. Du coup c'est pas tellement marrant...[...] ».

Cette position fait aujourd’hui écho : jouer au jeu en classe (primauté à l'appétence du jeu, source de plaisir) pour ensuite éventuellement apprendre.

Se pose ici la question de l’enjeu. Si amener les élèves à « jouer sérieusement » fait que l’on se rapproche le plus possible de ce qui peut servir à la finalité pédagogique, certains enseignants évacuent le côté « sérieux » du jeu pour mettre en avant le plaisir de jouer comme préalable décomplexé aux apprentissages. Cette position est dangereuse car le jeu possède des caractéristiques propres dont l’enseignant doit tenir compte et que Roger Caillois (3) énumère : compétition, hasard, simulacre, vertige. Cela induit une pédagogie de la critique du jeu qui intègrerait ces données, ce qui n'est pas simple. Entrer dans la pratique du jeu suppose d'avaliser un mode opératoire que les concepteurs du jeu ont déterminé et balisé selon un scénario, une règle du jeu, que le joueur ne peut maîtriser (qui joue ? Pour quelle finalité ? Selon quelles règles ?).

Faire jouer les élèves en classe soulève, en outre, bon nombre de problèmes nouveaux sur l’inégalité des capacités à jouer, l’inégalité des attitudes à vouloir jouer (le jeu lui-même ayant été conçu pour un public cible). Le droit d’utiliser publiquement un jeu, en dehors de la sphère privée, est également évacué.



Une violence mise en scène et évaluée

Violent, le jeu Assassin’s Creed Unity a été classifié PEGI 18. Or, devrait-on occulter la portée pédagogique d’un jeu sous prétexte que certains de ses aspects soient réservés à un public averti et majeur ?

 
 Classification du jeu Assassin’s Creed Unity. Source http://www.pegi.info

Si le PEGI est considéré comme un modèle d’harmonisation européenne en matière de protection de l’enfance. Un article du quotidien Le Monde fait un point sur les faiblesses de ce dispositif uniquement informatif, mis en place par les éditeurs, et notamment sa subjectivité selon les pays, les cultures. Simple label et, jusqu’à présent, sans réelle valeur juridique, il est pourtant devenu une référence reconnue par les pouvoirs publics et un amendement récent de l’Assemblée Nationale sur un projet de loi (4) est venu le confirmer. Un décret prévu le 1er octobre 2015 devrait ainsi rendre obligatoire cet étiquetage sans, pour l’instant, plus de contrainte que la volonté d’information et de prévention.

Extirper des séquences de jeu dénuées de la violence qui globalement le caractérise, pose le problème de l’appréciation (subjective) du professeur sur le seuil de violence acceptable par ses élèves. De même, utiliser le jeu comme vecteur d’apprentissages c’est aussi en faire, indirectement, la promotion, ce qui considère à penser à une probable répercussion sur les usages privés de l’élève. Pour les responsables légaux, l’achat à un mineur d’un jeu classé PEGI 18 deviendrait donc légitime puisque l’école y verrait un intérêt pédagogique.


Conclusion

L'utilisation en classe d'un jeu aussi élaboré qu'Assassin Creed Unity - ou de tout autre jeu de ce type - ne va pas de soi. Cela réclame un travail critique, un positionnement juridique et éthique de l'enseignant pour contrebalancer, à son avantage, le discours porté par le jeu. C'est notamment le travail mené par Pascal Mériaux, IAN de l'Académie de Lyon dont la ressource éprouve quelques panoramas du jeu à la lecture critique d'un historien. Par ce travail, une distance raisonnable est mise entre le jeu et l'élève.

Cette posture invite également à pondérer tout enthousiasme consistant à voir dans le jeu grand public l'acmé d'une pédagogie innovante, antithèse de l'ennui, et qui tirerait partie des compétences de l'élève trop souvent projeté comme joueur.


Vincent Folliot
Interlocuteur Académique au Numérique en Histoire-Géographie
Chargé de mission à la Délégation Académique au Numérique
Suivi des expérimentations et du Numérique Responsable

 
Notes :

1. Jean-Clément Martin, Laurent Turcot, Au cœur de la Révolution : les leçons d'histoire d'un jeu vidéo, Vendémiaire, 2015.
2. Caroline Jouneau-Sion, http://pedagotice.blogspot.fr/2011/05/la-renaissance-avec-assassins-creed-ii.html
3. Roger Caillois, Les jeux et les hommes, le masque et le vertige, Gallimard, 1958.
4. Projet de loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, adopté par l’Assemblée Nationale (article 22).
 

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