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à l'écoute de soi et des autres : apprendre par corps en cours de français

mis à jour le 03/04/2019


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Au collège J. Peletier (Changé - 72), Moïsa Pariaud, professeure de lettres modernes, rythme ses séances par des activités qui mobilisent le corps. Protéiforme et créative, sa pratique revisite des exercices de théâtre et intègre de véritables temps de relaxation, favorables à l’ancrage des apprentissages. Comment faire place au corps dans le dispositif pédagogique afin de développer une meilleure qualité d’écoute et de concentration ?

mots clés : échanger, collège, yoga, théâtre


Dernière heure de la matinée en ce vendredi de décembre. Debout, face à la classe, un jeune chef d’orchestre improvise une succession de mouvements sur fond musical. Son public reproduit ses gestes. Quelques minutes plus tard, les mêmes élèves sont debout derrière leur chaise. Guidés par la voix de leur professeure, ils effectuent un enchaînement de mouvements (étirements, assouplissements) accompagnés du souffle. La posture se termine mains derrière la nuque, cage thoracique en avant. “Cet exercice permet de se recentrer, explique M. Pariaud. Ainsi, je ramène les élèves au travail”. Ce matin-là, au moment de l’entrée en classe, elle a observé une énergie débordante, inappropriée à la séance. L’activité a permis d’apaiser le groupe. “Nous avons ensuite travaillé avec efficacité sur la conjugaison du passé simple. Nous n’avons pas perdu cinq minutes, nous en avons gagné quarante-cinq !”, remarque la professeure.
Cette introduction de séance illustre sa pratique qui associe de manière inédite deux domaines : le théâtre et le yoga. “’y suis arrivée progressivement, à un moment où je souhaitais renouveler mes pratiques professionnelles”, explique l’enseignante qui a une formation en danse et en théâtre. Elle anime d’ailleurs des ateliers théâtre au collège, prémices de sa réflexion. Les ateliers théâtre commencent toujours par des exercices de cohésion qui visent à motiver les participants et à construire le groupe. Elle a remarqué qu’ils permettent de remobiliser l’énergie de tous, élèves comme adulte, même à l’issue d’une journée de cours. Savoir travailler ensemble, savoir se concentrer : ces deux compétences sont de fait indispensables pour apprendre. Pour favoriser la concentration, intégrer le yoga aux séances est apparu comme une continuité du travail amorcé autour de l’expérimentation par le corps. Elle s’est formée auprès de l’association RYE, agréée par l’Éducation nationale1. L’association forme les enseignants au yoga pour les enfants. Sans matériel, sans même quitter leur place, en quelques postures simples et répétées au fil des séances, les élèves apprennent à se relaxer, accèdent à la capacité de faire abstraction de leur environnement immédiat (visuel et sonore) l’espace de quelques minutes. C’est un moment de pleine concentration favorable à une écoute active du professeur qui permet notamment de canaliser l’énergie des élèves et favorise le retour au calme. Dans ce cadre, l’enseignante s’adapte à l’humeur du jour de la classe en mettant en place une rapide activité qu’elle n’avait pas initialement programmée. Mais la pratique de M. Pariaud s’ancre surtout au cœur même des séances selon les objectifs d’apprentissage visés.
 
L’expérimentation par le corps permet de créer des images mentales, de mieux visualiser des scènes en les ressentant. C’est un outil précieux pour travailler la compréhension de texte. La professeure prépare sa séance en pensant l’incarnation du récit par le corps. “Il s’agit d’un travail d’imprégnation du texte”, précise-t-elle. Dans le cadre d’une période sur les fables de La Fontaine en sixième, elle a consacré plusieurs séances à la lecture et à la mise en scène du texte “Le Chêne et le Roseau”. Lors de la première séance, après la découverte du texte et quelques premiers échanges sur sa compréhension, elle a proposé aux élèves de vivre la fable en expérimentant les sensations des deux arbres. Ici, comme souvent chez La Fontaine, le plus fort n’est pas celui que l’on croit. La fable évoque la condescendance du chêne, solide et massif, à l’égard du roseau, fin et d’apparence fragile. Au final, le vent déracinera le chêne et fera seulement plier le roseau. L’enseignante propose aux élèves une succession de postures d’arbres qui leur permettent par exemple de ressentir par le corps les racines du chêne qui ne peut pas bouger, la souplesse du roseau et l’intervention du vent qui souffle, via des exercices de respiration. Concentrés sur la voix comme sur leurs sensations corporelles, les élèves parviennent à un second degré de compréhension du texte. L’activité facilite aussi le travail de mémorisation à venir grâce aux souvenirs du corps et aux images mentales associées. Lors de la séance finale, les élèves proposent une mise en voix du texte mémorisé et une petite mise en scène, en réinvestissant les postures d’arbres et le souffle du vent. “La relaxation transforme la personne, explique l’enseignante. L’élève part en voyage imaginaire, il ressent des émotions, visualise des situations, des lieux… Il trouve alors des idées, il est donc en situation de réussite”. Ce type d’activité est également approprié pour préparer un exercice d’écriture. À l’issue de l’exercice, les élèves regagnent leur place, notent toutes les idées qu’ils ont eues. Ils écrivent volontiers et rapidement, fini le syndrome de la page blanche, place à la créativité. “On gagne aussi en qualité d’écoute lors de la lecture des textes des pairs”, note l’enseignante. C’est un moment de partage attendu qui suscite l’intérêt de tous.
 
Pour travailler la compréhension de texte, le professeur de français propose parfois aux élèves de mimer un extrait. On peut ainsi confronter différentes représentations et vérifier la pertinence des propositions en relevant les indices dans le texte. Au cycle trois, l’incarnation du texte par le corps facilite la compréhension ; au cycle quatre, elle permet d’ouvrir le champ de l’interprétation littéraire qui semble parfois si difficile aux élèves. M. Pariaud a travaillé des fragments poétiques extraits des Feuillets d’Hypnos de René Char avec une classe de troisième. Les courts textes sont affichés partout dans la classe et dans un premier temps, les élèves en choisissent un, le prennent en main. Le professeur donne quelques consignes rapides qui visent à se détendre pour mieux se concentrer sur le texte. Lors de cette étape, c’est l’enseignante qui lit à haute voix plusieurs extraits poétiques. Ensuite, les élèves vont préparer leur propre lecture. Cette phase se fait en marchant. “Il s’agit de marcher en pleine conscience avec la phrase”, explique la professeure qui donne des consignes pour inviter chacun à expérimenter des gestes, des mouvements, des déplacements qui pourraient traduire l’émotion de leur texte. L’élève est ensuite invité à associer la voix à la marche ; il faudra trouver le ton, le rythme, le volume sonore adéquats pour dire la phrase. C’est une première approche de l’interprétation littéraire que chacun mène sans en avoir forcément conscience mais en confiance car ils réussissent l’exercice : chacun a une proposition finale.
 
Ces activités s’inscrivent pleinement dans le cadre du domaine deux du socle commun de connaissances et de compétences : des méthodes et des outils pour apprendre. “Sois plus à l’écoute, concentre-toi”, ces conseils sont bien souvent promulgués aux collégiens sans toujours donner les clés pour y parvenir. Ici, le processus de concentration associé à des mouvements est toujours accompagné par la voix du professeur ; il est donc étroitement lié à l’écoute. Mais la pratique interroge aussi le rythme des séances, l’alternance d’activités assis, debout, en déplacement, seul, à plusieurs… Certaines sont conçues comme de courtes parenthèses à l’intérieur de soi. M. Pariaud souligne d’ailleurs l’intérêt qu’elle peut trouver à ritualiser des temps où l’on travaille simultanément concentration et mémorisation. Ces rituels prennent place en début ou en fin d’heure pour une durée de cinq à dix minutes. La professeure invite les élèves à se relaxer grâce à un enchaînement progressif de postures qui permettent à chacun d’adopter une bonne tenue de sa colonne vertébrale, essentielle au travail, et de lâcher des tensions installées à son insu.
En phase avec la dernière posture, elle donne les éléments des apprentissages du cours. Pour lancer la séance, elle rappelle ce qui a été fait lors du cours précédent, annonce les activités du jour et donne la première consigne de la séance. En fin d’heure, elle fait le bilan du travail mené et le point sur les notions nouvelles juste avant de prendre l’agenda. Cette pratique peut également être associée aux temps d’évaluation : avant une évaluation ou au cours d’une évaluation. Par exemple, lors d’une dictée, la professeure propose l’activité yoga après la dictée du texte mais avant la relecture. Une fois qu’ils sont relaxés et concentrés, soit elle relit la dictée, soit elle reformule le texte de la dictée afin de souligner le sens du récit et ainsi faire prendre conscience des erreurs possibles, d’homophonie par exemple. Suite à cette “pause”, les élèves se mobilisent mieux pour l’étape de relecture, d’autocorrection.

“Il faut apprendre et expérimenter soi-même par le corps avant d’initier la pratique en classe, conseille M. Pariaud2. Ensuite, il est inutile se formaliser si certains rient ou bougent, c’est qu’ils ne sont pas encore à l’aise, mais avoir confiance dans ce que l’on propose aux élèves. Une clé est de ne pas amener d’autorité dans ce projet”. Cette pratique stimule l’esprit comme le corps des élèves qui développent une écoute active. Pragmatiques, les activités invitent les élèves à développer également leur créativité, les placent en situation de réussite. “Nous vivons des apprentissages heureux”, ont un jour témoigné les élèves. Un plaisir partagé qui a conforté l’enseignante sur le bien-fondé de sa démarche.
 

1. L’association (loi 1901) Recherche Yoga pour l’Éducation a été fondée en 1978. Elle est reconnue par un agrément du Ministère de l’Education nationale au titre des associations éducatives complémentaires de l'enseignement public (arrêté du 4-7-2013). L’association forme au yoga pour les enfants ; de nombreuses ressources pédagogiques sont disponibles sur le site. En classe, il s’agit d’apprendre à ressentir sa colonne vertébrale, à prendre conscience de son assise en tant qu’ancrage et aussi de sa respiration. Pour cette pratique, nul besoin de matériel.
2. Stages proposés dans le cadre du plan académique de formation (théâtre, développer l’empathie par le corps), formations proposées par l’association RYE, travail d’équipe (tester ses séances entre collègues…).
 
auteur(s) :

N. Le Rouge

contributeur(s) :

M. Pariaud, Collège J. Peletier - Changer [72]

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