La pratique de l’attention constitue une seconde forme de pause partagée. “C’est une opportunité dans l’autonomie pédagogique, poursuit Jérôme Maufrais, fondée sur le volontariat et la nécessité d’une formation, c’est pourquoi il est impossible de l’imposer.” Mais alors, comment ce projet est-il né et comment s’est-il déployé dans le collège ? Au début, il s’est agi d’une expérimentation au sein du Dispositif de relais interne (DRI). “Le DRI est un comme un petit laboratoire d’innovations”, explique Samia Charmi, professeure d’espagnol. “Nous sommes toujours en quête de nouveaux outils pour travailler autrement, remobiliser de petits groupes d’élèves dans les apprentissages”, complète Jean-Baptiste Leurent. Au départ, le professeur d’EPS a découvert et pratiqué ces exercices d’attention à titre personnel. Il a très rapidement vu l’intérêt de proposer cette technique à l’école. Jean-Baptiste Leurent a partagé son expérience et ses connaissances avec ses collègues du DRI ; chacun a commencé à pratiquer régulièrement, condition incontournable avant de se lancer auprès des élèves. La réception des collégiens, en terme de qualité d’écoute, a été excellente, au-delà des espérances des professeurs. Les élèves reparlaient d’une semaine à l’autre des exercices réalisés et souhaitaient recommencer. D’autres professeurs du collège ont alors été intéressés. Jean-Baptiste Leurent a compilé une banque d’exercices à destination de ses collègues puis, à la rentrée suivante, la nécessité d’une formation commune s’est imposée. Deux années consécutives, une dizaine d’enseignants volontaires du collège ont suivi une formation à destination des professeurs assurée par le centre de psychologie
Cogito’z1 de Nantes. À l’issue de la formation, chaque participant était capable de se lancer avec une classe. Il y a alors eu un
véritable élan dans le collège. Entre 2018 et 2020 (jusqu’au moment de la crise sanitaire), chaque classe a bénéficié d’une pause de pratique de l’attention le matin, de deux à quatre fois par semaine, selon les contraintes des emplois du temps. Pour faire vivre ce projet, il faut pratiquer soi-même et échanger, cela implique de dégager du temps pour des échanges collectifs. L’équipe pilote a alors organisé des pique-niques « pratique de l’attention » au cours desquels les professeurs parlaient de leurs réussites et difficultés, pratiquaient ensemble, échangeaient des ressources. Jouxtant la salle des professeurs, une pièce a été renommée la “Zen room” : plusieurs fois par semaine, sur le temps de pause méridienne, un membre de l’équipe pilote
2 y anime une pause de pratique de l’attention d’une durée de 10-15 minutes à destination de toute la communauté éducative du collège et des agents. Cela permet de fédérer l’équipe du collège autour d’un temps de bien-être commun régulier, bénéfique pour ceux qui ne prennent pas ce temps chez eux ou tout simplement pour découvrir la pratique.
“La pause de pratique de l’attention, c’est ma carte magique ! témoigne Samia Charmi. Quand les élèves sont fatigués, stressés, les effets sont immédiats.” L’enseignante souligne le fait que ce temps court régulier permet de tisser une relation différente avec les élèves. Cette différence vient d’un engagement partagé, d’une acceptation initiale de part et d’autre. Du côté élève, il s’agit d’accepter de participer à une activité déconnectée de tout apprentissage scolaire, qui “ne sert à rien”, comme témoigne un élève de 6e. C’est une activité qui ne vise pas à mémoriser, à comprendre, qui n’est soumise à aucune évaluation, que l’on n’est pas obligé de réinvestir
3. Et puis, il y a la question de la posture. “C’est compliqué, la première fois, de rester immobile”, explique une élève. “Au début, j’étais très nerveux, maintenant j’arrive à ne plus bouger, j’en suis fier, je suis détendu” relate un troisième collégien. Côté professeur, il faut aussi accepter d’adopter cette posture corporelle inhabituelle et de guider par la voix les élèves, avec un débit vocal qui n’est pas celui de l’enseignement. Samia Charmi s’adapte à l’ambiance de la classe, au ressenti de l’instant. “Quand je garde les yeux ouverts, c’est pour faire éventuellement signe aux réfractaires ou pour observer les élèves pendant l’exercice, explique-t-elle, mais c’est aussi très agréable de se laisser aller, de se détendre avec eux et même de fermer les yeux.” La professeure signale alors tacitement à la classe la confiance qu’elle lui accorde, ce qui contribue à enrichir la qualité de la relation enseignant-élèves, au-delà de la pause “pratique de l’attention” elle-même. Elle utilise souvent les images mentales, symboliques, comme support d’exercices. “J’aime beaucoup, par exemple, l’image de la montagne. On s’imagine être une montagne qui traverse les saisons mais qui malgré les caprices météorologiques est toujours là. C’est une image qui renforce la confiance en soi.” Plus on pratique soi-même, plus on acquiert aisance et liberté dans les propositions de pratique avec les élèves, explique l’enseignante. À partir de la fin du premier trimestre de la classe de 4e, suite à une séquence au programme qui permet d’acquérir le vocabulaire du corps, l’enseignante mène la pause en espagnol. “J’ai l’impression d’être dans mon enseignement, de travailler la compréhension. Les élèves apprécient car cela les oblige à être encore plus attentifs. J’ai l’impression de capter leur attention et d’intégrer la pause à la séance.” Au final, le droit de participer ou de se mettre en retrait, la simplicité de réalisation de l’activité fondée sur l’observation de sa respiration et son écho dans l’ensemble du corps, la brièveté de cette pause, loin des enjeux scolaires, favorisent l’adhésion de la majorité des élèves. Puis, la transition vers le cours se fait naturellement. “Je laisse quelques secondes aux élèves, le temps pour ouvrir les yeux, puis j’allume la lumière ou je remonte les stores. La transition vers les apprentissages n’est donc pas verbale, ce n’est pas un besoin”, explique Samia Charmi.