Contenu

innovation pédagogique

Recherche simple Vous recherchez ...

espace pédagogique > actions éducatives > innovation pédagogique > échanger

pratiquer l’attention en classe : une pause ancrée dans le temps scolaire

mis à jour le 31/08/2021


dossier_7.png

Au collège Jean Cocteau (Coulaines-72), une équipe de professeurs pilote un projet autour de temps de pause courts, menés en classe et consacrés à la pratique de l’attention. Fondé dans un esprit de mutualisation et de partage des ressources associé à des temps initiaux de formation, le dispositif s’inscrit dans une démarche collective en lien avec une réflexion d’établissement sur le temps scolaire. Insérer des pauses régulières dans le quotidien des élèves afin d’améliorer leur attention et, au-delà, leur bien-être : comment construire un tel projet à l’échelle d’un collège ?

mots clés : temps scolaire, méditation, bien-être scolaire, échanger


Ce mercredi matin, une classe entière d’élèves de sixième est silencieuse, immobile, quelques minutes durant. C’est le tout début du cours d’EPS (Éducation physique et sportive). Le dos droit, les pieds à plat sur le sol, les mains posées sur les jambes, les yeux fermés pour la plupart, les collégiens, guidés par la voix de leur professeur, sont à l’écoute des sons qui les entourent, de leur tonalité aiguë, grave, agréable ou désagréable, des sons les plus lointains aux plus proches, des véhicules qui se déplacent au loin, en passant par d’autres bruits à l’intérieur du collège pour revenir aux froissements infimes de la classe silencieuse, jusqu’aux battements mêmes de leur cœur. Un petit gong sonore initial puis final indique aux élèves que la pause est achevée. Le professeur présente l’activité sportive de la séance. En 3 ou 4 minutes, la classe est passée de l’agitation de la récréation à la réceptivité propice à l’entrée dans les apprentissages. Grâce à cette courte activité, “on réinitialise notre cerveau, on peut passer à autre chose”, témoigne un élève de la classe. Cet exercice s’appelle à l’origine “la méditation des sons”. Jean-Baptiste Leurent, le professeur d’EPS à l’initiative du projet et Jérôme Maufrais, principal de l’établissement, préfèrent l’expression “pratique de l’attention” pour écarter toute connotation spirituelle parfois associée au terme méditation. Ces brèves pauses prennent place au sein des cours, dans différentes disciplines. L’objectif est de se centrer quelques instants sur sa respiration, d’être à l’écoute de son corps, de ses pensées, de ses émotions, de son environnement, le tout selon de brefs scénarios indiqués par le professeur. “Si elle permet de se recentrer sur soi quelques instants, cette pratique n’est pas un outil de mise au calme, précise Jean-Baptiste Leurent. Elle permet d’apprendre à se connaître et constitue surtout un entraînement mental à être attentif, à fonctionner en mode éveillé, en écartant nos automatismes. À la condition d’une pratique régulière comme on peut pratiquer un instrument de musique par exemple, elle permet aux élèves de reconnaître et de faire le lien entre leurs émotions et leurs sensations physiques, un aspect physiologique auquel l’école ne s’intéresse pas souvent”.

 
Les pauses de pratique de l’attention s’inscrivent d’ailleurs dans une réflexion globale sur le rythme quotidien des élèves au collège Jean Cocteau. “Deux sonneries organisent le temps de fin de récréation, explique le principal, afin de fluidifier le retour en classe et de ménager un moment de transition vers les apprentissages. Chaque après-midi, c’est "Silence, on lit", une pause de lecture libre de 15 minutes pour chacun.”
 
La pratique de l’attention constitue une seconde forme de pause partagée. “C’est une opportunité dans l’autonomie pédagogique, poursuit Jérôme Maufrais, fondée sur le volontariat et la nécessité d’une formation, c’est pourquoi il est impossible de l’imposer.” Mais alors, comment ce projet est-il né et comment s’est-il déployé dans le collège ? Au début, il s’est agi d’une expérimentation au sein du Dispositif de relais interne (DRI). “Le DRI est un comme un petit laboratoire d’innovations”, explique Samia Charmi, professeure d’espagnol. “Nous sommes toujours en quête de nouveaux outils pour travailler autrement, remobiliser de petits groupes d’élèves dans les apprentissages”, complète Jean-Baptiste Leurent. Au départ, le professeur d’EPS a découvert et pratiqué ces exercices d’attention à titre personnel. Il a très rapidement vu l’intérêt de proposer cette technique à l’école. Jean-Baptiste Leurent a partagé son expérience et ses connaissances avec ses collègues du DRI ; chacun a commencé à pratiquer régulièrement, condition incontournable avant de se lancer auprès des élèves. La réception des collégiens, en terme de qualité d’écoute, a été excellente, au-delà des espérances des professeurs. Les élèves reparlaient d’une semaine à l’autre des exercices réalisés et souhaitaient recommencer. D’autres professeurs du collège ont alors été intéressés. Jean-Baptiste Leurent a compilé une banque d’exercices à destination de ses collègues puis, à la rentrée suivante, la nécessité d’une formation commune s’est imposée. Deux années consécutives, une dizaine d’enseignants volontaires du collège ont suivi une formation à destination des professeurs assurée par le centre de psychologie Cogito’z1 de Nantes. À l’issue de la formation, chaque participant était capable de se lancer avec une classe. Il y a alors eu un véritable élan dans le collège. Entre 2018 et 2020 (jusqu’au moment de la crise sanitaire), chaque classe a bénéficié d’une pause de pratique de l’attention le matin, de deux à quatre fois par semaine, selon les contraintes des emplois du temps. Pour faire vivre ce projet, il faut pratiquer soi-même et échanger, cela implique de dégager du temps pour des échanges collectifs. L’équipe pilote a alors organisé des pique-niques « pratique de l’attention » au cours desquels les professeurs parlaient de leurs réussites et difficultés, pratiquaient ensemble, échangeaient des ressources. Jouxtant la salle des professeurs, une pièce a été renommée la “Zen room” : plusieurs fois par semaine, sur le temps de pause méridienne, un membre de l’équipe pilote2 y anime une pause de pratique de l’attention d’une durée de 10-15 minutes à destination de toute la communauté éducative du collège et des agents. Cela permet de fédérer l’équipe du collège autour d’un temps de bien-être commun régulier, bénéfique pour ceux qui ne prennent pas ce temps chez eux ou tout simplement pour découvrir la pratique.

“La pause de pratique de l’attention, c’est ma carte magique ! témoigne Samia Charmi. Quand les élèves sont fatigués, stressés, les effets sont immédiats.” L’enseignante souligne le fait que ce temps court régulier permet de tisser une relation différente avec les élèves. Cette différence vient d’un engagement partagé, d’une acceptation initiale de part et d’autre. Du côté élève, il s’agit d’accepter de participer à une activité déconnectée de tout apprentissage scolaire, qui “ne sert à rien”, comme témoigne un élève de 6e. C’est une activité qui ne vise pas à mémoriser, à comprendre, qui n’est soumise à aucune évaluation, que l’on n’est pas obligé de réinvestir3. Et puis, il y a la question de la posture. “C’est compliqué, la première fois, de rester immobile”, explique une élève. “Au début, j’étais très nerveux, maintenant j’arrive à ne plus bouger, j’en suis fier, je suis détendu” relate un troisième collégien. Côté professeur, il faut aussi accepter d’adopter cette posture corporelle inhabituelle et de guider par la voix les élèves, avec un débit vocal qui n’est pas celui de l’enseignement. Samia Charmi s’adapte à l’ambiance de la classe, au ressenti de l’instant. “Quand je garde les yeux ouverts, c’est pour faire éventuellement signe aux réfractaires ou pour observer les élèves pendant l’exercice, explique-t-elle, mais c’est aussi très agréable de se laisser aller, de se détendre avec eux et même de fermer les yeux.” La professeure signale alors tacitement à la classe la confiance qu’elle lui accorde, ce qui contribue à enrichir la qualité de la relation enseignant-élèves, au-delà de la pause “pratique de l’attention” elle-même. Elle utilise souvent les images mentales, symboliques, comme support d’exercices. “J’aime beaucoup, par exemple, l’image de la montagne. On s’imagine être une montagne qui traverse les saisons mais qui malgré les caprices météorologiques est toujours là. C’est une image qui renforce la confiance en soi.” Plus on pratique soi-même, plus on acquiert aisance et liberté dans les propositions de pratique avec les élèves, explique l’enseignante. À partir de la fin du premier trimestre de la classe de 4e, suite à une séquence au programme qui permet d’acquérir le vocabulaire du corps, l’enseignante mène la pause en espagnol. “J’ai l’impression d’être dans mon enseignement, de travailler la compréhension. Les élèves apprécient car cela les oblige à être encore plus attentifs. J’ai l’impression de capter leur attention et d’intégrer la pause à la séance.” Au final, le droit de participer ou de se mettre en retrait, la simplicité de réalisation de l’activité fondée sur l’observation de sa respiration et son écho dans l’ensemble du corps, la brièveté de cette pause, loin des enjeux scolaires, favorisent l’adhésion de la majorité des élèves. Puis, la transition vers le cours se fait naturellement. “Je laisse quelques secondes aux élèves, le temps pour ouvrir les yeux, puis j’allume la lumière ou je remonte les stores. La transition vers les apprentissages n’est donc pas verbale, ce n’est pas un besoin”, explique Samia Charmi.
 
Jean-Baptiste Leurent et Samia Charmi se rejoignent pour dire qu’en temps de crise sanitaire, il n’est pas si simple de maintenir l’émulation dans l’équipe enseignante. Pour qu’un tel projet fonctionne, l’idéal est de suivre des formations collectives régulières, de bénéficier de l’expertise d’un groupe de professeurs ressources, de planifier des temps d’échanges. A contrario, l’expertise n’est pas une condition sine qua non pour proposer la pause de pratique de l’attention. Certains enseignants n’aiment pas leur voix, ne se sentent pas à l’aise pour guider, mais souhaitent participer au projet. Ils ont alors la possibilité de diffuser un enregistrement réalisé par un collègue. Les professeurs pilotes ont créé une banque de ressources sur le site du collège à disposition des professeurs et des élèves. “Nous avons aussi l’idée nouvelle d’aller dans les classes de collègues novices pour guider la pause”, explique Samia Charmi. Dans ce projet, la mutualisation, le partage des ressources sont résolument fédérateurs. Les intervenants sont les professeurs eux-mêmes, c’est la force du dispositif pour assurer sa pérennité. Le souhait de l’équipe est d’avoir accès à de nouveaux temps de formation, de partager leur expérience, d’échanger dans l’idéal avec d’autres établissements scolaires mobilisés dans cette pratique ou projetant de la mettre en place.

Il est notable qu’au fil de ces quelques années, le projet de pratique de l’attention a progressivement coloré l’identité de l’établissement et s’inscrit pleinement dans le parcours santé des collégiens. Du côté des familles, les retours sont positifs. Ils concernent le plus souvent des élèves qui réutilisent chez eux la technique, notamment pour s’endormir. Une enquête menée auprès des élèves a révélé un intérêt accru des élèves de 6e et de 3e. “Il est vrai que les élèves de 5e et 4e sont moins volontaires pour se lancer, explique Samia Charmi. En revanche, pour les cohortes qui réalisent la pause depuis la 6e, l’adhésion est là sur les quatre années car la pratique est déjà en place.” En juin 2019, Cécile Loiseau, la principale-adjointe, relate que des élèves pratiquaient l’attention dans les couloirs en attendant de passer leur oral de DNB (Diplôme national du brevet). Certains ont demandé aux surveillants si une pause de pratique de l’attention serait proposée avant les écrits. Ces exemples illustrent la belle énergie générée par ce projet.


1. Centre privé de psychologie qui forme notamment à la pratique de l’attention pour les enfants et les adolescents et propose des formations aux enseignants.
2. Mme Fernandez (anglais), Mme Dubrana (arts plastiques), Mme Charmi (espagnol) ou M. Leurent (EPS).
3. Cette année, 53 % d’élèves sur deux classes de sixième, réutilisent la pratique notamment pour s’endormir.
 
auteur(s) :

N. Le Rouge

contributeur(s) :

M. Leurent, Mme Charmi, M. Maufrais, Mme Loiseau, Collège Jean Cocteau - Coulaines [72]

ressource(s) principale(s)

echanger dossier 7 les rythmes scolaires : organiser autrement le temps 13/10/2010
La revue Échanger a déjà produit deux numéros sur le temps à dix ans d'intervalle, en 1998 puis, plus récemment en 2008. Ces deux numéros restent d'une grande actualité. Ils relatent, c& ...
temps scolaire, annualisation, tiers-temps, emplois du temps, période, cycle, continuité, rupture

haut de page

innovation pédagogique - Rectorat de l'Académie de Nantes