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démarche d’investigation et dynamique d’apprentissage : des élèves curieux des sciences

mis à jour le 07/12/2022


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À l’école Louis Blériot (Le Mans), Emmanuel Decelle enseigne les sciences aux classes de cours moyen 1 et 2, dans le cadre d’un service partagé. Conformément aux programmes de cycle 3, il applique la démarche d’investigation. Le cadre pédagogique ritualisé qu’il met en place dès le début d’année vise à développer les interactions, en confiance, pour construire des savoirs fondés sur les connaissances et conceptions initiales des élèves, possiblement erronées, et sur leurs questionnements en mouvement. Curiosité, maintien de l’attention, écoute, exigence lexicale, rythme et temporalité souples sont ici en jeu. Comment s’appuyer sur la démarche d’investigation pour construire les savoirs ?

mots clés : échanger, cycle 3, démarche d'investigation, expression orale


Un jeudi matin de mars, fin du cours de sciences, les élèves rangent leurs affaires. “Elle était trop bien la séance !”, s’exclame l’un d’eux. Mais pourquoi donc ? “Parce qu’on a expérimenté, parce que j’ai bien aimé émettre des hypothèses et j’ai hâte d’avoir les réponses”, répond-il instantanément. L’enthousiasme spontané et la précision du vocabulaire utilisé par l’élève révèlent d’emblée des habitudes de travail installées dans la classe par l’enseignant, féru de sciences, que les connaissances et l’imagination de ses élèves ne laisse pas de stimuler. La nouvelle séquence, commencée au cours précédent1, porte sur “Le bois, un matériau issu du vivant” ; E. Decelle expérimente pour la deuxième fois cette année une mallette pédagogique MERITE, dont les thèmes, visant à promouvoir la culture scientifique, sont en adéquation avec les programmes scolaires et la démarche d’investigation. Dans sa séance du jour comme dans les suivantes, l’enseignant associe donc un support nouveau à une mise en œuvre de la démarche d’investigation ancrée dès le début de l’année scolaire dans sa pratique de classe.
 
“Au coeur de la démarche d’investigation scientifique, explique E. Decelle, il y a le questionnement des élèves. Le postulat est que chacun peut avoir sa place, que tout ce qui est dit est intéressant. Je me suis donc demandé comment réussir à prendre résolument en compte la parole des élèves.” Cela implique de développer une qualité dans les échanges, une fluidité également, compétence travaillée en multipliant les interactions au cours de la séance. Il faut au préalable penser les conditions pédagogiques et matérielles qui vont favoriser les prises de parole. L’enseignant dispense ses cours dans une salle dédiée aux sciences, disposée en six îlots qui seront propices aux expérimentations et échanges en équipes. Les élèves s’installent où ils le souhaitent dans la salle de sciences, les équipes peuvent donc différer d’une fois sur l’autre, cela évite de systématiser des fonctionnements de groupes. Le tableau est grand. Le volet central est vierge, destiné aux traces de la séance du jour. Sur les tableaux de droite, les élèves pourront consulter à tout moment de la séquence la synthèse de la première séance : le professeur a listé d’un côté toutes les questions qu’ils se posent sur le bois, d’un autre leurs connaissances initiales. Sur le volet de gauche, les étapes de la démarche d’investigation sont décrites, chaque étape (« on pense/on se demande/on observe/on sait ») étant représentée par un pictogramme sur une étiquette magnétique. Au cours de la séance, le professeur déplace les étiquettes sur son tableau central, indiquant l’étape en cours ; les élèves disposent d’un jeu d’étiquettes dans leur cahier qu’ils collent à leur tour. L’enchaînement des étapes est ainsi mené en autonomie, sans aucune interruption du cours pour des questions méthodologiques ou organisationnelles. Grâce à ce socle pédagogique, le professeur anticipe ce qui pourrait venir perturber la fluidité des échanges, la construction de la pensée.

En début de séance, le professeur demande aux écoliers de rappeler ce qui a été fait lors de la séance précédente puis pose la question du jour, titre de la séance : “Comment identifier et classer les différentes essences de bois ?” Les élèves vont immédiatement émettre des hypothèses, interagir, rebondir sur les propos des uns et des autres. Le professeur écoute, distribue la parole, laisse cheminer la pensée, recentre le propos si besoin, “Toi, tu dis que ..., tu penses que,... mais ton camarade, lui, assurait que…”. Les élèves s’aperçoivent rapidement que les réponses sont très diverses car le sens du terme essence n’est pas maîtrisé. Une mise au point s’impose, le professeur rappelle la définition notée au cours précédent, quelques élèves l’explicitent, la reformulent à la demande de l’enseignant qui, pour nourrir la réflexion, distribue ensuite un document à compléter : l’une des trois activités consiste identifier deux catégories d’arbres associées aux dessins d’un résineux et d’un feuillu. Temps de travail silencieux, seule (e) pendant plusieurs minutes. “Alors ? Quelles réponses proposez-vous ?” lance le professeur. Les échanges sont dynamiques, la majorité des élèves intervient. Le professeur les écoute, certains échanges rebondissant sans son intervention, leur demande de justifier leurs réponses et vérifie si d’autres camarades ont proposé des réponses similaires, auquel cas il reporte les réponses proposées au tableau. Les hypothèses sont posées. Il y aurait donc par exemple “des pins et des arbres normaux”, “des arbres de jardins et des arbres de forêts”, “des arbres qui perdent leurs feuilles, d’autres qui ne les perdent pas”. “Oui, mais le sapin n’a pas de feuilles”, dit une élève. “Ah oui, qu’a-t-il donc alors ?”, sollicite le professeur. “Des pics, des épines...”. Plusieurs réponses sont proposées mais l’aiguille de pin n’est pas au rendez-vous ce matin-là, l’enseignant l’indique à la classe sans donner le mot et sans s’y attarder. Il suscite donc curiosité et questionnements qui n’ont pas nécessairement de réponse immédiate. Jouant de son étiquette aimantée, il va passer à l’étape suivante, le mot manquant n’y faisant pas obstacle pour le moment. Nulle frustration ne se fait sentir dans la salle car dans ce dispositif, le rapport à la temporalité n’est pas celui de la vie quotidienne. “Ils sont capables d’attendre car ils sont dans une posture d’élève qui va construire des savoirs et non d’enfant, note E. Decelle. Plus tard, au détour d’une autre activité, la question trouvera sa réponse.” Elle pourra surgir par exemple au moment de l’expérimentation ou même au cours d’une séance ultérieure. D’ailleurs, en fin de séquence, il s’agira de vérifier ensemble si des réponses ont été apportées à toutes les questions de départ qui étaient notées au tableau. C’est une manière de prendre conscience et de verbaliser nombre des apprentissages notionnels.

Cet exemple de début de séance met au jour la place libérée pour l’expression orale. Le fonctionnement de la classe alterne tout au long de la séance des temps d’échanges collectifs (émettre des hypothèses, mettre en commun), des temps de réflexion (seul(e) ou en équipe avec un support), d’expérimentation en équipes (manipulation, expérience, observation à la loupe...). Mais le rythme authentique de la séance, celui de la mise en mots des apprentissages, est impulsé par les élèves au sein des espaces de parole. L’enseignant adopte alors la posture de “lâcher prise”, selon la terminologie de la chercheuse D. Bucheton2. La/les réponse(s) apportée(s) au questionnement initial chemine(nt), le professeur anime, relance, interpelle, rappelle si besoin d’utiliser les notions ou mots nouveaux déjà vus, mais s’appuie véritablement sur les interventions des élèves. “Dans ces moments, j’ai le cerveau en ébullition, explique-t-il. Et au final, je n’écarte que peu de réponses, je parviens en général à les rattacher à des idées déjà évoquées par exemple et je vais inciter les élèves à les reformuler. Je prends toujours le temps de réfléchir et je note au tableau les idées, les mots-clés prononcés plusieurs fois. Je suis dans une analyse constante de ce que j’attends et de ce que j’obtiens, avec le souci essentiel de maintenir le champ d’écoute des élèves dans cette situation d’apprentissage dynamique. Pour cela, je reprends leurs mots, je répète ce qui vient d’être dit et j’ajoute éventuellement une question.” Le professeur précise également qu’il change le rythme, le débit de sa parole, qu’il joue avec les tonalités de sa voix pour exprimer l’étonnement, le doute, l’admiration...

Tous les élèves doivent s’exprimer, c’est un contrat tacite dicté par l’enseignant. “C’est à moi de créer un climat de confiance propice à la prise de parole, il faut à peu près 3 mois en début d’année pour l’installer. Cela passe par de l’attention accordée à chacun(e).” Les mots du professeur viennent apaiser les maux des plus timides ou peu assurés de leurs connaissances. « Je remercie et valorise par exemple ceux qui se trompent car toutes les idées ont un intérêt”, explique E. Decelle. C’est même une chance tant la démarche d’investigation va permettre de déconstruire des conceptions initiales erronées, verbalisées et souvent partagées par d’autres écoliers. “Il faut que les élèves sentent qu’il y a de la place pour leur curiosité et leur expérience”, poursuit-il. Ainsi, les anecdotes des uns et des autres nourrissent régulièrement les échanges. “J’ai vu de la sève qui coulait d’un arbre près de chez moi”, se rappelle un élève. “Très bien, tu iras voir et tu nous diras la prochaine fois de quel arbre il s’agit, cela va nous aider”, répond le professeur. Le climat de la classe se joue aussi dans ces échanges, où l’élève fait du lien avec son expérience pour se glisser avec intérêt dans la peau du chercheur, se confronter au réel, aux sciences vivantes.
 
Les temps d’échanges permettent donc de mutualiser, de construire ensemble les savoirs, à la condition de les mener avec le souci constant de s’exprimer correctement, en prononçant des phrases complètes et précises. Même lorsqu’ils échangent entre eux, lors des travaux d’expérimentation en équipe, on observe par exemple le plaisir des élèves à utiliser les mots tout juste découverts. Le professeur ne transige jamais sur la précision du lexique qu’il utilise, toujours explicité. De même, il rappelle sans relâche aux élèves la nécessité de s’exprimer clairement : il ne le leur dit pas, il demande simplement de reformuler à chaque fois que cela est nécessaire. L’expression orale est une compétence travaillée de manière continue, en creux. Ces temps d’échanges, en début comme en cours de séance sont rassurants lors du passage à l’écrit. Il ne peut y avoir de page blanche, chacun(e) a forcément quelque chose à dire. Quelle est la mémoire écrite de ce travail mené ? Les documents dans le cahier sont soit des supports de réflexion, d’observation, soit des traces écrites institutionnelles de fin de séance. “Pour les documents de travail, je fais appel à toutes les intelligences. Les élèves répondent par des mots, des phrases, des schémas petits ou grands. Le seul objectif est de montrer ce qu’ils comprennent, déduisent etc.”, précise l’enseignant. Lors des étapes de réflexion ou d’expérimentation, le professeur répond aux questions, aux demandes d’aide en circulant dans les îlots. Les documents de travail n’ont pas tous vocation à être corrigés. On accepte que les élèves partent dans des directions variées (à condition qu’ils puissent expliquer et justifier) puisque ce travail servira d’appui pour les échanges ultérieurs, que le recentrage, la déconstruction des erreurs, auront lieu à ce moment-là. La clôture de la séance passe idéalement par la trace écrite institutionnelle. Juste avant, les élèves ont expérimenté et en ont rendu compte à l’écrit. Les questions sont toujours les mêmes, quelle que soit la manipulation : “Qu’avez-vous fait ? Qu’avez-vous obtenu ? Qu’en avez-vous tiré comme conclusion ?”. Le professeur passe dans les îlots, lis, interroge les élèves, et il y a parfois de la résistance, “notamment pour expliciter ce qui a été fait ou pour analyser”, explique E. Decelle. Par exemple, dans une des dernières séances de la séquence sur le bois, “comparer des masses de bois en les plongeant dans l’eau” devient “j’ai mouillé du bois”. D’autres fois, c’est l’analyse du résultat de l’observation qui pose difficulté. Dans ce cas, il faudra expérimenter à nouveau, au début de la séance suivante. Ainsi, une séance ne commence pas toujours par la question du jour. S’il est nécessaire de reconduire une expérimentation, on va commencer par là et ensuite rédiger ensemble le résultat de l’expérience. Voilà qui nécessite donc de la souplesse dans le rapport à la durée de la séance, des apprentissages inaboutis ne pouvant donner lieu à une trace écrite. La séance s’achève toujours par un bilan (“qu’a-t-on appris aujourd’hui ?”) mais il arrive que la trace écrite institutionnelle soit donc différée à la séance suivante. Pour la construire, les élèves ont la parole, brièvement cette fois. Ils rappellent des définitions, des observations réalisées en utilisant les mots ou notions-clés écrits au tableau lors des échanges. Le professeur complète ou précise si nécessaire et note cette trace écrite commune au tableau sous la forme la plus pertinente : carte mentale, tableau, schéma, phrases.
 
Cette dynamique d’apprentissage qui prend appui sur la démarche d’investigation scientifique nécessite de la souplesse et de l’écoute. “On peut en percevoir les richesses en préparant une séance simple, rassure l’enseignant. Dans cette démarche, conclut-il, c’est moi qui m’adapte au rythme des élèves et non l’inverse. Au fil de l’année, les écoliers sont de plus en plus expérimentés et je les vois changer progressivement : ils sont plus impliqués, font vivre la séance”.


1. Deux séances hebdomadaires de 50 min .
2. La posture de lâcher-prise : l’enseignant assigne aux élèves la responsabilité de leur travail et l’autorisation à expérimenter les chemins qu’ils choisissent. Voir article é-changer .
 
auteur(s) :

N. Le Rouge

contributeur(s) :

M. Decelle, École Louis Blériot - Le Mans 72

ressource(s) principale(s)

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